Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, mise en scène de Georges Lavaudant.
Un rôle titre de plus de 1.400 vers, cinq décors, des actes de style très différent qui vont des scènes d’amour à la grande bataille d’Arras, et un grand nombre de personnages, dont trois principaux, Cyrano, Christian et Roxane jeunes encore, puis quinze ans plus âgés.
Des costumes d’époque qui donnent la couleur à la pièce, et un texte qui, pour être formidable, est en général très peu apprécié des universitaires! Ce qui est plutôt bon signe.
Notre amie, elle, Christine Friedel ne renie pas la pièce mais pense qu’un Cyrano tous les dix ans, cela suffit…Pas de pot, après celui de Gilles Bouillon, puis celui de Dominique Pitoiset repris en janvier au Théâtre National de Bordeaux, qui va être dirigé par Catherine Marnas, voici celui de Georges Lavaudant.
C’est en tout cas la seule pièce française qui soit encore plus que l’Avare, très populaire et devenue comme une sorte de petit trésor collectif que les générations se refilent, et qui est sans cesse reprise depuis sa création triomphale en 1897. Tout le monde l’a lue ou étudiée à l’école, vue au théâtre ou du moins au cinéma.
C’est écrit en alexandrins parfois faciles et un peu mirlitonesques, où on a parfois l’impression que Rostand se moque de lui-même, et la pièce a quand même des longueurs, surtout au début. A la fois bourrée de fantaisie et absolument tragique: à la mort de Christian et le désespoir de Roxane, et à celle de Cyrano, il y a toujours un grand silence rare dans la salle!
Rostand, encore jeune écrivain a su, avec un sens de la dramaturgie redoutable, mettre en scène un personnage des plus attachants, qui sait qu’il va perdre, et qui dépense beaucoup d’ énergie à se lancer dans des rêves inaccessibles. Pour la beauté du geste, la seule chose qu’il réussit à faire. Comme il le dit lui-même, il aura tout raté , même sa mort digne d’un fait divers et non d’un militaire.
Et les quatre amoureux: Christian mourant, Cyrano mourant aussi mais plus tard, comme de Guiche et Roxane, comme devenue deux fois veuve, sans enfant, retirée dans un couvent, seront eux aussi tristes et déçus par une vie qu’ils n’auront pas réussi à maîtriser!
Il ne restera donc personne pour témoigner de leur combat et de leur grand amour sans issue. L’échec et la mort sont au bout du chemin de ces quatre personnages don Quichottesques. Rostand connaît les bonnes et vieilles grosses ficelles qui faisaient autrefois pleurer Margot, et maintenant des petites filles qui s’appellent Mélanie ou Léontine…
Georges Lavaudant, qui a une sacré parcours-il aura monté Shakespeare mais aussi Pirandello, Brecht, Labiche et Feydeau mais aussi des écrivains contemporains comme Jean-Christophe Bailly ou Michel Deutsch- a créé ce Cyrano pour Les Nuits de Fourvière donc pour le plein air, dans une version moins classique. Avec une scénographie des plus légères. Il lui aurait été impossible évidemment d’y installer des décors imposants qui n’auraient pas fonctionné dehors et il a demandé à Vergier son scénographe, de lui recréer juste un bosquet d’arbustes verts qui servira à tout et en particulier à la fameuse scène du balcon, et quelques bancs, et aussi quelques vidéos en surimpression. Ce qui fait quand même un peu pauvret…C’est comme un curieux cas d’école: comment monter Cyrano dehors avec des moyens, somme toute, limités?Bon exercice pour les élèves scénographes des Arts Déco.
Lavaudant a coupé tout le début du texte et il a sans doute bien fait; il a aussi raccourci un peu certaines scènes, de façon à gagner du temps et à pouvoir supprimer l’entracte. Mazis de temps en emps, cela sent quand même les coupes. Et il a introduit une sorte de rupture radicale en choisissant des costumes dits d’époque et d’autres tout à fait contemporains, ce qui n’était sans doute pas la meilleure idée du siècle mais bon…
On a donc affaire à une sorte de lecture personnelle format poche de Cyrano où tout est recentré sur l’interprétation de Cyrano par Patrick Pineau, et de Roxane par Marie Kauffmann, comme s’il avait craint que les personnages ne soit étouffés par les autres et par les nombreux comparses.
Et cela donne quoi? Côté scénographie, passent un peu à la trappe les scènes dans la pâtisserie de Raguenau comme le siège d’Arras et l’unité donné par ce bosquet d’arbres- pas très réussi sur le plan plastique- est un peu artificielle. Certes, monter Cyrano est aussi une épreuve budgétaire! Ici, les cadets de Gascogne sont en nombre limité. Et le panache et le faste, qu’on le veuille ou non, font partie du plaisir visuel qui disparait un peu dans cette version janséniste…
On repense aux magnifiques toiles peintes de Michel Lebois pour la mise en scène de Jérôme Savary, et sur un plateau, on peut suggérer bien des choses sans pour autant l’encombrer de carrosses et de nombreux accessoires.
Aux meilleurs moments, on retrouve la verve du langage de Rostand et Lavaudant a bien traité les scènes d’amour, et la mort de Christian comme celle de Cyrano. Mais la grande salle de Bobigny n’est pas un cadeau en matière d’acoustique, et comme Patrick Pineau boulait souvent son texte- la fatigue en fin de semaine?-on ressort de là quelque peu frustré. D’autant qu’il n’est pas très fameux dans les grandes tirades, et celle du nez- abrégée par Lavaudant comme s’il avait craint qu’il n’y arrive pas- est carrément ratée.
La jeune personne de neuf ans assise pas très loin de moi, a déclaré à la fin: » C’est bien, mais on ne comprend pas tout ce que disent les acteurs. Ils parlent trop vite et c’est dommage ». Il faut toujours écouter les enfants, Monsieur Lavaudant…
Alors à voir? Oui, pour les scènes avec dialogue, le reste- c’est à dire les scènes de groupe est vraiment un peu juste et vous risquez d’être déçu. A vous de décider…
Philippe du Vignal
Spectacle vu à la Maison de la Culture de Bobigny et actuellement en tournée.Le Grand T – Nantes7 < 16 Novembre 2013-Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est Mosellan19 < 20 Novembre 2013-L’espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône.27 < 30 Novembre 2013-Les Gémeaux – Scène nationale de Sceaux.4 < 15 Décembre 2013-Scène nationale de Sénart.17 < 20 Décembre 2013-Théâtre de L’Archipel – Perpignan.9 < 11 Janvier 2014-La Criée – Théâtre National de Marseille.15 < 18 Janvier 2014-Maison de la Culture d’Amiens.22 < 24 Janvier 2014-La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne.27 < 28 Janvier 2014-Théâtres en Dracénie.31 Janvier < 1er Février-Sortie Ouest – Béziers.6 < 9 Février 2014-La Filature, Scène nationale de Mulhouse.12 < 14 Février 2014