Le plus heureux des trois
Le plus heureux des trois d’Eugène Labiche et Edmond Gondinet, mise en scène de Didier Long.
Un cerf aux cornes imposantes trône sur la cheminée du salon et abrite un coucou offert au cocu par l’amant qui est, par ailleurs, et ce n’est pas incompatible, son meilleur ami. C’est là que les infidèles cachent leur correspondance secrète qui engendrera tous les quiproquos de la pièce, alors que s’entremêlent les intrigues amoureuses.
La femme et l’amant trompent le mari; l’amant trompe sa maîtresse; le mari trompe sa femme avec la femme du domestique qui a trompé son mari avec l’amant; l’oncle de l’amant a trompé le mari avec la première femme de ce dernier; le domestique trompé trompe ses maîtres, etc…
Labiche conjugue au pluriel le fameux trio-chacun des huit personnages trompant les autres, au vu et au su du spectateur… spirale infernale développée à l’infini, de cocufiages posthumes à ceux encore dans l’œuf. La mécanique du rire est toujours maîtrisée et savamment dosée dans cette œuvre écrite en 1870, quelque vingt ans après Le Chapeau de paille d’Italie, et dix ans après Le Voyage de Monsieur Perrichon.
La mise en scène, tout en respectant la folie débridée de la pièce, ne force pas la caricature et les acteurs ont peaufiné leur personnage. Arthur Jugnot campe un amant enthousiaste, Jean Benguigui compose un mari retors et cynique sous des airs de fausse naïveté face la femme adultère, Constance Dollé, parfaite écervelée.
Dans un décor élégant et astucieux qui se déglingue à mesure que l’action se précipite et qui permet aux entrées et sorties incessantes une fluidité naturelle. Sous les rebondissements et les calembours en cascade, pointe une certaine gravité: les bourgeois balourds et hypocrites que le dramaturge prend plaisir à épingler n’en sont pas moins humains et assaillis de doutes; les domestiques, qui contribuent pour une bonne part aux intrigues, bien que caricaturés, ont aussi leur complexité.
La servante peu accorte fait chanter sa maîtresse et joue les voyeuses et le couple de domestiques alsaciens, affublés d’un accent à couper au couteau, n’est pas en reste. C’est une vision bien noire de la société basée sur le faux-semblant, le mensonge, y compris ceux qu’on se fait à soi-même.
Au sein de cette constellation de triangles amoureux, quel est le plus heureux des trois? Aucun, dirons-nous. Mais le public est séduit par une mise en scène sobre qui laisse entendre la virtuosité du texte.
Mireille Davidovici
Théâtre Hébertot Paris T: 01 43 26 20 22