Transe

 Transe, conception de Danielle Gabou.

Transe  g_chaillot13gaboutranse01bD’emblée, la présence physique de Danielle Gabou est impressionnante, quand elle s’avance dans la pénombre avec son filet de pêcheur comme seul partenaire. En même temps,  débute la projection du film de Jean Rouch, Mammy Water tourné en 1956.
Ce spectacle de 45 minutes se compose d’un dialogue entre le récit dit par Jean Rouch, (sans que l’on entende sa voix) et la chorégraphie créée par Julien Ficely pour la danseuse. La vidéo a été retravaillée et parfois redimensionnée en 16/9 ème, ce qui donne une autre perspective à l’espace de jeu.

Le public est transporté dans un double voyage, celui des croyances et des rituels d’un village de pêcheur ghanéen des années 50, et celui du solo de la danseuse que ces rituels inspirent.
Danielle Gabou le dit: « Le corps a sa vérité, on ne peut mentir avec le corps ». Le sien est massif, presque androgyne suivant la façon dont il est mis en lumière. Ce solo n’illustre pas ce qui se déroule sur l’écran, il a sa propre esthétique, ce qui donne au corps parfois des allures de statue grecque.

Il n’existe pas de «transe», à proprement dire mais,  comme elle le dit,  « un lâcher du mouvement », et elle  nous fait assister à une danse très libre. Il ne faudra pas hésiter à revoir le film de Jean Rouch dans son intégralité, qui nous parle d’une époque révolue, où,  pour résoudre la crise d’une micro-société, la population locale se livrait  à des offrandes en faveur de la déesse de la mer Mammy Water ou sacrifiait  des animaux, plutôt que d’égorger leurs voisins au nom de pseudo-argumentations religieuses…

Jean Couturier

Spectacle dansé au Théâtre National de Chaillot, salle Maurice Béjart du 5 au 9 novembre.    


Archive pour 13 novembre, 2013

Phèdre, de Jean Racine

Phèdre, de Jean Racine, mise en scène Jean-Louis Martinelli

 

Phèdre, de Jean Racine phedre-03Phèdre,  l’une des pièces les plus jouées de Racine, aujourd’hui, et l’une des plus énigmatiques : comment traiter cette affaire de culpabilité, d’inceste symbolique et d’adultère espéré sans tomber dans le drame bourgeois ? C’était arrivé, en grande partie, à la mise en scène de Michel Marmarinos à la Comédie-Française, peut-être à cause des beaux costumes très 1910 de Virginie Merlin qui emmenaient la pièce du côté de Madame de… Bref, les dieux n’y trouvaient pas leur place.
Jean-Louis Martinelli leur en a donné une, très simple : ils sont la lumière, ou plus exactement l’exposition à la lumière de tous les personnages. À Hippolyte et Aricie, la lumière devrait être naturelle, bienveillante : « tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux ». Pourtant, Hippolyte la craint, dans la grande ombre de son père, qu’il craint d’offenser en aimant sa prisonnière, la fille de ses ennemis. On pourrait ajouter : dans l’ombre que le désir de Phèdre jette sur lui.
Thésée, lui, y est habitué, sous le feu de ses exploits, et c’est pour cela qu’elle l’éblouit, qu’il ne voit pas quel tyran il est devenu pour sa famille: « Si je reviens si craint et si peu désiré… ». Cette mise en lumière est donnée par le dispositif scénique bi-frontal où se croisent les chemins des uns et des autres, tout près du public, dans le public  Mais la pente un peu trop faible contraint les spectateurs à quelques contorsions pour « tout » voir : est-ce voulu pour les rendre encore plus voyeurs,  ou sommes-nous en train de sombrer dans les méandres de la dramaturgie a posteriori? Quant à Phèdre, elle se réfugie parfois derrière son décor.
On n’échappe pas à cette évidence, le théâtre est un art au présent. Cette Phèdre là est d’ici et maintenant, et  non renvoyée aux temps légendaires, ni liée à l’époque de l’écriture. Coulée (et non moulée) dans une robe couleur de peau, Anne Suarez donne de Phèdre un personnage à la Marilyn, d’une sensualité évidente et presque innocente. « Vénus tout entière à sa proie attachée », c’est l’échange des désirs aussi impossible à détacher que sa propre peau, femme fatale d’abord à elle-même. « Je meurs, je meurs », dit-elle, comme Hippolyte (Mounir Margoum) dit: « « Je pars » et ne part pas, sinon vers la mort. Martinelli le voit en dépressif, et du coup,  ralentit à l’excès la première scène, pour lui comme pour Théramène (Abbès Zahmani). Le complexe paralysant du « fils de » pouvait se manifester avec plus de nervosité.
Quant à Phèdre, elle constate sa mort prochaine sans la désirer, comme elle constate les actes d’Œnone (impeccable Sylvie Milhaud), qui se voudrait son double. Mais ce fameux désir qui lui colle à la peau, elle en a sa part, et c’est pour tout de suite. On s’étonne qu’Aricie manque un peu d’éclat (Sophie Rodriguez) : vraie précieuse dans l’aveu détourné et pudique de son amour, elle est aussi, comme la Junie de Britannicus, de ces héroïnes positives, fortes, dont Racine est capable. Thésée plus encore que ses partenaires nous ramène à notre temps. Hammou Graïa, d’une puissance à la limite de la trivialité, fait rire parfois, en Hercule furieux. Sa tendresse s’exprime à gros coups de patte sur le cou de son fils, d’une main pesante qui fait ployer plus qu’elle ne caresse. Il transpire une virilité massive, qui ne peut, à la fin, que le laisser penaud. Tout cela sous nos regards impartiaux : nous sommes les dieux.
Cette Phèdre-là n’est pas la Phèdre absolue, la Phèdre qui irait au-delà de ce qu’on peut rêver–c’est pourtant ce qu’on peut espérer du théâtre-c’est une Phèdre d’aujourd’hui qui prête à discussion, à questions, et cela, non sans plaisir.

Christine Friedel

Théâtre de Nanterre-Amandiers jusqu’au 20 décembre, 01 46 14 70 00

http://www.nanterre-amandiers.com/

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