Macbeth

Macbeth de William Shakespeare, traduction Jean-Michel Desprats, mise en scène Laurent Pelly.

   Macbeth macbeth-par-laurent-pelly-mars-2012-polo-garat-1-thumb-400x266-40296-thumb-400x266-40297Macbeth revient de guerre, héroïque, couvert de gloire et de sang. Mais on ne revient pas de la guerre.
Sur la lande, au retour, trois sorcières l’attendent -ni femmes ni hommes, êtres abjects et terrifiants, faits d’un peu des quatre éléments brouillés– pour l’enivrer d’une rêverie fatale. Elles lui font voir trois marches éclatantes sur l’escalier de la gloire. Les deux premières étant gravies, il lui faudra monter la troisième, en passant sur le corps du roi Duncan-la loyauté est peu de chose devant l’appétit du pouvoir.
Macbeth est roi, il a gagné, il est perdu : la mort et les morts le poursuivent, il doit tuer encore et encore, jusqu’à l’impossible. Macbeth est aussi l’histoire d’un guerrier très amoureux de sa femme. C’est elle qui, par amour pour lui et pour elle-même, veut le faire couronner à tout prix. Lui, il suit, hésitant à peine, aveuglé, emporté par son désir, par le crime comme virilité suprême.
La réalité, la politique, la morale se trompent, ce sont les sorcières qui voient juste. Et la réalité, la morale, la politique et le rapport de forces arrachent au dernier moment le bandeau des yeux du guerrier : il est tombé dans le piège des apparences, il a cru ce qu’il voulait croire. Macbeth, tuant son suzerain et son hôte, a commis un crime contre-nature, et c’est la nature retournée comme un gant –le gant du défi- qui aura raison de lui : la forêt se met en marche, et un homme qui n’est « pas né d’une femme » le tue.
Laurent Pelly a voulu pour ce Macbeth un décor splendide et dérisoire : un immense labyrinthe de parpaings, qui renvoie d’un côté aux pauvres forteresses des lotissements qui ceinturent les villes, de l’autre à un lieu d’enfermement et d’égarement. Tout se déroule dans « la brume et le mauvais air », dans une lumière nocturne riche de spectres et d’illusions, sans que la narration y perde: on suit l’affaire, étape par étape. Pas de fioritures dans les costumes non plus : ils sont sombres, sobres, intemporels, proches de nous. La mise en scène est efficace, et juste, intelligente.

Un regret:  le grand metteur en scène d’opéra qu’est Laurent Pelly n’a pas osé se passer de l’énorme pot-pourri de musiques diverses et variées qui illustrent et nappent le spectacle. Du coup, avec les entrées de chœurs réglées militairement et  des scènes collectives, cela plombe la représentation.
Et là où l’on ressentirait le besoin d’un mouvement incessant, d’un élan, d’une chute inéluctable, l’action prend des temps d’arrêt, des pauses. Les acteurs lancent leurs “airs“ en virtuoses : ils ne laissent qu’à de brefs moments craquer l’armure et sortir un accent de vérité.
On dit dans le milieu théâtral que Macbeth porte malheur: mais pas du tout;  ici, la pièce fonctionne bien et est bien reçue par le public. On a juste envie d’être plus troublé, plus écorché par la poésie de Shakespeare, que la maîtrise de la mise en scène aille jusqu’au débordement.

Christine Friedel

Théâtre Nanterre-Amandiers, jusqu’au 13 octobre


Archive pour 17 septembre, 2013

Le soldat Ventre-creux

Le Soldat Ventre-creux de Hanokh Levin, texte français de Jacqueline Carnaud et Laurence Sendrowicz, mise en scène de Véronique Widock

