la Noce chez les petits-bourgeois
Noce de Bertolt Brecht, mise en scène d’Olivier Perrier.
On la connaît, cette Noce remise sur le métier chez les petits-bourgeois par le jeune Brecht. C’est sarcastique à souhait: il dézingue la pauvre passion des apparences de ce jeune marié « qui a tout fait lui-même » pour son futur foyer, pour cette jeune mariée chaste et pure… et déjà enceinte. Brecht tire à vue sur la sottise et la méchanceté–volontaire ou non-des invités, leur vulgarité, l’obscénité de la fausse joie et des youpi de la fête...
Le copain pelote outrageusement la mariée, le couple d’ »amis » préfigure lamentablement l’avenir des “héros du jour“. Et l’on boit, et l’on boit, et l’on monte encore des bouteilles de la cave, et tout se déglingue, craque lamentablement dans la honte et la souffrance.
Et nous, en face, nous rions de ce désastre, pas si loin de ces invités odieux et pitoyables. Pourtant quelque chose dans le spectacle nous sauve, nous laisse du bon côté de la vie. Ce n’est rien d’autre que l’art du théâtre. Olivier Perrier, en effet, ne triche ni avec la pièce ni avec les personnages.
Et d’abord, il a une trouvaille rare:les personnages–les comédiens entrant en scène-saluent non comme d’habitude à la fin mais avant la représentation. Nous voyons donc le comédien se transformer en personnage, nous sommes pris en considération. Du coup, cela nous amène à prendre aussi en considération ces pantins en face de nous, hommes et femmes. Respect dans la cruauté!
À la toute fin, quand tous les invités sont partis, amers, chassés, ridicules, furieux, il ne reste plus que le jeune couple: le marié et la mariée se vengent l’un sur l’autre de la soirée ratée et des apparences trahies.
On ne rit pas : Brecht a vu toutes ces rancœurs faire le lit du nazisme, à nous de tenter d’être moins moches… Cela dure jusqu’à l’insupportable, et jusqu’au sublime: les deux jeunes mariés sont maintenant tombés au plus bas, alors peut-être partageront-ils ensemble ce malheur, et ce sera le début, fragile, d’un amour très petit mais véritable.
Le tout est réglé avec une précision incroyable, et un sens unique de la temporalité. Du coup, nous rions aussi, le cœur libre, du plaisir de cette maîtrise. Ça ne se passait pas n’importe où-ce serait possible-mais au Cube de Hérisson qui abrite aujourd’hui la compagnie La Belle Meunière de Pierre Meunier (on pourra la voir en décembre au théâtre de la Bastille à Paris), et les jeunes compagnies qui viennent y répéter et y préparer leurs spectacles. Ainsi l’a voulu naguère, obstinément, Olivier Perrier, fédéré avec Jean-Paul Wenzel et Jean-Louis Hourdin : décentraliser la création théâtrale dans un village.
Et ça marche: la petite commune de Hérisson est devenue –avec quelle fierté- lieu de création théâtrale d’importance nationale. Les Anglais du Footsbarn Travelling Theatre sont venu y planter leur base, d’autres, innombrables, sont venus s’y ressourcer. Les mêmes Fédérés, toujours aussi obstinés, ont obtenu la création d’un théâtre à la mesure de leurs inventions à Montluçon, puis le titre de Centre Dramatique National. Titre ? Pas seulement. C’est bien davantage une responsabilité politique : prouver, par la joie et les belles œuvres partagées, que le théâtre est un besoin et les CDN une nécessité. À Montluçon, les Fédérés ont laissé la place au Festin, dirigé par Anne-Laure Liégeois, puis au Fracas.
Pour les vingt ans du CDN, Johanny Bert, son actuel directeur, a voulu que la fête dure toute la saison. Lui-même y donnera ses créations, Anne-Laure Liégeois reviendra à Montluçon avec son Macbeth. Et c’est Olivier Perrier qui a ouvert le bal à Hérisson, là où toute cette aventure est née.
Sa Noce, créée il y a onze ans et reprise avec les mêmes acteurs pour l’occasion, ne partira pas en tournée. On peut le regretter, mais le théâtre peut aussi être un cadeau magnifique et éphémère. Cet article n’est pas là pour vous dire: allez-y, mais pour vous rendre exigeants si une Noce chez les petits bourgeois passe près de chez vous : vous avez droit au meilleur théâtre, et partout.
Allez voir.
Christine Friedel
Le Fracas, Centre Dramatique National de Montluçon-Région Auvergne, 04 70 03 86 18
Pascal Rénéric (le jeune marié) a réalisé en 2002, au moment de la création de La Noce à Hérisson un film de 23 minutes, Fausse noce d’une rare drôlerie, d’une liberté et d’une originalité plus rares encore, jusqu’à la poésie. Et ce n’est pas un vain mot. Il ne nous reste qu’à organiser une pétition pour qu’il soit diffusé.