Concert Est-Ouest – Double-anniversaire Sikora/Lutoslawski
Concert Est-Ouest – Double-anniversaire Sikora/Lutoslawski, œuvres de Luis Fernando Rizo-Salom, Wojtek Blecharz, Edith Canat de Chizy, Elzbieta Sikora, Witold Lutoslawski
Lutoslawski aurait cent ans et Sikora souffle soixante dix bougies. Compositeurs polonais dont les œuvres sont jouées dans le monde entier, ils représentent deux générations distinctes : le premier travaille sur « l’aléatoire » tandis que la seconde inclut dans son écriture une grande connaissance de l’électronique.
De Witold Lutoslawski, est donné Chain 1, pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette, trombone, percussion, clavecin, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse. La pièce est ludique et chaque instrument appelle. Des jeux de pizzicatis aux cuivres lancinants, les instruments jouent en solos ou duos - clarinette avec flûte, violoncelle et contrebasse – et se rencontrent, en décalé ou en osmose.
Lutoslawski, compositeur et chef d’orchestre, digne héritier de Chopin et de Szymanowski considéré comme un «classique moderne» a élaboré un nouveau langage musical. Comme eux, il a puisé dans la musique populaire polonaise, comme l’avait fait avant lui Bartok auquel il rend hommage, avec Musique funèbre, composée en 53. «Ce qui compte, c’est la substance de la musique. L’émotion est le but extrême de la musique» confiait-il à Elzbieta Sikora, qui l’interviewait, en 93.
Sikora présente, en création mondiale, Twilling-Sonophère 1, pièce pour hautbois solo, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et électronique. Le travail du hautbois se fait dans les suraigus et apporte une dramatisation, comme un cri d’appel ou une sirène entêtée. L’instrument joue les grands écarts entre aigus et graves (Hélène Devilleneuve, magnifique soliste). La montée des cordes, subtile, s’organise en mouvements ronds et en spirale, obligeant les solistes à une écoute respective aiguë. La balade au violon est d’une grande douceur et ressemble à des jeux d’eau. Les notes se suspendent avant une reprise progressive, imprimant à l’ensemble un air de méditation. Il y a de la gravité en même temps qu’une fragilité cristalline donnée par le bruissement des touches. La tonalité des trois violons est magnifiquement harmonieuse.
Compositrice franco-polonaise, Sikora a fait ses études de composition à Varsovie, avec Tadeusz Baird et Zbigniew Rudzinski, puis étudié la musique électroacoustique avec Pierre Schaeffer et François Bayle et suivi des stages d’informatique musicale à l’IRCAM. Elle a composé une cinquantaine d’œuvres instrumentales, vocales, électroacoustiques et mixtes, dont plusieurs ont été enregistrées, et reçu de nombreux prix. Son dernier opéra, Madame Curie, créé à l’auditorium de l’Unesco en novembre 2011, a été remarqué par la critique internationale et a reçu un accueil chaleureux du public.
Autour de Lutoslawski et Sikora, trois œuvres ont également été présentées au cours de la soirée : Pluie, vapeur, vitesse, hommage à Turner, d’Edith Canat de Chizy ; Torpor de Wojtek Blecharz et Quatre pantomimes pour six, de Luis Fernando Rizo-Salom, jeune compositeur colombien qui vient de disparaître tragiquement, et à qui est dédié ce concert, chaque compositeur apportant son univers propre.
Les musiciens de l’Ensemble Court-Circuit, dirigés par Jean Deroyer, leur directeur artistique, ont traversé ces œuvres aux notations singulières et s’impliquent aussi dans des projets interdisciplinaires. Deroyer fait un parcours sans faute : il a dirigé entre autre l’Ensemble Intercontemporain, l’Orchestre de Paris et l’Orchestre Philharmonique de Radio-France. Sa sensibilité passe par un engagement corporel impressionnant.
La réalisation en informatique musicale, de Vincent Laubeuf (Motus) et Tom Mays -qui assure aussi le karlax-, et la projection sonore d’Olivier Lamarche sont des pièces maîtresse dans cette chaleureuse soirée, réalisée avec le soutien de l’Institut Adam Mickiewicz et de l’Institut polonais de Paris qui a édité une superbe plaquette. Félicitations aux compositeurs et instrumentistes, ainsi qu’aux organisateurs.
Brigitte Rémer
Concert du 6 septembre, programmé au Conservatoire à rayonnement régional de Paris. Retransmission par France Musique, lundi 16 septembre, à 20h.
Le 10 décembre à 18h, Reflets irisés, rencontre avec Elzbieta Sikora au Centre de documentation de la musique contemporaine.