Il( Deux) de Mansel Robinson

II (Deux)  de Mansel Robinson, traduction de Jean-Marc Dalpé, mise en scène de Geneviève Pineault.

 Zones théâtrales, une  biennale qui regroupe des artistes des scènes  francophones du Canada, a présenté neuf spectacles créés  en Ontario,  Québec, et Acadie (Nouveau Brunswick). qui mettent en scène des  univers à la fois réalistes, singuliers et poétiques, qui s’ouvrent sur des aventures intérieures des plus troublantes.
Deux textes ont retenu l’attention :  II (Deux)  de Mansel Robinson  (Toronto), traduit en français par le comédien et l’auteur dramatique  d’origine franco-ontarienne Jean-Marc Dalpé,  qu’il joue avec Elkahna Talbi. Et À tu et à moi de Sarah Migneron, avec onze comédiennes sur un plateau couvert  de douzaines d’oranges. Chaque  spectacle fondé sur  un choix esthétique différent présente une réflexion sur le processus de jeu et l’orientation de l’acteur dans l’espace.

II (Deux) met en scène  un homme et une femme qui réagissent dans deux espaces-temps différents. Enfermés  dans un lieu clos qui ressemble  à une prison et à une cage,  Mercier, le mari, subit un interrogatoire policier: il a assassiné sa femme Maha, qui  nous livre une confession dans un aéroport, peu avant de se faire assassiner par son mari.
Au début, l’astuce est efficace. Il s’agit de comprendre comment le mari a pu basculer dans la méfiance, la peur  et la violence devant cette femme qu’il a toujours aimée. Maha est étrangère et  musulmane. Elle parle de son amour, mais aussi de son malaise dans notre pays, des  insultes qu’elle y subit et de la  relation illicite qu’elle a avec un certain Ka .

Le personnage le plus intéressant est, bien sûr, le mari, noyé dans des discours haineux qui le bombardent de tous les côtés, et auxquels il ne  résiste pas.  Il se  transforme en être paranoïaque  est c’est assez horrible, même si Dalpé, crispé et déchiré par l’horreur du geste de son  personnage, n’arrive pas à exprimer toutes les nuances du texte. Il a l’habitude des interprétations musclées et réalistes mais ce style d’animal agité, était de trop et on n’a pas vraiment saisi la transformation de cet être en bête qui tue. En revanche, Mme Talbi est délicate, très préoccupée par sa trahison, et recèle une grande  fragilité qui attire notre sympathie.
Un beau texte qui est aussi très opportun, mis en scène par 
Geneviève Pineault et  co-produit par le Théâtre du Nouvel-Ontario (Sudbury) et le Théâtre de la Vieille 17 (Ottawa).

Alvina Ruprecht

 

Le spectacle a été présenté  à la Cour des Arts d’Ottawa, les 10 et 11 septembre.

 

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Archive pour septembre, 2013

A tu et à moi de Sarah Migneron

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À tu et à moi de Sarah Migneron, mise en scène de Joël Beddows.

L’Atelier de l’Université d’Ottawa, s’inscrit dans une démarche à la fois artistique et savante, menée par le Centre de Recherche en civilisation canado-française.  Il s’agit pour ses animateurs de sortir des chemins battus du réalisme et de contribuer au renouvellement esthétique du théâtre franco-ontarien, tout en formant  une nouvelle génération de chercheurs et de praticiens s’intéressant à ce théâtre francophone hors  du Québec.
Le texte de Sarah Migneron tient  à la fois d’une partition pour voix, et d’un scénario de situations mises en espace par un chorégraphe (on parle de dramaturgie corporelle),  où se mêlent  les voix et les corps qui  font penser aux chorégraphies de la célèbre Martha Graham.
Le résultat qui résulte d’un travail collectif- est la création du  paysage intérieur d’une jeune personne, 
instable, fluide et changeante,  dont l’identité est impossible à cerner.  Incarnation d’une présence post-moderne qui se révèlent par bribes, à partir de ses  gestes, de ses pulsions, désirs, hallucinations, et frayeurs.
Les corps  bougent sans arrêt, les créatures s’enlacent, se tiennent, se relâchent et repartent. Elles sourient,  adoptent des rythmes rapides, et expriment leur joie, leurs désirs parfois érotiques, ou cruels, voire sadiques, en gribouillant des graffitis sur les murs, en déchiquetant des oranges et en écrasant la pulpe sur la tête.  Le jus coule sur leur  visage comme un filet de sang. Un moment d’anthropophagie malaisé qui évoque  la dévoration mutuelle possible par ces jeunes créatures en voie de perdre leur humanité.
D’étranges personnages qui, dans leur ensemble, captent  le paysage intérieur d’une jeune personne qui cherche une sœur? Une mère, son double?  La jeune voix qui raconte l’ histoire est frappée par une foule de formes vivantes masqués qui le dévisagent derrière la fenêtre du régisseur.  Dans un  arrière-plan purement théâtral qui inscrit l’identité dans la nature même de la performativité.
Un théâtre qui bannit toute psychologie et qui installe une présence figurative définie  par la réitération de ses mouvements à l’infini. La parole est ici superflue. Ne sommes-nous pas revenus aux origines de la danse moderne?

