Mademoiselle Else

Mademoiselle Else, texte d’Arthur Schnitzler, spectacle d’Alma Palacios et Franck Vercruyssen.

 

Mademoiselle Else mademoiselle-else-1-tim-woutersMademoiselle Else est une nouvelle singulière d’Arthur Schnitzler, publiée en 1924. Si ce n’est des  bribes de dialogue, l’œuvre n’est composée que de la parole intérieure d’Else, une jeune fille de la bourgeoisie viennoise  pour quelques jours en vacances à San Martino, une station thermale italienne.Le temps passe agréablement, entre le court de tennis où elle joue avec son cousin, et salutations polies à l’élégant Dordsey, un riche marchand d’objets d’art, flanqué de sa femme visible et  sans doute d’une maîtresse cachée.
Else commente avec gourmandise cet entourage estival conventionnel à l’extrême. La satisfaction de ce bourgeois, croisé à des dîners, irrite la jeune fille, d’autant qu’elle est pleinement consciente des ravages de sa beauté sur les sens en alerte de ce personnage qui se révèle grossier.
Pourtant, dans  ce paysage sylvestre et montagneux, « l’air est comme du champagne », comme le dit, satisfait, Dorsey, avec son éternel sourire. De son côté, Else est libre, fière et altière, posture subversive en ces temps policés de domination masculine. Elle a appris le piano et les langues étrangères, et ne partagerait jamais sa chambre avec son mari ni avec ses nombreux et futurs amants.
La vie de luxe lui convient et elle aimerait ne pas rentrer chez elle en ville. Elsa se moque d’elle-même et de son incapacité à travailler. Mais la jeune rêveuse retombe brutalement dans la réalité quand  elle est sommée par  sa mère de demander à ce fat de Dordsey une somme conséquente pour sauver son père avocat de la ruine.
Partagée entre la fidélité paternelle et l’impossibilité de consentir au moindre désir du marchand d’art, la jeune fille narcissique et enfant gâtée fait en même temps preuve d’intelligence. Elle a un certain goût pour la solitude et la dimension tragique,  et a donc aussi la possibilité de choisir sa mort. Chacun est seul et a peur de l’autre, le reste n’est que plaisanteries. Dévergondée sans doute, mais putain, non, pense-t-elle.
Dirigé par Franck Vercruyssen du tg STAN qui accompagne aussi cette figure féminine en  jouant tous les autres personnages-il suffit d’un geste, d’un vêtement, d’un accessoire, d’un accent marqué, ou d’un signe comique pour les identifier- le spectacle est interprété avec noblesse et grâce, par la svelte et lumineuse Alma Palacios formée chez Anne Teresa de Keersmaeker.
Imprégnée d’une indifférence énigmatique qui attire d’emblée le regard comme la lumière-le sentiment de sa liberté triomphante-la danseuse se révèle être une comédienne attachante, fixant le public quand elle se parle à elle-même, l’interpellant, l’obligeant à s’interroger et à réfléchir, à peser le poids de toute existence avec ses idées, ses valeurs, ses sentiments, ses désirs.
Un bel exercice d’éveil à la conscience de soi, hors des clichés et des repères bien-pensants…

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Bastille. T : 01 43 57 42 14  les 26, 27, 31 octobre et 1er, 2 novembre  et du 28 janvier au 8 février 2014. 

 


Archive pour 27 octobre, 2013

Résumons-nous la semaine a été désastreuse

Résumons-nous, la semaine a été désastreuse d’après Chroniques de La Montagne d’Alexandre Vialatte, adaptation de Jacques Nichet, mise en scène de Charles Tordjman.

