Le soleil se lèvera trois fois
Le soleil se lèvera trois fois, de et avec Eun-Hye Jung, Rocío Molina et Chloé Moglia
Voir le soleil se lever au bord de la Seine, quoi de plus romantique ? Le réveil sonne à 5 h, vous êtes au rendez-vous à 6 h , le soleil n’attend pas. Vous mettez votre petite laine et prenez place sur les marches en bois qui font office de banquettes, en contre-bas du Musée d’Orsay.
Les Berges, inscrites au patrimoine mondial de l’humanité, viennent de s’ouvrir sur 2,3 kms de promenade rive gauche, complétant le kilomètre et demi de la rive droite, projet du Maire permettant à tous les amoureux de Paris de se réapproprier la Seine et le cœur de leur cité.
C’est là que Quartier d’été a posé ses tréteaux, face au mur des photos monumentales de Reza, artiste iranien. Son exposition, Chants de café, témoigne du quotidien des paysans-cultivateurs dans les plantations véritables travailleurs de l’ombre, et leur rend hommage.
Dans ce cadre magique, une silhouette en robe blanche, méditative et contemplant l’eau, comme les spectateurs qui lui font face, vient lentement prendre position sur un coussin posé au centre du plateau. C’est Eun-Hye Jung, de la République de Corée, qui interprète des compositions allant du chant traditionnel de la province de Namdo, ou bien, venant de Mongolie, au pansori, l’art coréen du récit chanté.
Trente minutes à l’écoute des modulations nostalgiques et lyriques de sa voix, d’une grande pureté et d’une technique dont elle seule a le secret et qu’elle a commencé à apprendre à l’âge de sept ans. Les titres des pièces font déjà rêver : Ils se réjouissent de voir le soleil ; Variation de Hwacho-Saguri ; ou encore Les poulains se dirigent vers Buksan. A peine, un geste esquissé avec son éventail trouble-t-il le fil de l’eau, tout est finement ciselé et parfaitement maîtrisé.
A la tradition, elle mêle des chants d’oiseaux et autres sons enregistré de la nature ou des humains, filtrés et finement travaillés, qu’elle renvoie à partir de capteurs qu’elle dépose au sol, devenant ainsi un véritable chef de chœur.
Puis elle invite le public à la suivre et celui-ci lui emboîte le pas. Une centaine de mètres plus loin, seconde station, Eun-Hye Jung passe le relais à Rocío Molina, danseuse de flamenco contemporain qui vient à sa rencontre, dévalant en dansant, les marches de la passerelle qui relie les deux rives de la Seine.
Elle invite le public à prendre place tout près d’elle, autour de la plateforme en bois sur laquelle elle écrit son énergie. «Je veux que le public soit très proche et qu’il n’y ait pas de mur, pas de limites entre la scène et la salle, pour provoquer des réactions nouvelles, différentes», dit-elle. Dans un décor naturel de bateaux amarrés et sans support musical, elle présente sa pièce, Danza impulsiva, créée tout spécialement pour Quartier d’été, donnant l’impulsion et le tempo. C’est avec autorité et élégance, qu’elle marque le sol du talon, joue de ses mains avec malice et cisèle l’air avec les doigts, règnant sur les éléments qui l’entourent, avec habileté, puissance et sensualité. Repérée par son talent singulier, Rocío Molina découvrait le Japon et les Etats-Unis à l’âge de dix-sept ans avec la compagnie María Pagès, avant de partager la scène avec Belén Maya ou Israël Galván, et de côtoyer les plus grands de sa spécialité.
A son tour, Rocío Molina guide le public jusqu’à la troisième et dernière station de notre rendez-vous, -comme annoncé, Le soleil se lèvera trois fois-, accompagnée d’Eun-Hye Jung qui a assisté à sa performance, pour un passage de relais à Chloé Moglia. Dans une discipline aérienne, cette dernière présente, Horizon, pièce éphémère également créée pour Quartier d’été. Le jour s’est levé, le public fixe le haut d’un mât de cinq à six mètres de haut où elle est agilement montée par une corde lisse qu’elle replie, sitôt arrivée. Elle sera suspendue pendant une demi-heure, au bord de l’eau, enchaînant les figures avec grâce, lenteur et fluidité, sans garde-fou.
La concentration demandée se trouve aussi dans le public qui observe chaque respiration et scrute la technique décomposée de la rotation virtuose et décidée des mains de l’artiste, seule entre l’eau et l’air, dans son défi à l’apesanteur. C’est au Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne que Chloé Moglia s’est formée à l’agrès, apprenant à maîtriser le vide et à jouer de son corps et de son poids, avec légèreté, petite plume au bout d’un mât.
Lorsqu’elle retrouve le sol, la circassienne est rejointe, au salut, par les deux autres artistes, jolie complicité écrite au fil de l’eau, chacune dans son vocabulaire. Les spectateurs sont invités à les suivre pour un petit déjeuner préparé pour tous, face au mur d’images des travailleurs du café, vu cette fois à la clarté du jour.
Brigitte Rémer
Vu le 3 août, sur Les Berges de Seine, au pied du Musée d’Orsay, Festival Paris quartier d’été. www.quartierdete.com