Derniers petits remords de n’avoir pas tout vu avant l’oubli
Festival d’Aurillac
Derniers petits remords de n’avoir pas tout vu avant l’oubli…
L’édition 2013 du festival d’Aurillac appartient déjà au passé! Ite missa est… Les employés du service de nettoyage d’Aurillac- on devrait leur élever une statue!- rendent la ville à un état plus normal. Des dizaines de milliers de gens en ont parcouru les rues anciennes du centre, devenu une véritable taverne à ciel ouvert: ici, on mange et on boit partout, du vin, de la bière, et le plus souvent , debout, en marchant et surtout des barquettes d’aligot à base de purée en poudre, surmonté d’une saucisse grillée industrielle: mieux vaut ne pas être difficile pendant toute la durée du festival…
Le square central, fermé pendant la semaine pour ne pas servir de toilettes aux punks de service, va rouvrir, et le supermarché Leclerc a déjà enlevé ses grillages qui interdisaient son parking aux camionnettes et mobil home des compagnies et des spectateurs.
Il y a dans des salles, sur des places et dans des rues, et dans la programmation officielle vingt compagnies dont certaines ont qui bénéficié d’une résidence au Parapluie pour créer leur spectacle. Et environ 500 « compagnies dite « de passage », dont la moitié environ répertoriées dans le guide du festival, qui se produisent à leurs frais, en parallèle de la programmation officielle, et qui gagnent leur argent au chapeau!
Il y a même aussi au Parapluie, un spectacle-culte comme La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, créé cet hiver aux Ateliers Berthier/Odéon ( voir Le Théâtre du Blog) qui affiche complet. Curieux paradoxe pour un festival qui était à l’origine, de rue, et… gratuit. Tout se passe comme si Jean-Marie Songy qui sait conduire son gros bateau, veut à tout prix qu’il acquiert une légitimité que les spectacles de théâtre de rue n’accordent pas toujours. Quitte à donner un petit coup de Laguiole à l’identité du festival. Effectivement quelle différence entre un spectacle de Pommerat programmé en Avignon dans le in d’Avignon et un spectacle de Pommerat dans le in d’Aurillac?
En tout cas, côté public ou, du moins, côté monde dans la rue, tout va pour le mieux: les parkings sont pris d’assaut, et la moindre place de stationnement légal, toléré ou interdite est immédiatement convoitée comme une denrée rare…. Il a fait très chaud comme les années précédentes, et on a l’impression qu’il y a chaque année de plus en plus de monde, partout et même aux spectacles, et de plus en plus de CRS, plutôt débonnaires.
Il y a des dizaines de propositions chaque jour! Théâtre, mime, danse, chant ou musique, et, en général, à quelques exceptions près, pas très intéressants. Comme en Avignon, l’objectif pour ces compagnies, le plus souvent réduites à un acteur ou actrice, étant surtout de se faire remarquer par un éventuel programmateur. Quitte à perdre vite des dernières illusions!
Mais, semble-t-il, dans un étrange jeu de miroirs, la foule venait ici se régaler… de la foule, avec, pour faire pittoresque, la petite note de couleur apportée par les saltimbanques…Nous avons essayé avec Edith Rappoport de vous donner un aperçu, mais forcément restrictif, du festival; ici, le meilleur côtoie le pire, comme en Avignon. Nombre de spectacles avaient cette année un petit côté sexe ou gore, ou les deux, comme si c’était devenu un argument de vente, plus ou moins imposé!
Les deux derniers jours du festival, la ville était bourrée de monde. Difficile par exemple, d’arriver à avancer dans la petite rue des Carmes; la bière coulait à flots dans des bars improvisés, et les supérettes débitaient des centaines de canettes en tout genre…On croise partout des-jeunes-voire très jeunes, alcoolisés C’est aussi un grand rendez-vous de chiens- il y en partout, leurs déjections aussi-emmenés par des bandes de punks souvent agressifs qui font la manche, et c’est nouveau, parfois accompagnés de bébés. Bref, cet espace de liberté est devenu en quelque vingt cinq ans, un immense bar à ciel ouvert où le théâtre/théâtre est devenu prétexte à rencontres estivales, dans une petite ville accueillante, et ô combien tolérante- mais elle y trouve largement son intérêt en termes financiers- pendant un peu plus de quatre jours!
Les cracheurs de feu ont disparu, les échassiers aussi ou presque, mais les jongleurs en tout genre se sont multipliés, tout comme les min-stands de maquillage ou de relaxation, et les cabarets, un des derniers trucs à la mode. Et les clowns des deux sexes- musicaux ou non-qui essayent de faire rire en vain un maigre public, avec de numéros des plus conventionnels. A noter, dans le in comme dans le off, une nette tendance aussi à utiliser de plus en plus les micros HF et les ordinateurs portables pour programmer lumière et son, surtout chez les musicos, même pour dans la rue et pour de tout petits spectacles. On n’arrête pas le progrès…
Mais pratiquement aucun théâtre de texte classique, sauf quelques adaptations de Molière et Shakespeare ( compagnie Gérard-Gérard, et des textes de romanciers du genre Emile Ajar, Daniil Harms… Et de nombreuses compagnies de marionnettes à fil ou à gaine. Le festival, c’est aussi un rendez-vous professionnel, et on croise beaucoup de gens, artistes et politiques, parfois les mêmes qu’en Avignon. Mais Aurillac attire peu les gens de théâtre, acteurs, metteurs en scène et critiques extérieurs au théâtre de rue. Ainsi va la vie… Mais ne jugez pas et vous ne serez pas jugés.
Les paramètres ont peu changé mais Jean-Marie Songy semble vouloir quand même accueillir plus de spectacles de théâtre créés en salle fermée, bénéficiant d’une aura médiatique, et, pour le théâtre dit de rue, des compagnies très connues du grand public, comme l’an passé Le Royal de luxe ou cette année Oposito ou Generik vapeur. Un budget reste un budget surtout en ces périodes de vache maigre..Mais Jean-Marie Songy arrive à équilibrer les choses.
Mais, au fait, pourquoi, à la fin des vacances d’été, tant de gens ici rassemblés, pourquoi surtout tant de gens qui voudraient être reconnus comme acteurs ou metteurs en scène ? On repense à cette phrase de Louis Jouvet: » On fait du théâtre, parce qu’on a l’impression de n’avoir jamais été soi-même et qu’enfin, on va pouvoir l’être ».
Philippe du Vignal