Orlando

Orlando, un texte de Virginia Woolf, un spectacle de Guy Cassiers et Katelijne Damen

Orlando imagesOn savait l’intérêt du metteur en scène flamand Guy Cassiers pour la littérature ; il a brillamment adapté au théâtre À la recherche du temps perdu de Proust. Avec la comédienne Katelijne Damen de langue néerlandaise, le plasticien doué, amateur de vidéo et de technologies avancées – réseau sons et images -, cosigne dans une rigueur étincelante Orlando de Virginia Woolf, un spectacle donné au Festival d’Avignon en 2013, vingt ans après que Bob Wilson ait créé un Orlando qui, avec Isabelle Huppert, fit date. Le roman anglais paraît en 1929 : un voyage épique, une errance imaginaire et contrôlée dans l’histoire et les cultures de l’Europe, une traversée spatio-temporelle colorée, une envolée rêveuse dans un monde de sensations à explorer. C’est à partir de la prose poétique woolfienne, l’intensité de son écriture fouillée et la force stylistique de son verbe à la fois pur et baroque, que s’accomplit le déroulement onirique de la vie d’Orlando. Un jeune lord anglais de l’époque élisabéthaine fait l’expérience de la vie et reste éternellement jeune malgré ses trois siècles, jusqu’à l’époque victorienne et le moment final de l’énonciation en 1928, date de l’écriture du roman. Amant épisodique de la reine d’Angleterre, le jouvenceau élisabéthain tombe éperdument amoureux d’une jeune beauté slave de l’ambassade moscovite à Londres. Il est prêt à s’embarquer avec elle pour la Russie. Or, le climat est au Grand Gel dans les Îles Britanniques et s’amorce contre toute attente, la débâcle du dégel. En suivant la rive du fleuve en crue de la Tamise jusqu’à la mer, Orlando qui a éperonné son cheval et part au galop vers la mer, constate que les flots jaunes ont remplacé la glace et que les eaux tourbillonnantes emportent les morts. Après avoir insulté vainement l’infidèle Sasha, il gît en transes durant sept jours sans paraître respirer. Sommeil ou guérison, Orlando apprécie de nouveau la vie en la séparant de la mort : il sait goûter désormais au présent. Le héros affectionne les vastes paysages de la Nature, les forêts de hêtres qu’il arpente jusqu’à une colline couronnée d’un chêne solitaire dont les racines profondes servent de point d’appui à son épine dorsale, « car il avait besoin d’amarrer son cœur à la dérive ». Après avoir rompu avec les hommes, atteint depuis longtemps par l’amour de la littérature, le malheureux se met à écrire un poème commencé dans sa jeunesse, Le Chêne. Mais à force de l’écrire, il le « désécrit » dans le même temps. Nommé ambassadeur à Constantinople, il regarde vivre cette ville bruissante, en respire le levain, l’encens, les épices et les parfums. Nommé duc, il donne un festin d’une splendeur inconnue. La fête finie, il s’endort sans s’éveiller encore, nul signe de vie si ce n’est sa respiration égale et l’incarnat de ses joues. Mort ? Non ! Il est métamorphosé en femme, tout en ne changeant pas. La dame quitte Constantinople pour vivre quelque temps dans le campement d’une tribu de bohémiens. Elle fait l’épreuve de sa différence ; la séparation ancrée des hommes d’avec les femmes est irréversible. Orlando rêve : une zone obscure lui apparaît dans ses songes, avec son creux de verdure, un parc, une pelouse plantée de chênes avec ses grives et ses cerfs gracieux dans les ombrages : le désir d’un retour londonien. Le bateau remonte la Tamise, un matin de septembre. Ravie par la gloire de Londres, en robe de taffetas gris-perle, la belle femme vacille d’un sexe à l’autre, dans la contemplation, la solitude et l’amour. Les temps changent entre la fin du XVIII é et le XIX é commençant : elle décide de prendre mari, selon la coutume du siècle, un beau mâle viril qui rêve de doubler le Cap Horn en pleine tempête. Demeure, en son cœur d’homme et de femme, sa propre invention, le manuscrit du Chêne.
Vêtue d’une ample robe blanche de cour, jupe aux plis souples et corsage à jabot de dentelles, Katelijne Damen déroule le fil littéraire de l’œuvre, jouant tel personnage ou tel autre, ironisant sur la distance entre réalité et fiction que n’assume pas le biographe moqué. Le spectacle, entre musique de clavecin ou pleurs de violoncelle, avec ses panneaux renversés sur le sol qui se reflètent sur le mur frontal – dessin dans le dessin, palimpsestes sur le tapis -, entame une profonde réflexion esthétique et scénique sur le temps qui passe et la fragilité existentielle, d’un siècle à l’autre.

Véronique Hotte

Du 5 au 10 novembre 2013 au Théâtre de la Bastille. Tél : 01 43 57 42 14


Archive pour 7 novembre, 2013

Gouttes dans l’océan

Gouttes dans l’océan, de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Jean-François Poirier, mise en scène de Sylvain Martin.