Résumons-nous la semaine a été désastreuse vialatteLe temps passe trop vite et nous n’avions pas encore eu le temps de vous parler de ce formidable spectacle- surtout ne le ratez pas-qui a a été créé au printemps  dernier au Théâtre Vidy-Lausanne;
Intelligemment adapté des Chroniques (environ mille) qu’Alexandre Vialatte (1901-1971), Auvergnat de souche,   écrivit
à partir de  1952 jusqu’à sa mort pour La Montagne,  le grand quotidien d’Auvergne.
Nous ne les avions découvertes qu’en 66 dans le Cantal quand notre  vieille voisine et amie nous refilait le journal de la veille, une fois rapidement lu, qui avait aussi des petites annonces  parfois  savoureuses du genre: « A vendre: robe de mariée n’ayant  servi qu’une fois ».
Charles Tordjman a mis en scène cette série d’extraits avec beaucoup d’humour et de savoir-faire. Rien ou pas grand-chose sur le plateau mais la présence de trois acteurs hors-pair qui, très bien dirigés,  se réjouissent à l’évidence, de donner corps à ces petits textes, parfois proches d’Alphonse Allais et écrits à la virgule près, et très ciselés. Mieux vaut oublier la scéno avec une espèce de petite grue inutile:  pas grave…
L’essentiel est ailleurs: Christine Murillo, Dominique Pinon et Julie Pilod sont excellents. Dans des personnages hors-norme, déjantés, les comédiens-diction et gestuelle impeccable-sont très à l’aise. Avec  un jeu, précis, qui correspond tout à fait au style comme à la pensée de Vialatte, romancier, journaliste mais aussi et surtout germaniste et  traducteur de Kafka, Nietzsche, Goethe, Brecht, Thomas Mann.. « C’est,  comme le dit très bien Tordjman, un théâtre comme une promenade, une flânerie en philosophie, en morale et en humour d’une rare délicatesse »

Vialatte adorait s’en prendre au conformisme ambiant, à cette soif de confort qui faisait croire à ses contemporains que c’étaient les recettes du bonheur… Il y avait chez lui une sagesse de vieux paysan qui ne n’en laisse pas conter et qui a surtout  quelques bêtes noires: le confort, la soif stupide de modernité et la bêtise humaine camouflée.
Il avait vécu avec horreur la défaite de 40 et avait dû être hospitalisé dans un hôpital psychiatrique. C’est dire qu’il n’avait plus guère d’illusions sur l’humanité: « On brise tout parce qu’on veut faire du neuf. On a donc l’illusion de pouvoir tout remplacer ». « L’homme serait un roseau pensant. Disons un roseau pensif… Ou même songeur… Disons un salsifis songeur. »
Mais Vialatte avait continué  tout de même, malgré la mort de sa femme, à savourer  la vie. Pensant peut-être à  Eschyle dans Les Perses: « Vieillards, jouissez chaque jour des joies que la vie  vous apporte car l’argent ne sert à rien chez les morts ». 

Et c’est bien d’avoir donné à entendre au théâtre un choix de ces Chroniques: Vialatte, même si son nom ne dit  rien aux jeunes générations, est resté un prodigieux conteur, quelque cinquante ans après ses Chroniques, depuis réunies et éditées: il aime raconter des histoires sur  la guerre,  la vie quotidienne, les animaux ou le dernier film qu’il a aimé, et propose même des solutions pour  s’accommoder de vacances pluvieuses…
Pas tendre, le Vialatte!  Et sans aucun doute  mordant, voire cynique  mais jamais amer, et généreux  malgré une lucidité impitoyable:  » L’homme moderne est devenu granuleux. » ou:  » Le poids de la question dépend de la densité de celui qui la pose ».
Et ses Chroniques se terminaient par le célèbre : « Et c’est ainsi qu’Allah est grand ».  Sans aucune connotation politique, ce qui ne serait plus guère possible aujourd’hui…
En ces temps de morosité et de désespérance, cela fait du bien de retrouver l’humour cinglant d’Alexandre Vialatte! On ressort de là,  comme plus intelligent et tout ragaillardi.
Allez, une dernière pour la route: « « Manger de l’ail; ça rajeunit l’organisme et ça éloigne les importuns ».

Philippe du Vignal

Théâtre de la Commune d’Aubervilliers Métro : Aubervilliers-Pantin-Quatre-Chemins. T: 01 48 33 16 16. Et  le 3 décembre  au Théâtre Jean-Arp à Clamart; les 6 et 7 décembre  aux Escales de Clermont-Ferrand; du 17 au 20 décembre  au Théâtre de la Manufacture, C.D.N. de Nancy. Le 17 janvier à la Scène nationale de Sète.  Et Les 28 et 29 janvier  au Grand Théâtre de Luxembourg. Enfin, du 4 au 7 février  à la Comédie de Picardie.

www.theatredelacommune.com



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