Le Triomphe de l’amour
Le Triomphe de l’amour de Marivaux, mise en scène de Galin Stoev.
La princesse Léonide, fille de souverains usurpateurs de Sparte, tombe sous le charme d’Agis, le fils des anciens rois, vu un jour dans une forêt. Un rêve l’assaille: partager le trône avec lui. Or, Agis vit caché dans la demeure du philosophe Hermocrate et de sa sœur Léontine, deux intellectuels encyclopédistes confinés dans l’étude.
Le jeune prince est ainsi élevé dans la lecture des livres bien rangés d’une bibliothèque, et dans l’ignorance absolue du cœur. Ennemie politique, Léonide ne peut approcher Agis et se faire aimer de lui : elle séduit donc le philosophe et sa sœur, réfractaires au sentiment amoureux.
Le mécanisme de cette horloge humaine s’annonce… complexe car « Il faut, dit Henri Coulet, dissiper successivement les préjugés d’Agis contre les femmes, contre l’amour et contre la princesse de Sparte, et éliminer les opposants que sont Léontine et Hermocrate. «
Le cadre est romanesque et fantaisiste, selon la tradition de la tragi-comédie de l’époque baroque, où le triomphe sentimental et la victoire politique sont indissociables. Occasion pour Marivaux de jouer à son gré du vertige enchanteur des masques, déguisements et travestissements.
Le metteur en scène bulgare Galin Stoev qui a monté à la Comédie-Française Le Jeu de l’amour et du hasard s’attaque aujourd’hui avec fantaisie et rouerie à ce Triomphe de l’amour, déjà suffisamment emberlificoté. Stoev en rajoute dans l’imbroglio pour donner le tournis au spectateur. Certes, Leonide se déguise en Phocion, et Corine, sa suivante, en Hermidas, pour ne pas effrayer les réticences viriles de leurs hôtes studieux face au beau sexe.
Mais si les êtres imaginés par Marivaux se métamorphosent ainsi d’un genre à l’autre, pour les besoins de sa mise en scène, Stoev, avec malice, fait monter encore d’un cran les arabesques oniriques de l’imaginaire et de ses désirs, avec des hommes dans sa distribution, comme à l’époque élisabéthaine. Il « explore une situation de jeu théâtral dans laquelle on se retrouve avec l’identité de quelqu’un d’autre, mais aussi dans le corps de quelqu’un d’autre ».
Nicolas Maury joue une princesse déguisée en chevalier, et Yann Lheureux une suivante travestie en valet. Mais si Julien Alembik est bien Arlequin, Laurent Caron le jardinier, et François Clavier le philosophe, selon une reconnaissance « naturelle » du masculin, Léontine, la sœur du philosophe, est incarnée par Airy Routier, et d’abord fermée aux attraits de la séduction peu à peu se féminise, soumise enfin à la chair.
Le théâtre dans le théâtre se reflète à l’infini dans le miroir intime des chatoiements du cœur. Bas bleus au départ, la « vieille fille » se transforme en silhouette comique charmante.Ce jeu dans le jeu frôle éperdument l’étrange sentiment d’exister jusqu’à devenir la découverte d’une vérité. Reconnaissons à Nicolas Maury un charme naturel évident qui casse la baraque scénique à tous les coups: il tonne, il hurle puissamment ou bien minaude à souhait en se couvrant la vue ou en se recoiffant avec maniérisme, s’attachant aussi à des postures équivoques, en séductrice aguicheuse et amusée.
La comédie tourne à la farce, et la vague de la question du genre emporte tout sur son passage.Dommage!
Véronique Hotte
Théâtre dans le théâtre lui-même dans le théâtre, soit un théâtre au cube: Galin Stoev connaît la recette et sait diriger des acteurs, c’est incontestable mais on peut être sceptique quant au traitement qu’il inflige à la pièce de Marivaux. Que veut-il prouver? Que Marivaux est d’une belle actualité dans ces temps de mariage pour tous? Que ses scénarios parfois très compliqués comme celui-ci restent d’une étrange modernité? Mais cela on le sait depuis longtemps et cette démonstration bien facile n’apporte pas grand chose…
Notre amie Véronique est plutôt indulgente, nous le serons moins et, passée la découverte d’un beau décor, cette grande bibliothèque aux milliers d’ouvrages, encadrements d’os, microscope et bibelots divers, on s’ennuie vite. Certes, il y a de solides comédiens comme entre autres, François Frappier, Airy Routier et Nicolas Maury mais tout sonne un peu bling bling dans cette mise en scène qui, malgré quelques bons moments, est singulièrement décevante.
Le public ce soir de première, était assez jeune mais riait souvent à contre-sens, et surtout, dès que Nicolas Maury entrait avec une démarche chaloupée. Facile! Et, par moments, on n’était même pas loin de La Cage aux folles. Si bien que la mise en scène de Stoev, avec ces travestissements de travestissements, ces criailleries, ces postures, et ces gags farcesques, apparait vite comme le type même de la fausse bonne idée.
La question du « genre », comme on dit en ce moment, est très mode , et fait l’objet de nombreux articles et livres divers, (voir le compte-rendu sur La Femme et le travesti de Chantal Aubry dans Le Théâtre du Blog) mais Marivaux n’a pas besoin de cela.
Désolé, mais il y a eu des mises en scène du Triomphe de l’amour, qui sans doute datent un peu maintenant mais qui sont d’une autre subtilité, que ce travail assez prétentieux et faussement moderne. Et c’est une banalité de le dire mais, dans ce cas, un texte classique, comme celui de Marivaux résiste toujours à une épreuve de déconstruction. mais c’est évidemment aux dépens du spectateur pris ainsi en otage.
Sans doute, le metteur en scène a-t-il tous les droits y compris celui de se faire plaisir et il ne s’en prive pas! Mais on se peut se demander ce que Marivaux et le public ont à gagner dans cette affaire. Bref, vous êtes prévenus: vous pouvez toujours aller à Saint-Denis mais aussi vous en abstenir…
Philippe du Vignal
Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, jusqu’au 20 octobre 2013, lundi, mercredi, jeudi, vendredi 20h, samedi 18h, dimanche 16h.
Le Triomphe de l’amour, de Marivaux, mise...:
Ajouté le 11 octobre, 2013 à 9:42