Le soldat Ventre-creux soldat« Quand un soldat revient de guerre, il a… Simplement eu d‘la chance et puis voilà » : Yves Montand chantait ça, autrefois. Pour ce qui est de la chance, ce n’est pas si sûr, voir l’Histoire du soldat de Ramuz et Stravinsky : le diable et son violon magique lui ont pris trois ans contre trois jours et personne ne le reconnaît à son retour.
Celui-là aussi, comme le Sosie de Plaute puis de Molière, trouve à son retour sa maison occupée et sa femme dans les bras d’un autre, d’un autre qui prétend être lui-même.
Hanokh Levin réactive la farce tragique en introduisant un troisième Sosie : à côté du Soldat ventre-creux et du Soldat ventre-plein, vient s’inviter le Soldat ventre-à-terre, tenant ses tripes dans sa main comme le triste roi Renaud. Que va-t-il advenir de cette triple revendication ? Rien, parce que le plus fort reste le plus fort. La femme donnera un petit baiser et un petit bout de reconnaissance à chacun, mais le mieux nanti et le plus fort restera le mieux nanti et le plus fort, et  elle sera bien obligée de se soumettre à son pouvoir.
Le blessé, lui,  passera tout le temps de la pièce à mourir, et le ventre-creux ne cèdera jamais, malgré un bref moment de renoncement. Passe,  entre les trois Sosie,  un frêle enfant qui écoute de chacun sa chanson d’enfance et le récit-le même-de ses exploits. Les voisins sont aveugles ou sourds: c’est la guerre même pour l’arrière : le Soldat ventre-creux n’aura jamais pour lui ni preuve ni témoignage objectif qu’il est bien lui-même. Il lui suffit de trouver dans son appétit, dans le manque, la certitude de ce qu’il est. Il en entend peut-être un écho à peine perceptible dans le silence et la gravité de la femme, de l’enfant.
Stéphane Facco excelle dans ce personnage qui tient de l’Arlequin, affamé, virtuose de la comédie, obstiné, inventif, prenant le public à témoin… La mise en scène est de la même eau, forte et précise, à la hauteur de l’humour et de la vitalité de l’auteur, et de sa pudeur à dire le malheur.
On sait bien que Levin était obsédé par l’interminable guerre israélo-palestinienne. Ni sa pièce ni la mise en scène de Véronique Widock ne nous y confrontent directement, mais peut-être  sous le rire, sous le plaisir du travail bien fait, quelque chose de cette amertume trace un chemin ténu.

Christine Friedel

Théâtre de la Tempête, jusqu’au 19 septembre

Chloé Waysfeld

Chloé Waysfeld

Chloé Waysfeld equipe-chloeChloé Waysfeld vient de nous quitter, des suites d’un cancer. Le monde du lyrique, du théâtre et de tous ceux qui cherchent à bâtir des passerelles entre les deux,  est aujourd’hui privé d’un beau sourire et d’une belle énergie.
Après une importante carrière de soliste lyrique, elle crée La Piccola compagnie, avec Thierry Machuel et Jérôme Pellissier.
Très vite, Méli Mélodie son premier spectacle est en tournée avec les Jeunesses Musicales de France.
Puis avec Lettres à …,  elle propose une belle retranscription de paroles d’anciens, avec une grande pudeur et beaucoup de sensibilité, accompagnée à l’accordéon par Thierry Bretonnet. Amoureuse de mélodies et de lieds, elle crée un autre duo avec Thierry Breton et Anima Vocis, en  reprenant notamment les airs les plus célèbres qui mettent en scène des animaux (la truite, etc…)
Elle préparait en ce moment Les Lessiveuses Opéra dont les personnages sont  des mères de détenus,  dont le seul lien avec leurs enfants est le linge qu’elles lavent inlassablement. Trois chanteuses/comédiennes incarneront ces mères brisées,  autour de l’ensemble 2 e2m. La première du spectacle, qui aura lieu aux Ullis le 15 novembre prochain, sera sans  nul doute un moment fort et l’occasion de se souvenir du visage toujours  éclairé d’un sourire de Chloé  Waysfeld. Un visage qui continuera de nous troubler sous  les traits de Noémi Waysfled, sa jeune sœur, elle aussi  chanteuse de talent.

Julien Barsan
http://www.lapiccola.net/images/Equipe-chloe.jpg

au Monde

Au Monde, texte et mise en scène de Joël Pommerat.

