Sigma

Sigma, une exposition au CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux.

 

   Crcapc_-_visuel_sigma_ss_textéé en 1965 par son directeur-fondateur, Roger Lafosse, avec l’appui  financier déterminant du maire Jacques Chaban-Delmas  Sigma (de la lettre grecque ) pour la semaine que durait ce festival,  aura invité des gens encore peu connus à l’époque, et jamais vus en France, comme, excusez du peu ! Les américains: Meredith Monk, Le Performance Group, Le Bread and Puppet, le Living Theatre, John Vaccaro, le Wooster Group, mais aussi les Norvégiens de l’Odin Teatret, Jan Fabre, les Hollandais du Hauser Orkater, les anglais de Pip Simmons et le très fameux Jerzy Grotowski.
E
t pour la France, André Benedetto, Jean-Jacques Lebel, la fameuse troupe de travestis Les Mirabelles, Zingaro qui s’appelait alors le Cirque Aligre, Farid Chopel, Jérôme Savary et son Grand Magic Circus, sans oublier de jeunes troupes bordelaises comme celle de Guy Lenoir et Richard Coconnier ou le Groupe 33 de Jacques-Albert Canque …En littérature, Robert Escarpit y crééa Le Prix de la seconde chance et Le Prix des lecteurs en 67. En arts plastiques, il y eut Erro, Malaval, Vialat etc… sigma-en-1977-a-la-pointe-de-l-avant-garde_1464654_460x306
 Il y eut aussi tout un volet cinéma avec  des nuits blanches de cinéma comme La nuit de l’underground imaginée en 67 par Pierre Bordier, avec des centaines de personnes faisant la queue dans l’espoir d’obtenir une place…
Du côté danse,  Lucinda Childs, le Sankaï Juku, Régine Chopinot;  Roger Lafosse avait aussi accueilli les compositeurs Pierre Boulez, Phil Glass, le GRM, Pirre henry et son concert couché,  Les Pink Floyd et grand  connaisseur de jazz il reçut aussi Miles Davis, Dizzie Gillipsie, Chet Baker, Lionel Hampton, Duke Ellington, Albert Ayler. Impossible de citer tout le monde mais bref, Sigma aura été aussi au rendez-vous des nouvelles formes de théâtre, des nouvelles technologies, des performances et des happenings comme ceux de Jean-jacques Lebel.
D’année en année avec méthode et opiniâtreté, Roger Lafosse aura eu le nez creux, et aura tissé une sacrée toile artistique! Bordeaux aura été ainsi, du moins surtout les vingt premières années de Sigma, la seule ville- très bourgeoise, encore assez fermée à la création contemporaine- à offrir, une semaine durant, une sorte de concentré artistique incomparable, avec ce qui se faisait de plus novateur.   Une sorte de bouillon de culture avec un brassage d’artistes  dans des lieux parfois incroyables, comme Le Capitole, Le Théâtre Fémina dédié le reste de l’année à l’opérette! ou l’Alhambra-qui fut,on l’a oublié, notreroyal de luxe Chambre des députés pendant la guerre 14-18-doté d’un parterre pivotant avec, d’un côté de vieux  fauteuils de velours, et de l’autre, un impeccable parquet de bal! Ou plus tard, aux Entrepôts Lainé, construits en 1822, puis aussi dans l’ancienne et gigantesque base sous-marine allemande, avec  Le Royal de Luxe, les Espagnols de La Furia del Baus, ou les performances du bordelais Jacques-Albert Canque.
 » Comme l’écrivait Maurice Fleuret, critique musical et conseiller de Jack Lang,  qui fut à l’origine de la fête de la musique:  » De toujours, Sigma est allé plus loin que l’objet d’art. D’abord en le sortant du cadre convenu qui, d’ordinaire, l’étouffe, en le mettant dans une situation propre à exalter toute la charge d’innovation. Et puis en favorisant les inter-mondes où artistes, scientifiques et philosophes, hommes de création, d’invention, de pensée, peuvent ensemble remettre en cause leurs certitudes, et par là en élaborent de nouvelles. Chaque rendez-vous d’automne à Bordeaux nous a donné son lot de provocations, de révélations, d’éblouissements mais surtout de questions, de ces si bonnes questions que personne ne les voit. »
Et, comme l’écrivait fort lucidement, le marquis de Secondat, de la Brède tout près de Bordeaux, dit aussi Montesquieu:  » Du jour où on n’entend plus les bruits du conflit, la tyrannie n’est pas loin ».  Effectivement,  l’auteur des Lettres persanes, deux siècles auparavant,  ne croyait pas si bien dire, Sigma, parfois conflictuel, aura aussi et surtout été un lieu essentiel de liberté de pensée, et le carrefour annuel de toutes les avant-gardes et provocations artistiques et donc parfois même… de bagarres, comme celles entre autres, où Jean-Hedern Hallier jeta des colins pas frais à la tête de Guy Hocquenhem!
Sigma n’aurait pu être Sigma sans le travail de toute une équipe, professionnels et bénévoles bordelais  qui aidaient avec beaucoup d’efficacité Roger Lafosse. Ce qui frappe dans l’histoire de Sigma, comme l’avait écrit le critique de Sud-Ouest, Pierre Veilletet: « C’est son nomadisme, peu de bagages, pas de meubles, beaucoup de déménagements ». Le festival