Alvina Ruprecht

Le spectacle  co-produit par l’Atelier et le Centre de Recherche en francophonie canadienne,a été  présenté au studio Léonard Beaulne, Université d’Ottawa.

Hannibal

Hannibal, de Christian Dietrich Grabbe, traduction de Bernard Pautrat, mise en scène de Bernard Sobel.

Hannibal hannibalPour  Christian Dietrich Grabbe (1801-1836), l’Histoire est perçue comme une vaste mascarade toujours recommencée. Napoléon ou les Cent-Jours (1831), montée déjà en 96 par Bernard Sobel, grand connaisseur du théâtre allemand, est l’œuvre maîtresse de ce dramaturge désenchanté d’outre-Rhin qui démolit la politique napoléonienne à partir de perspectives diverses,  et qui répond à  une vision de l’Histoire forcément sceptique pour ne pas dire nihiliste.
Hannibal (1835)  présente une fresque moins directement politique pour atteindre à une modernité devenue universelle. Le héros est pris dans l’étau de deux impérialismes économiques antithétiques, Rome et Carthage, à l’époque des guerres puniques entre le IIe et le Ier siècle avant J.C.
Selon Sobel, l’Histoire, lointaine ou proche, compose la matière poétique de l’œuvre méconnue de Grabbe, pourtant apte à mieux nous faire comprendre notre présent.
Sans illusions mais sans amertume, Hannibal, chef des armées carthaginoises, est lucide sur les calculs politiques et les stratégies de ses adversaires. Ainsi, en face, les Romains avec les frères Scipion ; et dans son propre camp, les alliés carthaginois qui, au lieu de le soutenir, le tiennent à l’écart, et ne lui fournissent pas les renforts nécessaires pour aider à une  victoire sur Rome.
Comment cacher une douleur longtemps éprouvée ? Telle est la question que se pose Hannibal, conscient dans sa solitude que l’homme égaré ne voit-hors de tout système-que « ses plus lointaines nébuleuses, et non ce qui est devant lui. »
Le héros qui aura tout fait pour triompher, se soustrait à la fin à ceux qu’il aura fait trembler, buvant une fiole préparée pour son suicide. Un héros libre infiniment. L’action d’Italie se déroule en Espagne,  et à Carthage  et Asie mineure, entre les sacrifices humains rendus à Moloch, la chute de Numance et l’incendie de Carthage.
À partir d’une Histoire aux événements approximatifs, la mise en scène invite à un voyage poétique dont l’esthétique est lumineuse. Le décor de Lucio Fanti participe de cette épopée géographique et guerrière. Un plateau de parquet de bois  à amples marches montantes vers un ciel de nuit étoilée, une carte topographique  au loin en ombres chinoises, où est esquissé le Sud de l’Europe, le pourtour méditerranéen, et l’Afrique du Nord. Les lieux et les temps de la bataille sont évoqués alternativement,  Carthage ou Rome avec  des tours de couleur et des toits,  comme en peignait Giotto, qui  descendent des cintres  donnant vie à un conte féérique.
La prose poétique de Grabbe évoque l’Afrique avec ses marchés: esclaves noirs, enfants, pucelles, filles de roi et veuves âgées. Des marchés où l’on vend en même temps, girafes, chameaux, autruches, lions et éléphants. Puis Rome advient encore avec le Sénat et ses tribuns aux parures éclatantes. L’armée napoléonienne est également rappelée avec ses atours militaires identifiables. Des rappels encore du Prince de Hombourg de Kleist, qui serait décalé et anachronique. Les acteurs, choisis avec rigueur, dont le baroque Pierre-Alain Chapuis, Claude Guyonnet, Jean-Claude Jay…participent à cette  fresque glorieuse, portant haut le verbe déclamé
Jacques Bonnaffé, lui,  rend vie à Hannibal, le héros moderne-notre contemporain-qui commente, en les méditant, les relations de pouvoir. Le discours clairvoyant du viril chef des armées se déplie sous le regard attentif et l’écoute intense du public : une pensée tour à tour confiante en l’humanité et se défiant d’elle.
Un texte d’envergure éclairé par la justesse de la mise en scène.