au Monde au_monde-1-199x300La pièce,  comme Les Marchands qui va aussi être sur cette même scène ce mercredi,  » ne sont ni des reprises, dit Pommerat ni des re-créations mais deux spectacles que nous réveillons ». Au monde avait  été créé au Théâtre National de Strasbourg en 2004 puis accueilli au Paris-Villette par Patrick Gufflet, brutalement remercié par la mairie de Paris au printemps dernier. Au Monde avait aussi révélé au grand public Joël Pommerat dont l’écriture scénique, le jeu très physique des acteurs et l’espace scénographique bouleversait alors la dramaturgie contemporain. Mais depuis notre regard, et c’est normal,  s’est sans doute aussi modifié.
Neuf ans plus tard, La Réunification des deux Corées a consacré Joël Pommerat ( voir Le Théâtre du Blog) comme l’auteur/metteur en scène, artiste associé au Théâtre national-Bruxelles, le plus connu et le plus respecté dans l’hexagone mais aussi à l’étranger. Avec, sans cesse, plusieurs de ses spectacles à l’affiche un peu partout.
  Pour Au Monde, le cadre de scène doré de l’Odéon a été recouvert de tissu noir comme dans la salle, les places de côté condamnées, et on retrouve cette scène au sol et aux murs noirs, avec, juste une barre  verticale de lumière blanche presque éblouissante dans la pénombre où il a juste une longue table,  perpendiculaire au bord de scène et  recouverte d’une nappe blanche. Et cinq chaises, noires aussi bien entendu comme la plupart des costumes .
Cela fait de cet ensemble scénographique une remarquable installation d’art minimal (on pense à la fois  aux volumes stricts de Don Judd et de Sol Lewit, et  aux  barres lumineuses de Dan Flavin)-et un cadre exemplaire pour une intrigue réduite à sa plus simple expression. Cela se passe dans une famille de la grande bourgeoisie dont les protagonistes sont d’abord:  le père qui va venir s’asseoir au bout de la table. Il a quelque 80 ans et a tenu d’une main sûre un ensemble de sociétés d’armement mais, âgé, il voudrait en confier maintenant la direction à Ori, son plus jeune  fils, officier supérieur comme en atteste son uniforme aux nombreuses barrettes. Il veut  quitter définitivement l’armée mais rechigne à assumer les responsabilités de son père, ce qu’il finira par accepter.
Il y a aussi dans cet espace indéterminé son fils aîné mais aussi sa fille aînée qui est enceinte, et son mari, et  sa seconde fille, présentatrice vedette à la télévision et la plus jeune. Mais aussi une curieuse personne, une jeune femme qui a été embauchée par la fille aînée sans en avoir parlé à ses frère et sœurs qui le lui reprocheront ; elle  parle une langue inconnue et n’a pas de fonction précise dans la maison.
Vivent-ils tous ensemble? On peut le supposer mais, comme chez Pommerat,les identités comme les faits sont le plus souvent  étranges et semblent appartenir au domaine du rêve. Ce qui fait la force et en même temps la faiblesse de ces personnages hors du commun qui se parlent sans vraiment entrer en relation avec l’autre. Dans Au monde, on parle, on parle même beaucoup… Et on évoque ainsi le problème du travail dans la société contemporaine: « Le travail n’existera plus ». Mais, comme le dit Pommerat, ce n’est pas une pièce sur la famille en particulier, pilier de notre système économique, social, politique et sur son rapport au monde qui l’entoure » .
Le langage est parfois très cru comme dans La Réunification des deux Corées: « J’aimerais être une pute, une grosse pute, »dit l’une des sœurs. Nombre de ces conversations/soliloques, avec des conversations/considérations sur la philosophie de l’existence ont lieu devant un écran de télévision face public suggéré par une lumière blanche et surtout par une bande-son parodique de grande qualité signée François Leymarie.Est-ce la nuit, est-ce le jour, on ne sait plus trop, emmenés que nous sommes dans un parcours onirique, chargé d’angoisses et de doutes où la position du corps de chacun des personnages en dit long sur son identité. On ne sait pas non plus toujours très bien qui parle dans cette pénombre permanente, de l’un ou l’autre de ces frères, beau-frère et  sœurs. Comme si Joël Pommerat voulait encore un peu mieux brouiller les cartes?
Et cela fonctionne? Aux meilleurs moments, oui; la mise en scène, comme toujours chez lui, est d’une rigueur absolue, les acteurs (les mêmes qu’à la création, sauf trois dont le remarquable Philippe Lehembre, disparu l’an passé, qui jouait le père et auquel sont dédiées ces représentations) Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Angelo Dello Spedale, Roland Monod, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, David Sighicelli) sont tous impeccables, la scénographie épurée, et les lumières d’Eric Soyer son vieux complice, d’une grande sensibilité, les costumes de Marguerite Bordat, l’univers sonore de François Leymarie, en parfaite adéquation avec  cette intrigue  où le malaise des personnages est palpable. Tout le théâtre contemporain, y compris maintenant celui du théâtre de rue!-sans doute influencé par les émissions de télévision-souffre de cette utilisation de micros HF, mais, pour une fois, la légère amplification des voix, comme parfois celui des pas sur le sol, est tout à fait justifiée.
Mais on peut se demander si, à la création d’Au monde, nous n’avions  pas été d’abord et surtout bluffés et  séduits par lcet exercice de haute virutosité: lamise en scène de Pommerat, la scénographie d’Eric Soyer, et ces fameuses séquences rythmées par des noirs qui sont un peu comme sa signature; quelque neuf ans plus tard, on se dit que cette grande virtuosité de la mise en scène a pu faire oublier les faiblesses du texte.
Les personnages ne sont pas  vraiment au centre de la pièce, ce qui n’est en rien gênant, au contraire mais on a du mal à saisir ce que Pommerat voudrait mettre en valeur, à savoir l’écart entre les idéaux et leur vie au quotidien, entre  la réalité et la perception qu’ils ont du monde,  et « la contradiction entre leurs convictions et leur implication dans un système qui va à l’encontre de leurs convictions ». Mais on a l’impression toujours gênante au théâtre de n’être nullement concerné par ce qui est énoncé sur le plateau…

