Tartuffe d’après Tartuffe
Crédit Photo : Laurent Friquet
Tartuffe d’après Tartuffe d’après Tartuffe d’après Molière, par Guillaume Bailliart
L’acteur et metteur en scène Guillaume Bailliart, artiste qui a fait ses classes au Théâtre Permanent de Gwenaël Morin, une formation professionnelle créative et d’envergure, sait de quoi il parle quand il s’agit de prendre à-bras-le corps (image paradoxale pour un texte de théâtre) une pièce classique in extenso.
Le Tartuffe du directeur de l’acteur qu’est Bailliart lui-même, est directement inspiré de la mise en scène à plusieurs comédiens de Gwenaël Morin et aboutit à une performance en solo par l’un d’eux. Une mise en abyme caractérisée, ce qu’on appelle encore du théâtre dans le théâtre , galerie des glaces sans fin, avec un sentiment ineffable de vertige.
Cette façon d’extraire la substantifique moelle d’une œuvre mythique -l’hypocrisie religieuse, en l’occurrence – revient à débusquer la vérité des vérités par le biais d’une langue déclamée en alexandrins et la gestuelle éloquente d’un corps. Le pari est admirablement tenu sur la longueur d’une heure et quelques dix minutes à travers laquelle l’acteur s’emploie à représenter le déroulé de la comédie dramatique en tenant à lui seul tous les fils des marionnettes-personnages dont il épouse tous les rôles.
C’est un exercice de cirque périlleux à la façon des montures multiples d’une Poste majestueuse, un numéro où le cavalier habile se risque à tenir ensemble les rênes emmêlées de montures vives et remuantes : non seulement les tapageurs Madame Pernelle et son fils Orgon, le maître de céans, abusés tous deux par l’Imposteur, mais aussi les figures plus « éclairées » de Dorine, la servante malicieuse, et d’Elmire, la femme sensée, ou encore de Marianne, la jeune fille de la maison.
Toutes ces voix et tous ces corps – une bousculade d’identités – sont restitués pas la verve du comédien protéiforme qui les exprime successivement ou simultanément de façon extrêmement contrôlée. Et Tartuffe n’échappe pas à cette lecture personnelle. Le fourbe a des façons compassées et fausses, puisque les autres, ses ennemis hostiles au mensonge, s’entretiennent « naturellement », jouant sincèrement à être. La place des rôles est indiquée sur le plateau avec le nom de chacun, et l’acteur se déplace d’ici à là, de tel à untel, ou indique du doigt qui parle.
Bailliart fait preuve d’un engagement verbal et physique entier, calme ou tonitruant, rigide ou d’une belle souplesse acrobatique, quand il saute sur la table a capella et sans rebondir pour donner à voir la colère du fougueux Damis, le fils d’Orgon. La table est ici l’accessoire stratégique Orgon, caché sous le meuble par Elmire, prend enfin conscience de la situation et est enfin révélé à lui-même et mesure avec le public la noirceur de l’intrus.
Le perfide saute acrobatiquement, debout sur la table encore, en propriétaire et héritier légataire de son hôte qu’il a ruiné. Rien ne va plus… Entre temps, Guillaume Bailliart n’aura pas cessé, selon les rôles, de lever le doigt vers le ciel pour s’en référer à Dieu, de glisser une jambe sur l’autre en signe de féminité quand il joue Marianne, ou d’élever une voix puissante pour exprimer la colère d’Orgon.
La partition de ce Tartuffe esquisse les pas d’une danse de haut vol.
Véronique Hotte
Théâtre de la Cité Internationale. T : 01 43 13 50 50 jusqu’au 22 octobre.