Véronique Hotte

  Les représentations se suivent et ne se ressemblent pas toutes, c’est un fait assez banal au théâtre … Nous étions à cet Hannibal deux jours avant celle à laquelle assistait notre amie Véronique et nous sommes loin d’avoir la même admiration pour ce spectacle. Et c’est un euphémisme! C’est vrai que nous avons raté le début à cause d’une erreur de lecture de l’horaire, mais le texte de Grabbe,  ne nous a pas paru vraiment très passionnant sur le plan théâtral,  même si le personnage d’Hannibal, bien joué par Jacques Bonnafé,  a quelque chose d’attachant. Et, dans une salle à moitié vide-ceci expliquait peut-être cela- le spectacle  se traînait, sans beaucoup de rythme. Et le reste de la  distribution est assez médiocre, si l’on excepte Pierre-Alain Chapuis, Claude Guyonnet et Jean-Claude Jay. Désolé,  le spectacle distillait ce soir-là, un ennui de premier ordre.
Certes le décor de Fanti est celui d’un bon peintre, et ces grandes maquettes de villes italiennes sont très belles mais quelle curieuse idée d’avoir imaginé ces grandes marches qui ne servent pas le jeu des acteurs  et dont l’un a failli tomber… Et on oubliera le n’importe quoi et la laideur des costumes.  Quant à la mise en scène de Sobel, elle nous a paru sèche et bien conventionnelle et on l’a connu plus inspiré comme  directeur d’acteurs…
  Le spectacle dure plus de deux heures ! Et c’est long, long! Il est vrai que, sur la fin, il  prend tout d’un coup de belles couleurs dramatiques  quand Hannibal s’empoisonne. Mais il il faut les mériter ces quelques minutes! Cet Hannibal semble avoir divisé la critique: une mienne consœur et un mien confrère m’ont avoué s’être profondément ennuyés mais une autre mienne consœur trouvait que, même si la distribution était loin du compte,  le spectacle dans son ensemble était intéressant. Mais…  aucune des trois n’avait la moindre intention d’y retourner!
Donc, à vous de juger mais, en tout cas,  nous ne vous y pousserons pas  à y aller.

Philippe du Vignal

Théâtre de Gennevilliers. Tél : 01 41 32 26 10,  jusqu’au 4 octobre,  les mardi et  jeudi à 19h30, les mercredi, vendredi et  samedi à 20h30, et le  dimanche  à 15h.

Antiteatre

Antiteatre d’après le dyptique de Rainer Werner Fassbinder, Anarchie en Bavière et Liberté à Brême, mise en scène de Gwenaël Morin,

Antiteatre  anarchieL’antiteater de Rainer Werner Fassbinder-un concept  que reprend à son compte Gwenaël Morin,  est fondé sur une vision rageuse du monde jetée sur les plateaux de théâtre allemand, à la fin des années 60.
Le diptyque Anarchie en Bavière (1969) et Liberté à Brême (1971) répond historiquement au climat explosif de cette Allemagne de l’après-guerre qui, de 66 à 73, connaît les manifestations anti-américaines contre la guerre au Viet nam puis le terrorisme de la bande à Baader. Un climat d’instabilité dont Fassbinder se saisit avec fièvre.
Anarchie en Bavière
met en scène la hargne active de révolutionnaires anarchistes. Les rebelles aimeraient « libérer » la famille traditionnelle bavaroise de la brutalité du libéralisme économique occidental, de son oppression sociale, culturelle et morale.
Un vaste programme politique voué à l’échec: d’un côté comme de l’autre, nul n’est préparé aux bouleversements en profondeur que requièrent une pensée libre et un comportement autonome et responsable, inscrit dans le bien public d’une société juste et égalitaire. La famille « Heure Légale » ne supporte plus la dépossession de sa journée de travail, la disparition de l’argent, la gratuité généralisée des services…
Les instincts individuels prennent le pas : travailler deux heures par jour est trop,  quand on n’obtient pas de salaire. Certains n’obéissent plus qu’à des désirs instinctifs et  inavouables:  viols de jeunes filles et crimes d’enfants. La liberté ne se gagne qu’au bout d’un long parcours personnel d’éveil à la conscience, sinon les victimes peuvent,
, à leur tour,  devenir bourreaux.
On retrouve ce même rapport bouleversé à la vie chez Geesche, l’héroïne de Liberté à Brême, pièce sur la révolte d’une femme contre un environnement familial et social hostile-préjugés moraux et conventions chrétiennes. Geesche fait prospérer son entreprise après avoir empoisonné son mari, son amant, sa mère, ses enfants, son amie, des proches trop critiques qui n’entendent rien à sa philosophie de la vie : être soi et agir selon sa liberté intime. « Café ! Schnaps ! Journal ! », ces ordres virils ne concernent plus l’obéissance de l’ancienne mère au foyer.
Cette figure proche de la sorcière libertaire, fait songer à
Hélène Jégado, une servante bretonne,du XIX ème siècle,  qui tuait en série  ses victimes à l’arsenic.
Le diptyque théâtral fassbinderien avance en stations successives, un égrènement de scènes stéréotypées à la façon brechtienne, un chemin de croix un peu trop démonstratif à la dialectique éculée. Gwenaël Morin en rajoute encore sur la distanciation en installant sur la scène un annonceur avec tambour et fracas. Dont  la voix stridente qui se veut froide et objective, assèche et durcit la représentation.Bref, une leçon de théâtre aujourd’hui un peu usée avec ses stéréotypes ressassés.
L’ensemble de Gwenaël Morin joue sur l’urgence assénée des propos et l’action précipitée des personnages qui brûlent sans compter toutes leurs cartouches. Mais nez rouge et vêtements de tous les jours, tables de tréteaux renversées puis replacées, scènes de violence quotidienne jouées à la va-vite, courses sur le plateau ou bien cheminement tranquille, la mécanique scénique, répétitive et attendue, s’enraye dans son ironie affichée. L‘élément perturbateur, réduit à lui seul, fait tourner à vide la leçon didactique. Liberté à Brême convainc davantage; Barbara Jung dans le rôle principal excelle avec tous les autres acteurs, grâce à leur vitalité et à leur présence sur le plateau.

