En attendant Godot

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En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Marion Coutris et Serge Noyelle.

 

  La célèbre pièce, mise en scène par Roger Blin, a été créée en 53 au Théâtre de Babylone 31 boulevard Raspail à Paris. Fondé en 52, cette petite salle était gérée en coopérative ouvrière par entre autres par Jean-Marie Serreau, Max Barrault, frère de Jean-Louis et papa de Marie-Christine,  le compositeur Maurice Jarre, et  Eléonore Hirt, seule survivante de la bande. Roger Blin jouait Pozzo, Lucien Raimbourg-le cousin de Bourvil-Vladimir, Pierre Latour, Estragon, Jean Martin  Lucky, et Serge Lecointe , lui aussi encore vivant (l’enfant).
Comme il le dit magnifiquement dans un petit livre, Jean Martin qui, au dernier moment, avait remplacé Pierre Louki, ce fut, pour lui, l’ un des plus beaux jours de sa vie, puisqu’il devint l’ami de Beckett et de sa femme.Voilà pour la petite leçon d’histoire du théâtre contemporain…
3On connait l’histoire, deux clochards, Vladimir et Estragon errent sur une route de campagne avec arbre, comme le précise Beckett, dont les didascalies sont toujours très précises, et attendent un certain Godot… qui ne viendra jamais.
Et en attendant, ils passent le temps à manger quelques légumes et à discuter de tout, de la vie, du temps, et bien des répliques sont ainsi devenues cultes : «  Elles accouchent à cheval sur une tombe ». « Voilà l’homme tout entier : s’en prenant à sa chaussure, alors que c’est son pied, le coupable ». « Essayons de converser sans nous exalter puisque nous sommes incapables de nous taire. » « Ne disons pas de mal de notre époque, elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes. N’en disons pas de bien non plus. N’en parlons plus. Il est vrai que la population a augmenté. » Et le fameux : « On attend toujours Godot » répété plusieurs fois…
Il y a aussi un autre couple : Pozzo,  brutal et autoritaire qui tient en laisse un homme du nom de Lucky. Ce qui choque Vladimir et Estragon mais, plus tard,  ils auront aussi peu de scrupules avec le pauvre Lucky qui débite une seule et longue tirade avant de replonger dans le silence, sans aucune ponctuation aussi poétique que dénuée de sens.
Arrive alors un gamin envoyé, dit-il, par Godot, pour dire qu’il viendra demain. A l’acte II, seule indication du temps qui a passé, l’arbre a quelques feuilles-ici une petite guirlande lumineuse. Vladimir semble un plus heureux. Pozzo et Lucky reviennent mais, dit la didascalie, Pozzo, devenu aveugle se cogne contre Lucky devenu muet, et ils tombent au milieu des bagages.
Mais Vladimir et Estragon posent leurs conditions pour les aider… Puis, comme à la fin du premier acte, le jeune garçon répète le même message de la part de Godot et dit qu’il n’est jamais venu la veille. Wladimir pense à l’éventualité de se pendre à l’arbre.  Estragon enlève sa ceinture pour cette pendaison à deux, mais son pantalon tombe!  Et ils cassent la ceinture quand ils tirent dessus pour en vérifier la solidité. Comme Cyrano de Bergerac, ils auront tout raté, même leur mort ! « Allons-y » proclame Estragon. Mais, dit Beckett qui aura le mot de la fin :« Ils ne bougent pas ».
Vladimir et Estragon ne sont pas de vrais amis, ce sont de pauvres hères qui se sont rencontrés par hasard, des naufragés de la vie en proie à la solitude la plus totale, et dont on ne connaît pas le passé. Ce sont des êtres sans mémoire, à part peut-être Vladimir-ce qui est du genre rare chez les personnages dramatiques qui ont tendance à se raconter-dont le présent est lamentable et n’ont aucun avenir prévisible sinon la mort. Beckett ne donne d’ailleurs pas d’indication d’heure ni de jour. Le temps dans Godot est un temps suspendu, comme entre parenthèses.
Ils ont renoncé depuis longtemps à communiquer avec les autres et n’ont pas de véritable identité, juste un prénom exotique, voire ridicule, habitués l’un à l’autre et incapables de se séparer. Vladimir dit « On peut toujours se quitter, si tu crois que ça vaut mieux  et Estragon lui répond « Maintenant ce n’est plus la peine ! »
La pièce a été souvent mise en scène en France comme à l’étranger et par les plus grands : Roger Blin deux fois puis Otomar Krejca, Bondy, Bernard Lévy (voir Le Théâtre du Blog) et a été adaptée au cinéma(1989) par Walter D. Asmus avec, entre autres, Rufus et Roman Polanski. Mais reste à savoir comment on peut encore lui garder son caractère provocateur d’il y a 60 ans ! Elle exige, avec ce nouveau sens du dialogue scénique imaginé par Beckett, une réalisation des plus précises et des acteurs un peu exceptionnels.
Marion Coutris et Serge Noyelle après Oh ! Les beaux jours se sont attaqués à cette citadelle. Avec un succès mitigé. Serge Noyelle a créé une scénographie remarquable et atypique. Un espace ouvert avec, côté jardin, un mur blanc dans le fond qui changera de couleur et côté cour, un autre mur de planches de pin à l’horizontale.
Le fameux et unique arbre de Giacometti a laissé la place à un autre arbre aussi squelettique mais suspendu à l’envers, avec, au second acte, pour figurer les feuilles une guirlande lumineuse. Sur le sol, le granulé noir de vieux pneus que l’on avait déjà vu dans Oh ! Les beaux Jours !
C’est vraiment de la belle image, comme Noyelle a toujours su faire mais sur un plateau d’une ouverture de plus de quinze mètres, la vison que l’on a de la pièce est moins évidente, d’autant que le public est encore assis sur des transat des plus inconfortables deux heures durant.
Wladimir et Estragon sont costumés par Catherine Oliveira-de façon assez classique en pantalon rayé, veste queue de pie noire, et chapeau melon, le visage blême, avec des oreilles rouges pour l’un, et un nez rouge pour l’autre. Et Pozzo a un costume assez semblable, ce qui donne une belle unité au spectacle. Seul Lucky, énorme silhouette, visage rougeaud avec grosses lunettes, est habillé de coton blanc. On ne dira jamais assez l’importance du costume dans une mise en scène, surtout quand les personnages sont presque tout le temps en scène
Côté direction d’acteurs, cela se passe moins bien, comme si Serge Noyelle (ce qui n’est sûrement pas le cas) avait beaucoup travaillé le rôle de Pozzo en se souciant moins de diriger ses camarades. Il est en effet magnifique et parfaitement crédible dans une espèce de cynisme et de cruauté feutrée. Et on sent chez lui une jubilation à s’emparer du personnage.
Mais côté mise en scène, désolé, il donc va falloir, Serge Noyelle et Marion Coutris, revoir les choses et faire retravailler d’urgence et beaucoup plus à fond Christian Mazzuchini (Vladimir) et Noël Vergès (Estragon) qui, actuellement, nous disons bien actuellement, peinent à imposer leurs personnages. Ils ne parlent pas assez fort, ont une diction souvent approximative et ne projettent rien. Quant à Grégori Miege (Lucky), on ne comprend pas pourquoi on lui fait dire son texte de façon incompréhensible,  alors que cette unique tirade sans ponctuation, au surréalisme délirant, mérite bien mieux que cela.
Si bien que, sur le plan visuel, rien à dire, c’est vraiment de la belle ouvrage mais du côté de la mise en scène comme de l’interprétation, le premier acte est loin d’être au point. Le second est lui heureusement beaucoup plus fluide, plus facile à entendre.
En fait, il aurait fallu aussi adopter une configuration scénique de moindres dimensions, où le public et les acteurs soient plus complices. Certes, le grand hangar de bois du Théâtre Nono est sympathique mais parfait pour des soirées cabaret où Noyelle excelle, ou pour Shakespeare mais  les pièces de Beckett exigent une certaine proximité.
Au Théâtre Nono, tout dans ce Godot se perd un peu, et c’est dommage. Le spectacle quand il sera repris à Chatillon en janvier, se sera sûrement bonifié, et on le verra sans doute aussi dans de meilleures conditions.

