Fragments d’un pays lointain de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Jean-Pierre Garnier.
Pièce ultime et testamentaire de l’auteur et metteur en scène Jean-Luc Lagarce, mort du sida en 1995, Le Pays lointain est présentée aujourd’hui par Jean-Pierre Garnier, sous le titre Fragments d’un pays lointain. Elle raconte son retour chez les siens, après dix années d’absence.
Autobiographique, le spectacle est aussi tressé d’extraits du Journal posthume où le dramaturge raconte sa résistance contre la mort. Quant aux Fragments, Louis, le personnage principal (Maxime Le Gac Olanié) revient dans son Pays lointain, auprès des siens qu’il sait avoir négligés maladroitement et avec lesquels, le temps passant, il a plus ou moins rompu-mère (Anne Loiret), frère (Mathieu Métral), sœur (Camille Bernon), belle-sœur (Loulou Hanssen).
L’auteur avait cru ne pas pouvoir partager les valeurs de sa famille, qui pensait, elle de son côté, être mésestimée par lui. Incompréhension ou dépit, l’amour finalement criait autant qu’il se cachait. Pourtant, le fils et frère éprouve le désir compulsif d’annoncer à ses proches qui font partie de sa chair, sa mort prochaine qu’il ne parvient pas à formuler.
Autour du poète, à la fois éloquent et silencieux, évoluent tous les garçons que l’écrivain a croisés ou aimés, furtivement ou pas : le préféré « l ‘Amant, mort déjà » (Makita Samba), l’ami de jeunesse Longue Date (Arthur Verret), des personnages collectifs « un Garçon, tous les garçons » (Benjamin Guillet) et « le Guerrier, tous les guerriers » (Harrison Arevalo), enfin une Amie intime de longue date, Hélène (Inga Koller). Sans oublier l’Infirmière (Sophie Van Everdingen), qui veille le malade.
La localisation du Pays lointain, selon le choix dramaturgique de Jean-Pierre Garnier, n’est autre que le plateau de théâtre, métaphore de toutes les scènes où l’auteur a écrit, monté ses propres pièces et celles des autres mais aussi joué. La réinvention d’un monde où la vie se démultiplie.
La scénographie et les lumières d’Yves Collet sont très subtiles dans leur brutalité même. Quand le public entre dans la salle, Louis déjà, très proche et lumineux, se tient au bord du plateau, rivé à sa table d’écriture. Souriant, il fait face aux spectateurs puis se retourne pour taper les touches du clavier de son antique machine à écrire. Le ton est donné. Face à lui, s’étend la vaste et profonde scène du Théâtre de la Tempête.
Un premier panneau de rideaux se soulève avec délicatesse et apparaissent alors les amis, la seconde famille, en quelque sorte. Un second rideau s’élève plus loin-spatialement et historiquement-et c’est la première famille naturelle qui surgit.
Présent ou passé distincts ou mêlés, tous vont s’adresser à Louis comme ils vont se parler entre eux, et comme Louis-narrateur et protagoniste-tient son public au bout de ses mots. Tous ces acteurs sont d’une brillante jeunesse et d’un même enthousiasme, heureux de vivre et d’être là, ce à quoi reste toujours sensible Louis/Lagarce, un patient qui se sait lentement quitter la vie.
Une ferveur authentique, et paradoxalement non jouée, habite la grande aire du plateau, un feu de couleurs et d’énergies qui se communique d’un personnage à l’autre, propageant ses secousses çà et là pour illuminer la salle : gestes vifs et mouvements violents contrôlés, corps-à-corps et jeux d’enfants, épanchements intimes et danses amoureuses, chants personnels et musiques du temps.
Chacun y va de son refrain avec bonne humeur, luttant avec allégresse contre toute idée de mort et à l’inverse, la transcendant au plus près du désir et du plaisir d’être, de goûter cet instant présent qui déjà s’évanouit vers un autre moment inconnu.
Un travail sur notre présence au monde avec lucidité d’esprit et sensualité des corps.
Véronique Hotte
Théâtre de la Tempête. Tél : 01 43 28 36 36 jusqu’au 15 décembre.