La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, mise en scène de Dan Jemmett.
Dan Jemmett s’est emparé d’Hamlet avec irrévérence et impertinence, mais avec beaucoup d’esprit.
Sur le plateau de la salle Richelieu toute d’ors et rouges, Dick Bird a installé un club-house des années 70 jouxtant une salle d’escrime. Comptoir de bar aux murs lambrissés, rangée de coupes, et photos de stars kitch collées sur les murs et poste de télé pour le sacro-saint match de foot du week-end. Et des toilettes pour hommes côté jardin et pour femmes côté cour, avec des lavabos …
Rien de vulgaire pourtant ni de trivial, mais la radiographie amusée, brute et sarcastique, d’une communauté d’hommes à une époque donnée: le début XVII ème de Shakespeare, mais aussi nos années 70, ni plus ni moins enviables que les précédentes et les suivantes.
Les costumes valent le coup d’œil, défilé ironique de la mode des années 70. Pour les hommes, pantalon pattes d’éph aux couleurs fushia, vert cru ou vert foncé et larges vestes cintrées à carreaux, perruques rousses, blondes, brunes et bouclées pour dire les cheveux peu soignés et longs de l’époque. Un festival de mannequins masculins-des gandins extravertis et heureux qu’on les admire- comme sortis d’un vieux magazine.
Quant aux femmes, la Reine Gertrude, (Clotilde de Bayser), est en robe de voile léger, largement fendue sur le côté et au décolleté plongeant et a une perruque colorée coupée au carré, façon années 70. Et la jeune Ophélie (Jennifer Decker) aux longs cheveux lisses porte une combinaison moulante orange flashant. Ces costumes aux formes et couleur fracassantes, témoignent avec le sourire du « mauvais goût » historicisé des hommes et femmes.
L’être (regardons-le) est décidément minable et ignoble, au sens propre du terme. Claudius, le Roi usurpateur aux lunettes fumées (Hervé Pierre) sort de sa poche des liasses de billets pour acheter ses sujets, courtisans pleutres et serviles qui l’entourent. La reine Gertrude ne cesse de boire des verres de whisky, et Elliot Jenicot joue à lui seul, Rozencrantz et Guildenstern, avec un chien-marionnette qu’il manipule avec adresse.
Et pourtant, la tragédie s’accomplit: le spectre paternel à la toison blanchie (Éric Ruf), comme surgi d’un film expressionniste allemand, apparaît sur les remparts d’Elseneur, non seulement à Laërte, l’ami du Prince(Jérôme Pouly), et à Bernardo (Laurent Natrella), mais au prince Hamlet lui-même. Le rôle mythique est endossé par le facétieux mais sérieux Denis Podalydès qui ne se départit jamais de sa noblesse d’âme et de sa dignité de royal héritier.
Il questionne et s’interroge, engageant le public à le suivre. Calculateur et vif, il simule la folie en condamnant moralement le couple parjure de l’oncle et de la mère, leur donnant à voir une scène de théâtre dans le théâtre – le meurtre perpétré à l’encontre du défunt roi-que jouent des comédiens de passage qui se seraient échappés d’une émission de variétés TV à la Jean-Christophe Averty.
À la fois amoureux d’Ophélie, jaloux de sa mère et méprisant son beau-père, Hamlet passe d’un rôle à l’autre, en toute innocence, et le plus naturellement qu’il soit. Tandis que résonnent a contrario les standards musicaux de l’époque, anglo-saxons et américains…
Cet Hamlet est l’occasion d’un retour dans un passé récent festif qui fait défiler le vertige du temps et la vanité des hommes dénaturés. Il y a décidément bien quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark comme ailleurs, que les mouvements de l’Histoire ne parviennent pas à enrayer.
Véronique Hotte
Comédie-Française jusqu’au 12 janvier.
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Notre amie Véronique est indulgente, nous beaucoup moins.
On devrait toujours lire, comme nous le recommandait notre maître Jacques Seebacher, grand spécialiste de Victor Hugo, lire attentivement les notes d’intention. Au concours des syllogismes en cascade, Dan Jemmett aurait le premier prix. C’est du genre; « Je connaissais Denis Podalydès pour avoir travaillé avec lui et je savais qu’il pratiquait l’escrime donc c’est un peu à cause de cela que m’est venu l’idée d’un club-house qui reflétait mes souvenirs des années 70. Et on peut y faire des fêtes et même y faire du théâtre ». Théâtre, cela veut dire pour Dan Jemmett « prendre un texte classique l’y situer » (…) et « faire s’entrechoquer deux blocs hétérogènes pour voir ce que cela produit ». » La question est de savoir si des personnages peuvent avoir des états d’âme shakespeariens dans un lieu plutôt banal, comme on voit à la télévision » . « Et en regardant les séries télévisées on se reconnait, elles parlent de nous ».