Philippe du Vignal

Théâtre Nono,  35 traverse de Carthage  Marseille 75008 jusqu’au 23 novembre. T : 04-91-75-64-59. Une date supplémentaire est prévue le vendredi 29 novembre 2013 à 20h15;  le 17 janvier 2014 Saint-Michel-sur-Orge et les  30, 31 janvier et 1er février au Théâtre de Chatillon.


Archive pour 11 novembre, 2013

Swamp club

Swamp club, conception, mise en scène et scénographie de Philippe Quesne.

 

Swamp club  05scCe Swamp club de Philippe Quesne et de son équipe est une réussite. Et, en même temps, il manque quelque chose pour que le spectacle soit excellent. Réussite de l’espace: une maison/cube de verre avec une terrasse, un jardin et une  grotte souterraine (un abri). Là,  vit une petite  communauté en autarcie, avec animaux et plantes et même une mine d’or-allusion aux sept nains ? Au dehors, c’est la menace, nucléaire, écologique?
Poésie de cet espace bio-technologique, où vivent en harmonie, humains et animaux (une taupe  joue un rôle central), plantes et ordinateurs, micros, journaux lumineux…sauna). Harmonie présent/passé : contes de fée et quotidien, Chostakovitch, Schubert et Beethoven joués par un orchestre de chambre,  Brueghel et Robin des bois…
Réussite de l’intrigue: les résidents reçoivent trois nouveaux venus de Pologne, d’Islande, de Picardie, et leur font visiter le lieu. Le public profite de la visite. A la fin, nous assistons  à un exercice d’alerte, anticipant la catastrophe, la jouant, pour l’éviter peut-être. La menace est là, tout près, mais le pire n’est pas sûr (à l’opposé de Melancolia de Lars Von Trier).
Swamp Club
est une utopie, ou mieux un programme de vie pour aujourd’hui: une coupure  avec le capitalisme et la recherche de nouveaux modes de vie. C’est le fil renoué avec le grand  souffle des années 60, le mouvement qui donna naissance aux
communautés et  qui s’est éteint  vers 1980. C’est aussi un retour vers Thomas More, Campanella et Fourier.
Le spectacle atteint là ses limites. Le cadre est inventif, mais le contenu, la matière et la chair manquent. Les personnages n’ont pas d’épaisseur, pas de singularité, pas de rêve qui s’exprime ou se devine, pas de chant ou de cri. Pas de rapports entre eux, ni de désirs ou tensions. Des silhouettes. D’où parfois une impression de mollesse et un rythme trop uniforme…
Mais si Philippe Quesne travaille davantage ses personnages, il va devenir excellent.

René Gaudy

 T2G à Gennevilliers jusqu’au 17 novembre.

 

  

 


 

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