Des arbres à abattre
Des arbres à abattre, d’après le roman de Thomas Bernhard, mise en scène de Claude Duparfait et Célie Pauthe
À Vienne dans les années 1980, le narrateur – double de l’auteur du roman Des arbres à abattre – se rend aux obsèques d’une amie de jeunesse qui s’est donné la mort.
À cette occasion, l’écrivain asocial renoue avec des relations qu’il n’a volontairement plus revues depuis trente ans. Ainsi, les époux Augsberger convient le misanthrope à se rendre au dîner qu’ils organisent en l’honneur d’un acteur du Burgtheater.
Sitôt l’invitation acceptée, s’impose au solitaire le regret amer d’avoir consenti par faiblesse à une compromission morale. Comment le protagoniste peut-il prêter de nouveau l’oreille à cette comédie autrichienne bien-pensante qui fait théâtre d’elle-même, lui qui se targue de dénigrer un monde de mensonges ? Cette coterie de créatures est proche de l’artifice et non de l’art, des marionnettes de théâtre manipulées, fascinantes autant que repoussantes.
Comme le héros de Minetti, le narrateur autocritique reconnaît avoir succombé à une idée démentielle, « atteindre son but » en recherchant l’œuvre d’art qui oblige à sortir de la nature et de la société. Amour et haine du théâtre, perte de temps et déploration. L’écriture bernhardienne est envoûtante, inscrite dans un art mobile de la répétition et de la variation dont le rythme n’obéit qu’au souffle dansé d’une parole humaine incertaine.
Claude Duparfait et Célie Pauthe ont choisi d’adapter pour la scène ce roman flamboyant et doux-amer. Malgré un fauteuil à oreilles, accessoire scénique plutôt laid qui en rajoute sur le manque de grâce existentielle, Claude Duparfait incarne un auteur – créateur de théâtre – juste et précis. Le comédien s’immerge dans la coulée verbale de Bernhard avec esprit, à l’écoute sensible des avancées ou des retraits d’une improbable stratégie. Le discoureur honore un rendez-vous lumineux avec le public de théâtre.
Un deuxième temps de la représentation met en situation le spectateur et le narrateur, assis à l’écart, face aux morceaux de bravoure d’un dîner cocasse de suffisance arrogante. Hélène Schwaller en Madame Verdurin d’un salon proustien et François Loriquet en pianiste authentique, sont un couple de musiciens illuminés et égarés dans la contemplation de leur réussite bourgeoise.
À leurs côtés, Michèle Mercier interprète une amie désinvolte, la romancière Jeannie Billroth, qui aimerait qu’on la compare à Virginia Woolf. Fred Ulysse est le comédien magistral du Burgtheater que fustige avec hargne l’invité, même si le premier donne sa confiance à la forêt. Le narrateur aussi aspire à « Entrer dans la nature … et être effectivement et pour toujours chez soi uniquement dans cette nature, c’était cela, il le sentait, le bonheur extrême… »
Des arbres à abattre, tels des errements à éviter, dont tout homme, arbre de vie et du vivant, fait l’épreuve. Le misanthrope aspire à se retirer dans la forêt, à la façon de Rousseau confessant sa découverte des débuts de l’humanité. Si la cité – dont une société de faiseurs d’art et de théâtre – perd son sens, c’est que l’Histoire éloigne peut-être les êtres de la raison.
Une retraite dans les futaies s’avère nécessaire pour qui veut se retrouver et connaître enfin sa vérité.
Véronique Hotte
Théâtre national de la Colline, 15 rue Malte-Brun 75020 Paris : 01 44 62 52 52 jusqu’au 28 septembre 2013, du mercredi au samedià 21h, mardi 19h, dimanche 16h.