Agoraphobia
Agoraphobia, de Rob de Graaf, mise en scène de Lotte Van den Berg.
Mode d’emploi : le rendez-vous est fixé à 19h, place de la République. Il faut y venir avec son mobile. Un numéro de téléphone et un code sont affichés là-bas. On fait donc le 01 70 70 95 07, entendez une voix en anglais, puis le 77889900 sans oublier le dièse, quand l’heure sonne au clocher.
L’endroit est animé et plus encore, bruyant, non par les familles qui y stationnent et s’y rafraîchissent paisiblement, mais à cause d’une manif qui s’y déroule au même moment, en écho à celle de la place Taksim d’Istanbul.
Par ordre dispersé, on aperçoit des petits groupes de personnes, mobile collé à l’oreille, essayant de comprendre où se passent les choses. C’est assez flou; on entend difficilement, mais on remarque au loin, l’itinéraire d’un personnage qui commence à se préciser, un black, en manteau et valise à la main. Un SDF pas comme les autres, ou un fou du village, ou encore un philosophe du dimanche.
Les dispersés ont vu l’homme (en réalité, le comédien Sœuf ElBadawi), se rassemblent tranquillement autour de lui et, comme en cortège, entrent dans son itinérance, en écoutant le discontinu du soliloque, à travers les décibels de la manif.
«Je crois que c’est bien cet endroit… Je regarde autour de moi… Je sens, je vois, je perçois». C’est autour du mot «différence» que se décline ce sermon sur la montagne, qui, téléphones rangés, se poursuit en direct, au gré des stations. «Pourquoi suis-je différent des autres ? J’ai voulu foncer droit devant, je voulais m’affirmer… Je voyais la distance entre moi et les autres se creuser de plus en plus, tout était distance…» ou encore : «Dans ma tête, parfois, tout se mélange, tout s’arrangera si j’arrive à supprimer cette différence».
Le spectacle est né d’une prise de position politique, comme en réponse à la dégradation du tissu social et sociétal, dit en substance Lotte Van den Berg, conceptrice du spectacle, dans une interview de Liesbeth Groot van den Berg, transcrite dans le grand cahier qui nous est remis à la fin du parcours, en même temps qu’un verre d’eau pétillante. Elle cite aussi, pour source d’inspiration, Nostalghia, un film de Tarkovski, : «Homme, écoute-moi ! En toi, il y a de l’eau, du feu et aussi de la cendre…», le personnage, errant de la Place de la République, fou ou sage, serait-il comme Domenico, l’ermite du film ?
Face à cette performance ou à ce geste d’agitprop qui parle d’autodestruction, d’utopie et de rêve d’un monde «qui reste entier», revient la question, récurrente, qui se pose au théâtre, de la frontière entre spectacle engagé ou militant, avec la démarche artistique, autrement dit, du rôle de l’art, dans nos sociétés.
Brigitte Rémer
Vu le 2 août, Place de la République. Prochaines représentations, le 3 août, à 18h à la Fontaine des Innocents/Les Halles, le 4 août à 17h, sur Les Berges. Festival Paris quartier d’été. www.quartierdete.com