connut une certaine baisse de fréquentation vers la fin des années 80; Roger Lafosse qui avait perdu en 89 son lieu magic circusde fondation, les Entrepôts Lainé, avait dû se rabattre dans des entrepôts sur les quais de la Garonne, beaucoup moins accueillants et le ministère de la Culture, n’avait pas fait  beaucoup d’efforts pour  soutenir ce festival qui avait sans doute connu des jours meilleurs. Son fondateur et directeur avait mis la barre vraiment très haut et semblait-et c’est normal-avoir quelque mal à renouveler son vivier de jeunes créateurs. Il avait même dû renoncer au festival 93. Et Sigma devait s’éteindre définitivement en 96.
Roger Lafosse né en 1930, est mort il y a trois ans, et les programmes des vingt premiers Sigma ressemblent maintenant à de grands cimetières sous la lune. Mais Charlotte Laubard, la directrice du CAPC,  a eu la bonne idée
de faire revivre la grande aventure de ces Sigma. Avec Agnès Vatican, et  Patricia Brignone, commissaires, elle a conçu cette  grande exposition, co-produite à la fois par le CAPC, les Archives municipales qui gèrent le riche fonds de documents écrits, visuels et sonores légué par Roger et Michèle Lafosse, et l’INA.
Mais comment rendre compte dans le bel espace architectural des Entrepôts Lainé de ces centaines d’événements théâtraux, chorégraphiques,musicaux, etc… sur plus de vingt ans qui témoignent d’une remarquable période artistique et leur redonner un maximum de vie… Charlotte Laubard reconnait que « le noir et blanc, les textes d’intention d’époque, et les extraits télévisés semblent impuissants à rendre compte de de cette effervescence ». Effectivement, la tâche n’est pas facile: comment faire renaître ce qui n’est plus mais qui a tellement frappé le public mais aussi les créateurs, écrivains ou critiques français comme étrangers et  tous ceux qui y ont suivi le plus souvent d’année en année l’aventure Sigma avec passion?
439853_17108626-1Pourquoi aimait-on Sigma? Comme le disait le célèbre prédécesseur d’Alain Juppé, à la mairie de Bordeaux présent au vernissage, le grand Michel de Montaigne:
« Parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Impossible de ne pas être touché à titre individuel par l’une ou l’autre de ces manifestations artistiques, surtout quand on habitait cette ville qui jouait  à l’époque les belles endormies.
Patricia Brignone a proposé une lecture  diachronique, et non chronologique à travers les différentes disciplines, et elle a eu raison: c’était sans doute le seul moyen d’éviter le piège de la nostalgie et cela aurait été forcément fastidieux. Elle a préféré  afficher des images en noir et blanc,
ce qui donne une grande unité mais  parfois aussi un côté un peu tristounet) et de grandes bannières suspendues, où l’on voit entre autres une Meredith Monk, toute jeune dans les années 70. Mais, dommage, pas Le Bread and puppet pour des raisons de droits!
Mais il y aussi heureusement des extraits vidéo de spectacles, des interviews, etc… Ainsi, Jérôme Savary joue de la trompette dans une vieille rue pavée de Bordeaux où des 4L Renault passent entre des spectateurs aux cheveux longs, un jeune postier raconte qu’il fait partie de l’équipe de bénévoles de Sigma qui viennent donner un coup de main après leur travail, Roger Lafosse raconte comment il bâtit sa programmation. Bref, tout un monde disparu… Et un brin de nostalgie dans l’air.
Il y a surtout la diffusion intégrale chaque jour d’une  œuvre créée à Sigma et une consultation de documents vidéo à la demande, grâce à la présence d’un archiviste-médiateur mais… à des horaires  différents selon les jours, ce qui complique un peu les choses. Et il y a enfin un certain nombre de conférences de spécialistes qui ont vécu Sigma.
Ce qui était très émouvant le soir du vernissage, c’était surtout de voir des centaines de jeunes gens qui n’avaient jamais connu un Sigma de leur vie, naviguer dans l’exposition, regarder passionnés ce fond  exceptionnel réuni ici pour la première fois (photos, vidéos, extraits de presse, affiches), poser des questions, comme à la recherche d’une mémoire collective bordelaise dont leurs grands-parents et parents furent les acteurs.
L’exposition est une sacrée leçon pour les jeunes générations actuelles, et ceux qui verront tout ce que Roger Lafosse et ses collaborateurs ont réalisé avec efficacité il y a quelques décennies, pourront aussi avoir envie de concevoir des événements artistiques comparables. Autrement sans doute, et c’est tant mieux. C’est en cela que cette exposition est importante car elle transmet l’essentiel de l’esprit Sigma.
Donc, si vous habitez Bordeaux ou si vous y passez, n’hésitez pas.