Véronique Hotte

Diptyque : Anarchie en Bavière et Liberté à Brême, Intégrale : Anarchie en Bavière, liberté à Brême, Gouttes dans l’océan, Le Village en flammes au Théâtre de la Bastille. Tél : 01 43 57 42 14 Festival d’Automne : 01 53 45 17 17

Les invisibles

Les Invisibles, quête initiatique entre songe et réalité, texte et mise en scène de Nasser Djemaï.

Les invisibles photo_invisibles_delacroixphilippe_034On les appelle les chibanis, ils ont les cheveux blancs et un parcours courageux, chaotique. Ils ont gardé dignité et humour malgré des années de labeur passées en France, déracinés et peu considérés. Ils venaient de l’autre côté de la Méditerranée, d’Algérie. Les années ont passé, ils sont à la retraite, obligés pour percevoir leurs droits de rester six mois par an sur le territoire français, presque oubliés de leur propre famille restée au pays. Coincés dans un foyer Sonacotra dont ils ne veulent plus bouger, il leur reste la solidarité et l’humour du désespoir, qu’ils nous font partager.
Le scénario nous emmène au pays des désillusions, avec Martin (David Arribe), jeune adulte qui, après la mort de sa mère, Louise, (Chantal Mutel, sur écran), part à la recherche d’un père dont elle ne lui a jamais parlé et qu’il va reconnaître dans ce foyer. Il s’invente une identité. «On est tous pareils ici, travailleurs, émigrés, tolérés», lui dit-on pour le calmer. Et cela lui renvoie la dureté d’une vie d’immigré. «C’est l’incendie à l’intérieur», dit Martin, jusqu’au délire, tandis que par moments défilent des images en fond de scène, images de la mémoire, référence au pays (création vidéo de Quentin Descourtis).
Dans ce chœur d’hommes éprouvés où chacun se raconte, El Hadj s’est absenté du monde (Azzedine Bouyad), témoin muet assisté par les autres qui, quotidiennement, le prennent en charge. Et que fait-on dans un Sonacotra ? On joue aux dominos sur la table en formica, on règle les problèmes de papiers, on va à la mosquée, on s’occupe d’envoyer de l’argent, ou de prendre une bonne assurance obsèques pour enfin, les pieds devant, rentrer au pays et appartenir à la terre qu’on a, dans sa tête, jamais quittée. Papiers, santé, mosquée, sont les leitmotiv des journées.
C’est un conte philosophique cruel, qui nous tend un miroir, des histoires de vie brisées, discrètement pudiques, sans agressivité, un exemple noir de l’exploitation de l’homme par l’homme. L’autre, au visage buriné comme un paysan ou un pêcheur, ces travailleurs des intempéries, était là pour trimer. Ouvriers de toutes spécialités, ils ont asphalté les routes et construit les HLM et n’existaient que comme travailleurs. Quand leur valeur travail, avec l’âge, s’est effacée, ils sont devenus invisibles, on les a oubliés. Ils s’appellent Majid (Angelo Aybar), Hamid (Azize Kabouche), Shériff (Kader Kada) et Driss (Lounès Tazaïrt).
Travailler en France, ou partir pour l’enfer, toute utopie s’arrêtait net à l’arrivée. «J’ai le mauvais œil» dit l’un. «Il n’y a que la parole pour remonter à la surface» dit l’autre. Et chacun d’assurer les gestes de la vie quotidienne : repassage, rasage, jeu, courses et discussions. La solitude, vive, l’été incertain, au bled où on ne vous attend plus ; le mariage d’une fille où, faute de moyens, vous ne pouvez aller ; l’enfant au pays qui meurt de l’abandon ; les gestes symboliques, comme ce couteau qui se transmet de génération en génération ; le mépris de l’ancien combattant de l’armée française, montré du doigt ici comme là-bas. Comment parler, comment se retrouver ?
Assis sur un banc, au soleil, (la scénographie est de Michel Gueldry), ils ont encore la force de railler et rient de ce qu’ils étaient, cheveux enduits de gomina ou d’huile d’olive. Ils regardent la rue et la commentent : «Les jeunes, ils devraient bien aller faire un stage au bled» ! Ils refusent la maison de retraite, nulle envie de bouger, plutôt se tenir chaud ensemble, avec les habitudes, les amis, les rituels, même si la chambre ne fait que 5 m2.
«On a construit des logements pour les autres. Toute la vie, on a été invisibles. Toute la vie ils ont menti : sur la guerre, sur le logement, sur la retraite». Cette quête initiatique, plus proche de la réalité que de la fiction, est magnifiquement interprétée par des comédiens à la présence magnétique. Leurs personnages, complices et fraternels, sont porteurs d’une grande humanité. La fin du spectacle est belle, quand Martin ayant reconnu son père, peut partir et marque son appartenance d’homme algérien, par une accolade à chacun : il fait enfin partie des leurs.
Le voyage est éprouvant, dans son écriture et sa représentation simples, mais si efficaces. Chapeau bas à Nasser Djemaï de s‘être aventuré sur ces chemins d’ombre, en collectant la parole des chibanis dans les cafés sociaux et les foyers près des mosquées, un pas vers la réhabilitation de ces travailleurs oubliés qui ont bâti notre pays de l’après-guerre, dans ces années ironiquement intitulées les trente glorieuses.