  Et dès le début, le spectacle, malgré encore une fois toute sa rigueur, et sa grande qualité plastique, a donc quelque mal à décoller. Dans une salle qui n’est sans doute pas vraiment faite pour ce type de spectacle! On ne dira jamais assez l’importance de la scénographie dans le théâtre contemporain et un spectacle de Pommerat a besoin de plus de proximité, de plus d’obscénité au sens, bien sûr, étymologique du mot.
Les Ateliers Berthier, où il a créé plusieurs  de ses spectacles  conviennent bien mieux à son univers. Ici, dans cette salle à l’italienne, il y a un manque évident de connivence entre les personnages et le public, et on s’ennuie un peu. Quelques rares  spectateurs déçus s’en vont- ce qui ne prouve rien mais  les applaudissements sont à la fin bien peu chaleureux.

Pommerat a sans doute raison: les premières représentations d’un spectacle-on le sait depuis longtemps-ont souvent quelque chose d’assez « raide et d’appliqué » et manquent de « grâce et d’intelligence ». Cet Au monde, « réveillé »  se montre  assez décevant; il se bonifiera sans  doute mais il n’est pas si sûr que, même à coups de petits réglages et de modifications, que le texte en sorte  valorisé .
Alors à voir? Si vous n’avez jamais encore vu un spectacle de Pommerat, ce n’est peut-être pas dans les urgences et mieux vaudra attendre Les Marchands, dont on vous reparlera.

Philippe du Vignal

 En alternance avec Les Marchands au Théâtre de l’Odéon à  Paris jusqu’au19 octobreet au Théâtre National de Bruxelles  T: 32 (2) 203 53 32 du 28 janvier au 2 févrieret à la Criée, Théâtre National de Marseille, en collaboration avec le Merlan, Scène nationale  T04-91-54-70 du 18 au 21 février.

 

Voyage avec ou sans bagage

Voyage avec ou sans bagage par la compagnie Bouche- à-Bouche,

Voyage avec ou sans bagage actu_gaucheMarie-Do Fréval aime les lieux insolites, elle crée des perturbations  dans les rues, sur les rives des fleuves, sur les places publiques devant des passants interloqués ou indifférents, noyautés heureusement par un public  complice. On se souvient de Ma mort n’est la faute de personne esquissé autour de l’Île Saint Louis, qu’on avait pu voir à Chalon dans la rue où elle évoquait les souffrances et la mort de Frida Kahlo, grande artiste mexicaine, compagne de Diego Rivera, en 2009.
Nous sommes convoqués sur le parvis de la gare RER, où  8 personnages accoutrés de costumes très colorés arrivent les bras chargés de valises,  d’uniformes de la RATP sur des cintres, et de mannequins blancs en chiffons. Ils s’allongent par terre en silence puis entrent  dans la gare, en escaladent les péages, suspendent leurs mannequins aux panneaux vitrés puis nous emmènent sur le quai du train qui part pour Arcueil. Et pendant un quart d’heure, ils déshabillent pour enfiler les uniformes de la RATP étrangement désaccordés, les filles restant en petite culotte, les garçons en short, mais avec la  veste réglementaire, chacun demandant aux passants de lui nouer sa cravate. Et puis ils sont montés dans le train pour Laplace, sans qu’on ait pu les suivre…

Edith Rappoport

Gare RER Denfert-Rochereau

http://www.cieboucheabouche.com

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