Élisabeth ou l’équité
Élisabeth ou l’équité d’Eric Reinhardt, mise en scène de Frédéric Fisbach.
L’entreprise, univers impitoyable en ces temps d’économie libérale, dévore ses enfants. C’est le sort réservé aux 192 salariés de l’usine A.TM. Ce sera aussi celui d’Élisabeth, brillante, jolie et dynamique directrice des relations humaines de cette entreprise française détenue par un fonds de pension américain.
Aux ordres d’un patron incompétent et fourbe, supervisé par un P.D.G. new-yorkais sympathiquement cynique, elle navigue à vue dans la tourmente d’une restructuration.
Comptant sur son charme autant que sur sa compétence, les deux hommes l’envoient en première ligne dans les négociations avec les syndicats. Prise entre le marteau et l’enclume, dans ce monde masculin aussi retors d’un côté que de l’autre, elle se brisera les ailes.
Pour mieux rebondir: aux termes de cette aventure, Élisabeth comprend qu’elle s’est fourvoyée, et elle découvre un sentiment nouveau qui lui permettra de continuer dans l’entreprise : l’équité, « un sentiment naturel du juste et de l’injuste » qui corrigerait les effets du système.
Eric Reinhardt signe ici sa première pièce : elle fait écho à ses romans qui se déroulent dans les hautes sphère de l’économie et de la finance mondialisée. Dont Le Système Victoria dont l’héroïne est aussi, comme Elizabeth, une D.R.H. Mais ici, à part quelques fantaisies et digressions, le propos est beaucoup plus simpliste que dans son œuvre romanesque. On n’y retrouve guère l’ambiguïté et la fragilité de ses personnages, artisans mais aussi victimes d’un système qui les dépasse et dont l’écrivain analyse froidement les rouages.
Frédéric Fisbach, qui lui a commandé la pièce, en propose une mise en scène rigoureuse mais assez lisse. On lui sait gré cependant, de mettre en valeur les quelques échappées qui sortent les personnages de leur monolithisme, notamment les scènes qui se déroulent à New-York avec vue sur les gratte-ciel de Manhattan.
Il sait aussi profiter des changements de décor pour introduire des intermèdes comme autant de respirations dans cette trop longue saga, et il dirige les comédiens avec précision: Anne Consigny interprète une directrice aussi sûre d’elle que fragile, entre douceur et fermeté. Et elle sait maintenir tout au long de la pièce ce subtil équilibre. Gérard Watkins compose un cégétiste ambivalent et séducteur, en comparaison des autres syndicalistes, qui sont eux, traités de façon assez caricaturale.
Le spectacle n’est pas enthousiasmant… mais se laisse voir, et on se réjouit que le théâtre traite des conflits majeurs qui bouleversent notre société, qu’il descende au cœur des entreprises, qu’il aborde le scandale de la spéculation et le cortège de restructurations, fermetures, délocalisations, chômage, qu’elle entraîne. »
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point 5 av. Franklin Roosevelt Paris. T: 01 44 95 98 jusqu’au 8 décembre.
www.theatredurondpoint.fr