Désolé, Dan Jemmett, votre système ne tient pas la route, c’est quoi, au juste un état d’âme shakespearien???? Et votre nostalgie des années 70, quand nous étions tous jeunes et tous beaux, est un produit des plus suspects en matière théâtrale…
Que dire de ce spectacle? Si c’est une parodie d’Hamlet, par ailleurs pas mal réglée, bon, après tout, Shakespeare en a vu d’autres, et le public aussi! Mais si c’est La tragédie d’Hamlet de Shakespeare comme annoncé sur l’affiche, cela tient de la tromperie sur la marchandise! On est constamment dans l’image.Reste à savoir si ce type d’image fait sens? N’est pas Bob Wislon ou Tadeusz Kantor qui veut…
La mise en scène et la scénographie-très construite comme dans le théâtre de boulevard-sont racoleuses, faciles et vulgaires, du genre juke-box avec tubes des années 70 pour aider à faire passer le texte, pissotière pour hommes en inox rouillé et sale avec, au-dessus, distributeur de préservatifs, bar à bière et whisky, match de foot à la télé anglaise, Claudius mangeant son carton de pâtes à l’entracte, en parlant avec les spectateurs, Ophélie baissant son slip pour regarder son sexe. STOP!
C’est un concentré de fausses insolences, de références aux séries TV et de gadgets, et dans ce sous-produit où Dan Jemmett recourt à des images faciles façon très BD, mais où ne perce aucune émotion, sauf quand on met le cercueil d’Ophélie en terre. En fait, tout se passe comme s’il avait voulu faire croire aux abonnés de la Comédie-Française qu’ils assistent à un Hamlet très innovant qui n’est en fait, que du vieux théâtre, mal camouflé en spectacle soi-disant d’avant-garde…
On s’ennuie? Oui, d’autant que les pauvres acteurs, gentiment soumis à leur metteur en scène, font ce qu’ils peuvent pour se sortir au mieux-qui est souvent l’ennemi du bien!-de ce casse-pipe annoncé mais ils rament comme des bêtes pour imposer leur personnage. Aucune unité, aucune crédibilité dans la direction d’acteurs, mais beaucoup de criailleries, ce qui n’est jamais bon signe! Clotilde de Bayser se compose une reine Gertrud toute en images, Podalydès-qui n’a pas vraiment l’âge du rôle! ne semble pas très à l’aise et fait du Podalydès. L’acteur connaît son métier, est parfois brillant mais on dirait qu’il joue souvent à l’acteur qui jouerait à être Hamlet dans une mise en abyme pas très convaincante… Hervé Pierre (Claudius) a une telle présence sur le plateau qu’il arrive à se sortir de ce guépier, et , l’air de ne pas y toucher, et à imposer une sorte de personnage ubuesque mais en décalage avec ses camarades, et Alain Lenglet, parfois émouvant dans Horatio. C’est vraiment dommage d’avoir à sa disposition une telle brochette d’acteurs des plus confirmés pour en arriver à cet Hamlet aussi prétentieux que vain. Bien entendu, là-dedans, les relations entre les personnages, en particulier celles entre entre Gertrud et Hamlet, sauf vers la fin, ont disparu des écrans radar.
Hamlet est au programme du bac théâtre 2013: on espère que les enseignants et leurs élèves feront la part des choses et ne se laisseront pas berner par cette mise en scène douteuse qui n’ose pas afficher la couleur. Reste la langue de la traduction de Bonnefoy mais, pour la mise en scène, la scénographie et la direction des comédiens: autant en emporte le vent. Et ce genre d’exercice pour acteurs n’aurait jamais dû quitter une salle de répétitions.
On ressort de là, pas heureux du tout d’avoir vu un metteur en scène anglais, pourtant connu, faire joujou avec un Hamlet tiré vers le bas, dans une mise en scène qu’il croit sans doute audacieuse et qui n’est même pas féconde. Pour son plus grand plaisir peut-être mais…. pas pour le nôtre. Comme le sont, par exemple, insolentes et jsutes celles de Langhoff, ou de Livchine et de Lafond pour Macbeth.
Alors à voir? Peut-être, si vous n’êtes vraiment-mais vraiment pas-exigeant et, à titre de curiosité, disons la première demi-heure. Sinon, vous pouvez vous abstenir (on a quand même l’impression d’un immense gâchis, richement subventionné par l’Etat français).
Tiens, une idée: on devrait obliger le trio Vals, Ayrault, Hollande à y assister pour les punir de leurs bêtises dans l’affaire Léonarda.
Philippe du Vignal
Comédie-Française, salle Richelieu en alternance.