Entretien avec Marie Marfaing

Entretien avec Marie Marfaing 05102013-photo

Entretien avec Marie Marfaing, performeuse et passeuse d’images

Un agencement d’images avec une  composition de tableaux sculptures éphémères. En effet,le plateau pour la comédienne Marie Marfaing, fille du peintre abstrait André Marfaing, pose la question de la temporalité à travers un prisme à l’intérieur duquel œuvrent certains supports, plexis souples et légèrement opaques, sphère, calques, projections et rétroprojections, couleurs. Le processus technique scande la représentation, et la magicienne tire un fil d’Ariane dans un beau labyrinthe d’images.

Que vous apporte un plateau de théâtre,  lieu par définition de l’éphémère?

Marie Marfaing : Je me pose la question du lien entre l’éphémère du plateau et l’art plastique, que ce soit dans la peinture ou dans la sculpture. Depuis que j’ai choisi de faire le métier de comédienne, j’ai toujours été intriguée par le temps qu’on ne voit pas passer et dont il ne reste rien.
La peinture s’accomplit dans un temps éphémère de la vie mais elle reste et demeure à partir du moment où le public la regarde. Au théâtre en échange, la représentation disparaît en même temps que le public quitte la salle. Ma réflexion s’est portée sur le frottement de ces temporalités.

 Comment rendez-vous compte de votre propre cheminement artistique ?

M. M : Le premier spectacle que j’ai mis en espace était une charte de représentation théâtrale qui avait lieu lors d’un festival. La mise en scène s’articulait sur des cadres vides : je me posais déjà la question de savoir si j’entrais ou sortais du tableau. Et à la fin, je laissais les spectateurs devant une toile d’André Marfaing dont j’estime l’œuvre, non pas comme sa fille, mais à partir d’une réflexion artistique.

 Quel est le second spectacle qui a précédé celui que vous préparez ?

M. M. : Avec des cadres encore, j’en suis arrivée à la photo avec L’Horizon aux aguets, un spectacle conçu uniquement avec des photos et deux actrices. J’ai passé une année au bord de la mer, l et j’y ai pris deux cent quatre-vingts photos : une temporalité picturale avec la mer et le ciel, sans anecdotes.
Il ne s’y passe rien, sauf éventuellement le passage d’un oiseau. Les actrices ont refait cet horizon dans ce cadre avec des grandes photos A3. Pour moi, ce fut l’expérience d’un temps fixe face à un temps qui tourne.

 Aujourd’hui, vous présentez Oup’s (Vanité) au Théâtre de l’Echangeur à Bagnolet

M. M. : J’étais « fixe » jusqu’à présent, et j’ai bougé : je suis allée dans des îles et des cités, en Asie, au Japon, en Corée, au Viet Nam et aux Etats-Unis, à New-York où je n’ai pris que peu de photos. J’ai voyagé, j’ai capté des images et des temps, puis j’ai confronté au plateau ma matière de prédilection, une réflexion sur le temps.

 Vous semblez naturellement attirée par la vidéo sur un plateau.

M. M. : Je n’aime pas la vidéo en général sur un plateau de théâtre. Ce que j’aime en échange, c’est mettre l’image dans un cadre et en faire un tableau éphémère puisque ce n’est pas une image fixe mais filmée.Que se passe-t-il, si je mets le film dans un cadre,  et si j’essaie de le reconstituer et d’aboutir ainsi à une forme de théâtre éphémère, une image en 3D ?
Voilà pourquoi j’ai inventé un système, un matériau, à partir de plexis fins et   suffisamment opaques  pour qu’ils puissent prendre l’image mais suffisamment fins  pour que  l’image les traverse. Et si je les mets en rétroprojection, les plexis transparents permettent qu’on aperçoive mon ombre, même si je suis derrière l’image.

 Et si vous êtes devant l’image, une ombre apparaît aussi sur l’image.

M. M. : Ce dispositif a révélé du même coup une infinité de dimensions, mon ombre dont je découvrais l’importance, au bénéfice d’une sorte de disparition. L’ombre comme preuve du vivant. D’un côté, l’image captée qui a existé et qui existera tant que je voudrais bien conserver ce qu’il y a sur la pellicule. De l’autre, moi-même qui suis appelée à disparaître comme tous, et mon ombre aussi.

