Letzte tage, Ein Vorabend, Derniers jours. Une veillée
Letzte tage, Ein Vorabend, Derniers jours, Une veillée, texte et mise en scène de Christoph Marthaler (spectacle en allemand surtitré).
Une part fondamentale de l’histoire de l’Europe avec ses meurtrissures indélébiles s’invite aujourd’hui au théâtre de la Ville. Chistoph Marthaler nous convie à assister à une séance publique de l’ancien parlement de Vienne. qui, contrairement à ce que montre la photo de l’’affiche, ( ci-contre), n’est pas recréé ici. Les 500 spectateurs sont en effet assis sur la scène, face à la salle. De quoi perdre un peu nos repères spatio-temporels.
Cela se passe à la veille de la première guerre mondiale. Mais nous sommes aussi au 200 ème anniversaire de la libération du camp de Mauthausen-Gusen. Nous pourrions être aussi au Parlement hongrois où le président de la République, le nationaliste Victor Orban prononce un discours.
Le metteur en scène fait alterner passé et futur pour nous mieux faire percevoir le présent, et nous mettre en garde contre les risques de l’avenir. Pour lui, l’histoire n’est qu’un éternel recommencement. On entend le discours antisémite de Karl Lueger, maire de Vienne en 1913, ou celui d’une député viennoise du parti nationaliste de Jörg Haider en 2007, et ses propres écrits à lui, Chistoph Marthaler, où il reprend parfois des notices biographiques de musiciens juifs morts dans les camps de concentration.
Comme en contrepoids des discours racistes et antisémites, la musique constitue le personnage central du spectacle et a une sorte d’action cathartique. Le metteur en scène a repris les musiques de compositeurs juifs déportés, en particulier ceux qui sont passés par Terezin, comme Viktor Ullmann ou Pavel Hass. Terezin qui était un exemple de camp «privilégié» et constituait un élément primordial de l’entreprise de propagande nazie. Mais aussi un lieu de transit pour les artistes juifs, allemands ou tchèques avant d’être envoyés à Auschwitz.
La vie culturelle y tenait une place essentielle, soutien de vie et d’espoir mais aussi travestissement de la réalité et de son avenir meurtri par les nazis. Et de nombreux compositeurs y ont écrit leurs musiques. Karel Fröhlich, un violoniste, témoigne, dans La Musique à Terezin, de la puissance de l’action créatrice: « Pour un artiste, cela a représenté une formidable opportunité de travailler pendant la guerre dans le domaine qu’il s’était choisi. Nous n’avions rien d’autres à faire que jouer. Cependant, il fallait tenir compte d’un facteur essentiel. Nous ne jouions pas vraiment pour un public, puisqu’il disparaissait continuellement! ».
Pour Chistoph Marthaler, la musique est à la fois un témoignage du passé, et un cri d’alerte pour le futur. Il a, pour ce spectacle, travaillé avec des comédiens, des chanteurs et des interprètes, et quatre pianistes jouent dans la salle et un autre, sur la mezzanine du hall d’entrée. Malgré certaines longueurs, ce spectacle est essentiel: le théâtre devient ici un lieu de mémoire et de commémoration pour un public, qui est de plus en plus éloigné de ce moment cruel de l’Histoire.
Les voix entendues sont d’une beauté douloureuse, et la dernière demi-heure, presque exclusivement consacrée à la musique, retentira longtemps dans la mémoire sensorielle du public. Goethe disait: « Vivez le moment présent, vivez dans l’éternité ». Ce qui s’est produit pour de nombreux artistes, il n’y a pas si longtemps en Europe …
Jean Couturier
Festival d’Automne/Théâtre de la Ville, jusqu’au 2 octobre.