Brigitte Rémer

Théâtre 13/jardin, 103 A Boulevard Auguste Blanqui. 75013. Métro Glacière. Tél : 01-45-88-62-22. Mardi, jeudi et samedi à 19h30, mercredi et vendredi à 20h30, dimanche à 15h30, jusqu’au 20 octobre, puis en tournée en France jusqu’en mai 2014 (dont à : Lyon/Théâtre de la Croix Rousse, du 23 au 26 octobre, Nantes/Le Grand T, du 21 au 30 janvier, Ivry/TQI, du 6 au 16 mars).

 

photos jointes

Mention : Philippe Delacroix

Les Marchands de Joël Pommerat

Les Marchands de Joël Pommerat les_marchands-1

Les Marchands, texte et mise en scène de Joël Pommerat.

Le cadre de scène noir est le même que pour Au monde (voir Le Théâtre du Blog); cette fois, le sol est gris et il y a juste une table et deux chaises avec siège et dossier en stratifié et pieds en inox des années cinquante, un poste de télévision ventru puis une sorte de comptoir de bar incolore. Deux jeunes sont femmes assises. Eclairage limité  à une seule ampoule sous abat-jour métallique.
On entend la  voix  off  d’une narratrice (Agnès Berthon) que l’on retrouvera tout au long de la pièce, comme une sorte de fil rouge. Elle dit simplement: « La voix que vous entendez en ce moment, c’est ma voix. […] C’est moi que vous voyez là, voilà,  c’est moi qui me lève, c’est moi qui vais parler… […] J’étais son amie à elle, elle que vous voyez là, assise à côté de moi ». Nous la verrons ensuite parfois sur scène: elle porte un corset orthopédique, à cause d’un corps cassé par de longues années de travail chez  Norsilor. Mais il y a eu une explosion et l’usine d’armement est menacée de fermeture, avec, à la clé, des centaines d’emplois  supprimés. Elle raconte de façon assez naïve, comme au second degré- et c’est en est encore plus fort- la vie de son amie au chômage.
Comme les autres ouvriers, elle  n’a pas grand chose dans sa pauvre vie, sinon son travail. Et le chômage qui semble inévitable signifie pour eux tous une perte absolue d’identité.
Le spectacle est constitué d’une suite de courtes scènes où les autres personnages, souvent en ombre chinoise, commentent avec quelques paroles généralement inaudibles, ce que dit la narratrice d’une voix un peu lasse et le plus souvent monocorde.
Mais leur jeu, loin d’être illustratif, est en décalage avec ce qu’elle dit.
Notamment quand elle nous raconte cette lamentable histoire d’une jeune femme qui a poussé une première fois son petit garçon du haut d’un balcon. Il a échappé par miracle à la mort.

C’est sans doute une façon pour elle de dire sa vérité à la société qui l’entoure, en proclamant  le scandale de cette fermeture d’usine. Et sa seconde tentative pour tuer son enfant sera la bonne: l’enfant mourra. Mais devant ce qui s’apparente à un sacrifice humain, la Direction de l’usine renoncera à son projet de fermeture. Dans cette fable sur le monde du travail,  la dernière phrase est des plus explicites: « Est-ce donc le travail qui nous lie ainsi si fortement? » C’est en effet le seul effet positif de la maltraitance cyniquement imposée par le capitalisme. Joël Pommerat sait comme personne dire cette identité commune, quand il ne saurait être question d’investissement personnel: ici les tâches répétitives et ingrates exigent du corps, un effort permanent dont on n’a guère idée quand on n’y a pas été soumis. Il a mis en scène de façon exemplaire cette souffrance physique- mais aussi psychique! Avec inévitablement une certaine dépossession de soi chez les ouvriers aux travail dans cette séquence qui revient plusieurs fois. On les voit sur une chaîne de montage figurée par une poutre éclairée et  par un vacarme de tôles embouties.

La mise en scène est d’une grande intelligence et jusqu’à la fin, garde toute son unité. Avec une direction d’acteurs exceptionnelle et un vocabulaire scénique très maîtrisé, que ce soit la scénographie et les lumières d’Eric Soyer, les costumes d’Isabelle Deffin et la bande-son admirablement construite de François et Grégoire Leymarie. Tout ici est d’une rare virtuosité, mais jamais gratuit, que ce soit dans les bruitages ou les chansons populaires comme L’Amour est un bouquet de violettes de Francis Lopez chantée par Luis Mariano,  ou une mélodie de Georges Delerue. On retrouve les mêmes acteurs que dans Au monde, sauf Roland Monod  et Murielle Martinelli joue l’enfant.