 Vous traitez d’une disparition à plusieurs niveaux, de l’homme en tant que tel, et  de notre passage sur terre;  le temps est le thème du spectacle Oup’s (Vanité).

M. M. : J’ai nommé cette représentation Oup’s (Vanité) : elle ne désigne que le temps d’une respiration-le temps de le dire, puis plus rien… Le spectacle se construit comme un tableau des vanités, pictural et éphémère
J’ai filmé des choses en pensant au temps qui passe-des métronomes-et d’autres que j’ai pensées en tant que violence,  des guerres, des images fortes. Or, je ne filme pas la guerre en reporteuse. À Istanbul, j’ai filmé une vitrine de boutique de jeux d’enfants : des mitraillettes, des objets mécaniques qui font un bruit extrême, des oiseaux qui tournent vite et fort dans le ciel.
Constituer des tableaux avec la dureté de cet univers, c’est pour moi une façon déviante de parler des horreurs qui se passent dans le monde. Je ne sais pas en traiter directement.

 Quelles sont vos images « temps métronome » ?

M. M. : Celle d’un ascenseur transparent : 52ème étage. À chaque étage, on ne voit qu’une barre défiler mais on monte jusqu’à voir les buildings en bas depuis le haut qui surplombe la ville. À la fin, on voit juste  le mot  Bing  et la porte qui s’ouvre au 52ème étage : c’est la seule image qui passe tout au long de la représentation. Il y a aussi le temps du café dont on voit le goutte-à-goutte, le temps qui passe, en compagnie de deux hommes que je ne connaissais pas. Le filtre est comme  un métronome de café.
Le temps métronome est représenté aussi par un paquebot-container, puissant et lourd de marchandises, qui sort du port de Hambourg. Des docks et des dockers. Le temps du voyage est en même temps un appel au voyage. Une vidéo est prise à Hong Kong : une boîte en tôle sans fenêtre qui fait penser à un container dont on voit sortir, une par une, une vingtaine de personnes… à la fin d’une journée de travail.

 Les couleurs jouent également un grand rôle dans la représentation…

M. M. : L’ordre des couleurs a son importance, dont le rouge d’ailleurs. Le dernier jour de mon voyage en Asie s’est passé à Ho Chi Min au Viet-Nam à l’Hôtel Continental, l’hôtel magnifique où descendaient Malraux, Depardon aujourd’hui…Un lieu splendide. En fait, il y avait dans cet hôtel un mariage, et je n’ai filmé que les portiers qui saluaient toute personne qui entrait. Trois plans sont nécessaires à l’ouverture des portes : une impression de vertige ; on ne distingue plus le vrai du faux de l’arrière-plan avec le jeu des cadres et des reflets.
Et comme j’utilise aussi des plexis, on a la sensation d’une autre porte, de morceaux d’images, et moi qui passe devant ou bien derrière. Les hôtesses, vêtues d’un costume rouge d’apparat, apprêtées, n’arrêtent pas de saluer celui qui passe la porte, et l’une d’elles regarde sa montre, sans qu’on le sache : elle s’ennuie ! L’image passe, sans arrêt sur image.

 Vous avez une prédilection pour les cadres.

M.M. : Il y a trois cadres dans Oup’s (Vanité) que je déplace, selon les morceaux d’image avec lesquels je joue, pour composer un tableau du monde, reconstituer une vision, celle d’un temps qui s’est passé. Mais la vision peut changer ou varier : c’est un puzzle mobile. Le temps que j’ai filmé ne participe pas d’un montage, c’est un temps qui s’est passé et que je mets en boucle, pour saisir l’instant et le temps.

 Vous en arrivez à cerner l’idée de mort.

M. M. : Il y a quelque chose d’un tableau des vanités, le temps, la connaissance, le jeu, la coquetterie…Un tableau de féminité, avec un peu de Munch et de Bacon.

 Propos recueillis par Véronique Hotte

 Théâtre de L’Échangeur à Bagnolet. Tél : 01 43 62 71 20, du 18 au 25 novembre 2013, du lundi au samedi à 20h30, dimanche 17h, mercredi 20 – relâche.

 


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