Philippe du Vignal

 

CAPC Musée d’art contemporain aux  Entrepôts Lainé  7, rue Ferrère. T: 05 56 00 81 50, jusqu’au 2 février de 11h à 18h et de 11h à 20h les mercredis.Fermé les lundis et jours fériés.
Plein tarif : 5 €Tarif réduit :2,50 €

www.capc-bordeaux.fr

 

 


Archive pour 21 novembre, 2013

La Loi de Tibi

La Loi de Tibi de Jean Verdun, adaptation et mise en scène de Jean-Michel Martial.
 
 tibi1014338_605183016169729_1151774041_n L’excellent jeu de Jean-Michel Martial à la Chapelle du Verbe incarné, avait été remarqué cet été, en Avignon.  Intime et  chaleureux, le lieu convenait parfaitement  à  cette œuvre de Jean Verdun, Mieux que nos pères, écrite en 2001, devenue Tibi’s Law dans la traduction de Robert Cohen,  et jouée en 2003 aux États-Unis.  La  compagnie l’Autre Souffle  a gardé ce titre car il recèle quelque chose de biblique qui met en valeur le personnage quasi shamanique de  Tibi.
Pourtant, la reprise  au théâtre de Ménilmontant à Paris semble avoir un peu dénaturé la pièce. Au début, une figure masculine, à peine perceptible dans l’ombre bleuâtre, traverse la scène en poussant un landau de bébé et tourne autour d’une tente dressée sur un terrain abandonné. Des tirs à distance font croire à une manifestation, une guerre civile, une activité inquiétante mais indéfinissable.Toute une agitation sociale s’incarne alors  avec l’ombre puissante et  étrangement séduisante d’un grand maître de cérémonies que l’on distingue peu à peu,  alors que le jour se lève devant un théâtre en abyme où Tibi nous montre comment le monde fonctionne selon  lui.
  C’est lui qui va  mener le rituel des six enterrements destinés à divertir les touristes qui, voyeurs impénitents, cherchent à observer les spectacles « exotiques » de la pauvreté. À la fois, bonimenteur, magicien, conteur, figure emblématique de tous les damnés de la terre, il cerne les déchets de l’humanité, des restes de la banlieue, des bribes d’histoire urbaine qui grouillent dans ces cloaques à la lisière de toutes les grandes villes.
Nous voilà, confrontés à une autre mondialisation, celle des pauvres  devenus un spectacle public, géré  par la loi pyramidale de Tibi : plus vous augmentez les richesses au sommet de la pyramide, plus vous en augmentez  la misère à la base. Rien à faire. Le post-colonialisme  n’a pas encore guéri le monde, les damnés de la terre y  sont toujours,  Fanon y jette son regard moqueur mais rien ne change.
Jean-Michel Martial, l’acteur reste magistral et puissant mais on sent qu’il y a eu des obstacles qui l’ont empêché  de s’épanouir,  comme à Avignon, en Martinique, et en Guadeloupe. La grande salle de Ménilmontant et sa scène immense qui engloutit les comédiens, semblent aussi avoir dilué leur jeu. Mais il faut mentionner Karine Pédurand, dans le rôle de Mara, une jeune femme un peu hébétée qui s’enfonce sous les débris d’une tente,  et qui se réveille dans une confusion totale. La tristesse de cette déchéance prend possession de l’homme, mais l Mara apporte une présence toute de douceur, de beauté et de chaleur humaine qui lui permet encore d’espérer…
Le jeu intime entre les deux acteurs, rehaussé par  des  spots orange, met en relief le corps mouillé  de la jeune femme quand Tibi lui donne une douche. Ce rituel de purification d’une grande sensualité est un beau moment dans un ensemble de gestes et de proférations de ce  texte poétique.
Mais Jean-Michel Martial n’arrive pas vraiment à capter les transformations rythmiques de son jeu, l’émergence des tonalités ancrées dans les différences entre le monde quotidien et sa présence quasi mystique de meneur d’ enterrements devant les touristes. Même sa merveilleuse cape et son chapeau féérique perdent leur signification magique; il manque des pauses, des silences, des envols, des moments d’écoute d’un texte qu’un metteur en scène extérieur au jeu aurait vite signifiés.

  Il faut signaler le travail subtil des éclairages, du paysage sonore et de toute l’équipe technique. Pourtant, nous avons eu l’impression que l’épuisement de l’acteur principal, qui est normalement une  force de la nature,  était exacerbé par l’immensité de l’espace vide autour de lui. L’énergie venant d’un grand public aurait pu nourrir son interprétation…

Alvina Ruprecht

Théâtre de Ménilmontant  jusqu’au 27 novembre, et les 4, 11 et 18 décembre.
 

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