Le  spectacle, créé il y a sept ans, n’a pas une ride. Une petite réserve? Oui, encore une fois, comme pour Au Monde, l’autre spectacle de Joël Pommerat ici présenté,  l’Odéon ne parait pas être le cadre le plus adapté mais bon, on ne va pas faire la fine bouche et comme pour Au Monde, il faut aussi laisser le temps à cette re-création de s’installer. En tout cas, ne la ratez pas. C’est, sans aucun doute, l’un des meilleurs spectacles de cette saison.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 19 octobre, Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, Paris (VI ème), en alternance avec Au Monde.

L’Anniversaire

L’Anniversaire d’Harold Pinter, traduction d’Eric Kahane, mise en scène de Claude Mouriéras.

L'Anniversaire pinter« - C’est toi ? -Oui c’est moi…  etc. » , histoire de parler sans avoir rien à dire. Quoi de plus banal et risible que le dialogue qui s’instaure d’entrée de jeu entre Peter et Meg, un couple qui sonne creux. Ils vivent dans une petite maison au bord de la mer où ils accueillent épisodiquement des pensionnaires.
Stanley, leur unique client, soit-disant pianiste au chômage, s’est incrusté chez eux et a  une liaison avec  Meg. Arrivent deux visiteurs aux intentions obscures, en rapport (ou non) avec le passé opaque de  Stanley.
Ils vont organiser avec Meg l’anniversaire de ce dernier; mais est-ce bien le jour de son anniversaire? La fête tourne alors à un jeu de massacre orchestré par les nouveaux venus,  sans qu’on comprenne bien pourquoi ils déchaînent leur violence contre Stanley.
Il ne faut pas compter sur  les mots pour dévoiler la psychologie des protagonistes ou motiver leur comportement. Les dialogues lapidaires n’explicitent rien, mais, au contraire,  embrouillent tout dans un flot de paroles cinglantes, de questions qui restent souvent sans réponse. Le langage se contente alors d’être une machine à jouer, à incarner
dans toute leur brutalité les personnages, lâchés dans l’arène par l’auteur qui n’a jamais voulu donner d’explications sur eux. « Le langage, en art, demeure une affaire extrêmement ambigüe, des sables mouvants », rappelait  Pinter, à la conférence qu’il prononça, à l’occasion de la remise de son prix Nobel de littérature en 2005.
Séduit par  l’énigme de l’Anniversaire, le cinéaste qu’est Claude Mouriéras*  a tout de suite pensé à Hitchcock, au point de situer ce huis-clos dans un duplex new-yorkais des années 80, avec cuisine américaine clean et chambres à hauteur des cintres (la part cachée des choses)
Dans un décor sobre , la pièce se déroule comme dans un long plan séquence, avec des actions parfois simultanées. Pas de  fioritures de mise en scène ni de  pédagogie : les comédiens adoptent un jeu dépouillé, comme au cinéma. Nicolas Lormeau campe un mari indifférent qui ne veut surtout rien savoir. Un Monsieur tout le monde aveugle aux horreurs qui se déroulent à son nez et à sa barbe, de même que son épouse, Céline Brune en femme au foyer  vieillissante.  » Vieux crouton racorni », « Vieux sac à linge succulent » , lui lance à l’occasion Jérémy Lopez en Stanley dépressif et traîne-savate. Nazim Boudjenah et Eric Génovèse interprètent un duo de « tontons flingueurs »,  cyniques et goguenards.
L’Anniversaire
est la deuxième pièce de Pinter. Ecrite en 1958, elle fut rejetée par la critique à sa création avant de connaître un succès mondial, quand elle fut reprise en 1964 après Le Gardien et Le Retour.  Elle porte déjà en germe le  » théâtre de la menace » :  comme on qualifie souvent l’œuvre de Pinter car  s’y exprime la banalité du mal, la violence latente qui mène au totalitarisme. Mais il appartient au spectateur de se frayer son propre parcours dans les méandres d’une intrigue opaque. C’est un plaisir qui le conduit insidieusement au cœur des turpitudes dont les hommes  sont capables. Du grand art dramatique !
. »Chez Pinter il vaut mieux rire au début car, à la fin en général,  ça se gâte », avait prévenu le metteur en scène.

Mireille Davidovici

Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 24 octobre.

* Des films de Claude Mouriéras seront projetés au Vieux-Colombier et à la  Salle Richelieu.  (voir programme /www.comedie-francaise.fr)

La vie est une géniale improvisation

La vie est une géniale improvisation, d’après Une vie en toutes lettres, correspondance entre Vladimir  et Louis Beauduc, adaptation et mise en scène de Bruno Abraham-Kremer et Corine Juresco.