Gouttes dans l'océan gouttes-dans-l-ocean_gouttesfolie10-300x225R.W. Fassbinder est mort à 37 ans en 82, et il en avait seulement dix-neuf quand il écrivit cette curieuse pièce en quatre actes. Classiquement construite, d’une écriture déjà ciselée et fondée sur des thèmes qui seront ceux de ses pièces et de ses films à venir: le désir sexuel de l’autre, la solitude, le jeu de la séduction, l’amour, l’angoisse existentielle, la fascination devant le suicide, etc… Et l’analyse

Cela se passe un soir dans un petit appartement en Allemagne. Léopold la bonne trentaine a invite Franz qui, comme Fassbinder en a vingt. Il l’a connu au bord d‘une piscine et l’a ramené chez lui, avec la ferme intention de lui faire l’amour.
Léopold a vécu avec en couple avec Véra mais prend conscience qu’il est de plus en plus attiré par les garçons. Franz est hétérosexuel et vit avec Anna, une jeune femme.. Il se demande pourquoi il se retrouve dans l’appartement d’un homme qu’il ne connait pas mais semble trouver l’aventure assez piquante.
C’est la nuit , ils parlent beaucoup, ils boivent et, de confidences en confidences, vont finalement passent à l’acte. Franz ne sait plus très bien où il en est et l’avenir que lui propose Anna du coup, lui parait des plus fades en comparaison avec la vie pleine de bonheur qu’il mène avec Léopold. L’homme visiblement le fascine et il va en devenir très dépendant, même si ce dernier, dominant assoiffé de destruction, le manipule sans scrupules et est, de plus souvent odieux avec lui.
D’un rêve à l’autre, d’un sexe à l’autre, Franz va vite partir à la dérive, et l’appartement de Léopold deviendra un lieu de passion et de fantasmes érotiques mais aussi de déchirements et de violences. Lépold est évidemment une sorte de double sulfureux de Fassbinder qui, vécut avec un jeune amant qui finira par se suicider, comme Fassbinder peut-être.
La pièce, souvent constituée d’un monologue de Franz , est parfois un peu longuette et répétitive dans la première heure, mais possède déjà un sens étonnant du scénario et va faire habilement entrer dans la danse les deux jeunes femmes, Anna, la jeune compagne de Franz qui vudrait à tout prix un enfant, et Véra, la femme avec qui vit Léopold. Amours bisexuels comme Fassbinder en a connus durant sa courte vie et qui est, on s’en doute, à la fois Léopold et Franz… …
Mais on sent bien que cette histoire de couples est sans issue et que Franz ne supportera pas longtemps ce grand écart. En proie à une grande solitude, il finira par se suicider. Il mourra sur le lit même de ses amours avec Léopold…aidé par Véra dans ses derniers moments. Cette fin est un peu téléphonée mais bon…

La mise en scène de Sylvain Martin ne manque pas de rigueur, même s’il y a parfois quelques naïvetés et si la musique, omniprésente, manque d’unité (l’Alleluia de Haendel, Les Platters, Paul Anka, Janis Joplin, Litz ou Webern!). Et Sylvain Martin sait diriger ses acteurs. William Astre, Pierre Derenne, Juliette Dutent et Florence Wagner qui sont tous crédibles.
Mais il devrait faire attention à limiter les criailleries, ce qui est toujours lassant après quelques minutes, et aurait dû pratiquer quelques coupes dans cette pièce bien trop longue (une heure quarante!).
Alors à voir? Oui, pourquoi pas, si vous voulez savoir à quoi ressemble l’écriture du jeune dramaturge Fassbinder qui vivait les relations sexuelles, avec les hommes comme avec les femmes, comme une sorte d’exorcisme face à la mort.

C’est ce qui est si émouvant chez Fassbinder et que l’on ressent bien dans cette pièce.

Philippe du Vignal

A la Folie Théâtre 6 rue de la Folie Méricourt 75011. Métro Saint-Ambroise T: 01-43-55-14-80 jusqu’au 8 décembre

Une recrue

Une recrue

Texte et mise en scène : Noémie Fargier

L’agence Sourire cherche hôtesse d’accueil. Jana, passe son tout premier entretien d’embauche sous le feu des questions insiUne recruedieuses d’Agathe, la directrice, trentenaire ambitieuse et sûre d’elle, flanquée d’une assistante aussi discrète que servile. Miriam. Une fois admise dans l’agence, la jeune femme acceptera sans broncher d’être ballottée d’une mission à l’autre, puis de remplacer Miriam, devenue indésirable. Car le monde du travail est un univers impitoyable dans lequel petit à petit elle va s’enliser, perdre son identité. En miroir, Miriam, l’esclave soumise qui a si bien intégré le langage de sa patronne craque…

Noémie Fargier s’inspirant d’une expérience personnelle, veut donner à voir les doutes et les incertitudes d’une jeune femme à la croisée des chemins, à l’orée du monde des adultes. Mais quand, pour exprimer ce trouble, la pièce s’embarque dans la fantasmagorie et le cauchemardesque, elle perd de sa vigueur. On le regrette d’autant que la première partie de ce huis clos, tendue, tenue, impertinente, explore avec finesse les rapports de force et les relations complexes qui s’instaurent entre les personnages.

Cependant, Noémie Fargier signe ici une première mise en scène rythmée, dans un décor mobile à donner le vertige aux protagonistes. Elle dirige avec justesse les trois comédiennes : Charlotte Pompon incarne une Jana toute en nuances et Mélanie Peyre une surprenante Miriam. Les lumières, la bande son et les projections vidéo interviennent à bon escient. Un travail cohérent et prometteur.

 

Mireille Davidovici


4 au 15 novembre

LA LOGE 77, rue de Charonne 75011 ParisTel : 01 40 09 70 40 / laloge.info@paris.frwww.lalogeparis.fr

La pièce sera reprise à Confluences en février 2014

 

 

 

 

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