Antiteatre
Antiteatre d’après le dyptique de Rainer Werner Fassbinder, Anarchie en Bavière et Liberté à Brême, mise en scène de Gwenaël Morin,
L’antiteater de Rainer Werner Fassbinder-un concept que reprend à son compte Gwenaël Morin, est fondé sur une vision rageuse du monde jetée sur les plateaux de théâtre allemand, à la fin des années 60.
Le diptyque Anarchie en Bavière (1969) et Liberté à Brême (1971) répond historiquement au climat explosif de cette Allemagne de l’après-guerre qui, de 66 à 73, connaît les manifestations anti-américaines contre la guerre au Viet nam puis le terrorisme de la bande à Baader. Un climat d’instabilité dont Fassbinder se saisit avec fièvre.
Anarchie en Bavière met en scène la hargne active de révolutionnaires anarchistes. Les rebelles aimeraient « libérer » la famille traditionnelle bavaroise de la brutalité du libéralisme économique occidental, de son oppression sociale, culturelle et morale.
Un vaste programme politique voué à l’échec: d’un côté comme de l’autre, nul n’est préparé aux bouleversements en profondeur que requièrent une pensée libre et un comportement autonome et responsable, inscrit dans le bien public d’une société juste et égalitaire. La famille « Heure Légale » ne supporte plus la dépossession de sa journée de travail, la disparition de l’argent, la gratuité généralisée des services…
Les instincts individuels prennent le pas : travailler deux heures par jour est trop, quand on n’obtient pas de salaire. Certains n’obéissent plus qu’à des désirs instinctifs et inavouables: viols de jeunes filles et crimes d’enfants. La liberté ne se gagne qu’au bout d’un long parcours personnel d’éveil à la conscience, sinon les victimes peuvent, , à leur tour, devenir bourreaux.
On retrouve ce même rapport bouleversé à la vie chez Geesche, l’héroïne de Liberté à Brême, pièce sur la révolte d’une femme contre un environnement familial et social hostile-préjugés moraux et conventions chrétiennes. Geesche fait prospérer son entreprise après avoir empoisonné son mari, son amant, sa mère, ses enfants, son amie, des proches trop critiques qui n’entendent rien à sa philosophie de la vie : être soi et agir selon sa liberté intime. « Café ! Schnaps ! Journal ! », ces ordres virils ne concernent plus l’obéissance de l’ancienne mère au foyer.
Cette figure proche de la sorcière libertaire, fait songer à Hélène Jégado, une servante bretonne,du XIX ème siècle, qui tuait en série ses victimes à l’arsenic.
Le diptyque théâtral fassbinderien avance en stations successives, un égrènement de scènes stéréotypées à la façon brechtienne, un chemin de croix un peu trop démonstratif à la dialectique éculée. Gwenaël Morin en rajoute encore sur la distanciation en installant sur la scène un annonceur avec tambour et fracas. Dont la voix stridente qui se veut froide et objective, assèche et durcit la représentation.Bref, une leçon de théâtre aujourd’hui un peu usée avec ses stéréotypes ressassés.
L’ensemble de Gwenaël Morin joue sur l’urgence assénée des propos et l’action précipitée des personnages qui brûlent sans compter toutes leurs cartouches. Mais nez rouge et vêtements de tous les jours, tables de tréteaux renversées puis replacées, scènes de violence quotidienne jouées à la va-vite, courses sur le plateau ou bien cheminement tranquille, la mécanique scénique, répétitive et attendue, s’enraye dans son ironie affichée. L‘élément perturbateur, réduit à lui seul, fait tourner à vide la leçon didactique. Liberté à Brême convainc davantage; Barbara Jung dans le rôle principal excelle avec tous les autres acteurs, grâce à leur vitalité et à leur présence sur le plateau.
Véronique Hotte
Diptyque : Anarchie en Bavière et Liberté à Brême, Intégrale : Anarchie en Bavière, liberté à Brême, Gouttes dans l’océan, Le Village en flammes au Théâtre de la Bastille. Tél : 01 43 57 42 14 Festival d’Automne : 01 53 45 17 17