C’est une adaptation libre, interprétée par Bruno Abraham-Kremer, de la correspondance échangée entre le philosophe Vladimir Jankélévitch et son ami Louis Beauduc. Les deux hommes s’étaient rencontrés à l’Ecole Normale Supérieure où ils ont construit une belle amitié qui s’exprimera pendant soixante ans. Jankélévitch est reçu premier à l’agrégation de philo, Beauduc le suit, à la seconde place.
Séduit par le philosophe, né en 1903 dans une famille d’intellectuels russes qui a fui les pogroms et s’est installée en France, Bruno Abraham-Kremer décide de faire un spectacle de cet échange épistolaire : «Je retrouve ce que j’aime passionnément dans l’être humain, une adéquation parfaite entre les idées et les actes, une pensée en mouvement, une vitalité, un humour, une liberté de penser le monde sans préjugés, refusant toutes les chapelles intellectuelles de son temps. Un appel à notre intelligence, une invitation à devenir l’acteur de notre vie, à ne jamais désespérer de l’homme».
Seul en scène, il «habite» les lettres de Jankélévitch qu’il enchaîne les unes aux autres tissant ainsi le tracé de sa vie, de l’Institut français de Prague entre 27 et 32, aux différentes écoles et universités où il enseigne, en France, jusqu’en 39. Il entre ensuite dans la clandestinité à Toulouse, puis s’en
La vie est une géniale improvisation la_vie_est_une_geniale_improvisation_pascal_gelygage dans la résistance. Pendant la guerre, l’échange de lettres continue, mais il ne les signe pas pour ne pas compromettre son ami. Résistant et juif, il est donc doublement exposé; son appartement est d’ailleurs pillé en 40, et sa bibliothèque détruite.
Après l’exil et la guerre, il reprend son enseignement à l’Université de Lille, puis, pendant près de trente ans à la Sorbonne, où il est titulaire de la chaire de philosophie morale; il y  marquera, par sa personnalité autant que par son enseignement, des générations d’étudiants.
Il sera toute sa vie un philosophe engagé dans  tous les combats du siècle, et  s’interrogera sur la métaphysique, la morale, la transcendance, la mort, le mal et le pardon.
En 49, il publie son immense Traité des vertus, (mille deux cents feuillets),  et en 60, Le Pur et l’Impur,  et bien d’autres ouvrages.
Il écrira beaucoup sur la musique et notamment sur le répertoire de piano dont quelques moments musicaux filtrert dans le spectacle, et sur la musicologie, situant sa réflexion entre philosophie et esthétique. «La philosophie est comme la musique, qui existe si peu, dont on se passe si facilement : sans elle, il manquerait quelque chose, bien qu’on ne puisse dire quoi. On peut, après tout, vivre sans le je-ne-sais-quoi, mais comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien».

Après la guerre, il cherche le calme et s’installe 1 Quai aux fleurs, où il vécut jusqu’à sa mort, en 85. On trouve son acte de foi, sur une plaque apposée sur l’immeuble, tiré de L’Irréversible et la Nostalgie : «Celui qui a été, ne peut plus désormais ne pas avoir été ; désormais, ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu,  est son viatique pour l’éternité».
Les lettres ne disent que peu de choses sur sa vie personnelle : un mariage avec une praguoise, puis un second, tardivement, à Alger et la naissance de sa fille, Sophie, en 54. Il est très éprouvé par la mort de sa mère, Lucie, en 51, elle-même philosophe, qui avait eu Bergson pour professeur et avait soutenu une thèse sur Novalis.
La parole de Jankélévitch, pour qui l’amitié avec Louis Beauduc jusqu’à sa mort en 80, est un moteur, guide le spectacle. Au début de la représentation,  la salle reste éclairée, et on se croirait étudiant dans un amphi de la Sorbonne mais  ce n’est jamais ennuyeux.
A mi-spectacle, la lumière de la salle s’estompe et une demi-pénombre s’installe sur le plateau. Tout est sobriété et vérité, nul besoin d’artifice. Un bureau, une chaise, un renfoncement d’où seront lues les lettres de guerre, le dehors et le dedans. Nous marchons dans les pas et les pensées du philosophe, qui n’est d’aucune chapelle et travaille sur l’existence de la conscience dans le temps; la traversée est forte, elle donne le mouvement de la pensée.

Il ne s’agit pas d’un spectacle au sens classique du terme mais d’une lecture, mise en scène et incarnée par Bruno Abraham-Kremer, chef d’orchestre quand il pilote, du plateau, la bande-son qui fait entendre la voix de Jankélévitch, à la parole aiguë et nerveuse, quelques sons et morceaux de musique, dans une création sonore de Medhi Ahoudig.
Hanté jusqu’à la fin de sa vie par la notion de pardon, Jankélévitch nous travaille. Pour lui, «le pardon est mort dans les camps de la mort» et la fin du spectacle relate l’approche complexe d’un jeune étudiant allemand qui souhaitait le rencontrer, avec son silence en réponse. Cette  rencontre aura finalement lieu, en 81, véritable collision entre la vie et la mort.
Le titre et c’est dommage,  n’est pas à l’image du spectacle, même s’il s’inspire de la parole de Jankélévitch, qui disait : «La liberté est une géniale improvisation». Mais cette leçon d’humanité vaut d’être entendue.

Brigitte Rémer

Théâtre des Mathurins, 36 rue des Mathurins. 75008. Du mardi au vendredi à 21h, le samedi à 17h. Tél : 01-42-65-90-00, theatredesmathurins.com;  theatredelinvisible.com

Cupidon, propriétaire de l’immeuble situé sur l’enfer et le paradis

Cupidon, propriétaire de l’immeuble situé sur l’enfer et le paradis, sculptur’opéra de Gilbert Peyre, texte d’Yves Garnier, musiques de Gérard Pesson, Caruso, et Raphaël Beau.

Gilbert Peyre, nous l’avions découvert en 95 avec Ce soir, on tue le cochon. Constructeur génial et décapant, il s’inscrivait dans l’événement Quand les Machines rient au pays de Montbéliard. Il a parcouru depuis un long chemin, élaborant les machines les plus insolites dans son atelier, et a participé à nombre d’événements internationaux.
On nous distribue à l’entrée une enveloppe que nous ne devons pas ouvrir. Nous y sommes autorisés une fois assis, mais impossible de lire plus d’une phrase écrite en gros caractères : « Le jour se lève, Suce ma pine, suce sans trêve, car l’aube est pine ».
Sur le grand plateau du Cirque Électrique, une armoire, et deux personnages immobiles, on croirait des mannequins de cire, mais non, ils s’animent, ce sont des acteurs manipulés comme des marionnettes qui vont se déchaîner comme l’armoire qui se démantibule, dans de folles gesticulations, traversant le plateau sur des rails.
Impossible de relater cette histoire d’Adam et Ève dans ce terrain de jeux enfantins, où la sensualité débridée révèle un monde surréaliste et bienfaisant. D’autres personnages montés eux aussi sur rails viennent les servir  en silence.
C’est remarquablement fait; bref, un spectacle à ne pas manquer

Edith Rappoport

Cirque Électrique, Porte des Lilas jusqu’au 22 septembre à 21 h, dimanche 17 h, info/resa 09 54 54 47 24

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Enjambe Charles

Enjambe Charles, conception et scénographie Sophie Perez et Xavier Boussiron

 

Enjambe Charles enjambecharles31La sculptrice Louise Bourgeois (1922-2010), artiste française naturalisée américaine, a eu une  longue carrière aux Etats-Unis, et elle a obtenu, presqu’à la fin de sa vie « la » reconnaissance dans les milieux de l’art contemporain.
Le recours à l’analyse-l’amour, les relations intra-familiales, la relation au père-et l’expression d’un érotisme brut ont façonné une œuvre initiatrice des chemins les plus éloquents de l’avant-garde.
Les araignées de la plasticienne  issues d’un imaginaire à la fois sombre et flamboyant, sont célèbres par leur monumentalité. Il n’en a pas fallu plus, à côté de la laideur d’un crapaud juché sur les hauteurs du plateau de scène, pour que nos deux larrons en foire, les artistes et  scénographes  Sophie Perez et Xavier Boussiron s’inspirent de la pièce psycho-emblématique de Louise Bourgeois, La Destruction du père, pour concevoir leur dernier spectacle.
Sur scène, un tour de potier avec lequel les comédiens fabriquent jarres et vide-poches de magasin de souvenirs, mais la scénographie évoque ironiquement la chambre de Louise Bourgeois visitée un dimanche à New-York. Un décor en soi, une installation, un capharnaüm, un chaos oriental et kitch de boules dorées, caverne de mauvais goût,  et cul-de-sac infernal où les déplacements s’apparentent à une course d’obstacles.
À la façon de la sculptrice – symbole de colère, de méchanceté et bon sens réunis -  qui souffrait d’avoir été démolie par son père et qui répondait tardivement à ce dernier en le « reconstruisant » plastiquement, affublant cette figure magistrale et maudite d’une paire de seins,  Sophie Lenoir et Stéphane Roger s’emparent effectivement à tour de rôle  de deux seins que le public ne saurait pas ne pas voir…
Pas de place pour les Tartuffe ici, on rit franchement, les comédiens et les spectateurs ensemble, car chacun sait qu’il faut avoir beaucoup pleuré pour pouvoir rire ainsi. « Pourquoi ai-je du mal à sortir le matin de mon lit ? Qu’est-ce qui cloche ? » Il s’agit de se reconstruire pour ne pas mourir.
Pour le fanfaron aux fesses nues, Stéphane Roger, c’est chanter à tue-tête en arménien et parodier rageusement Charles Aznavour dont l’effigie est sur le plateau. Quant à Sophie Lenoir, elle se dandine, portant avec une grâce rieuse une prothèse de ventre arrondi de femme enceinte. Elle n’en chante pas moins et danse, scandant ses quatre vérités sur l’état du monde et de nos sociétés factices, accompagnée par Françoise Klein, plus indépendante.
Le spectacle se fabrique sous nos yeux en  continu,  comme le tour de potier qui ne cesse de tourner…
Avec des masques hideux, des costumes à paillettes de music-hall et la trivialité d’émissions TV. Le rire nourrit le sens des scènes, c’est une belle capacité de salut et de survie car il y a une pudeur à aller mal.

Ce qui peut paraître parfois lourd et insistant, touche pourtant au sublime, dévoilant sur un fil fragile l’humanité des êtres. Une fresque burlesque, profondément vivante.

 

Véronique Hotte

 

Théâtre du Rond-Point 75008. T : 01 44 95 98 21 Jusqu’au 29 septembre à 20h30, dimanche à 15h30, relâche lundi.

 

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