La Loi de Tibi
La Loi de Tibi de Jean Verdun, adaptation et mise en scène de Jean-Michel Martial.
L’excellent jeu de Jean-Michel Martial à la Chapelle du Verbe incarné, avait été remarqué cet été, en Avignon. Intime et chaleureux, le lieu convenait parfaitement à cette œuvre de Jean Verdun, Mieux que nos pères, écrite en 2001, devenue Tibi’s Law dans la traduction de Robert Cohen, et jouée en 2003 aux États-Unis. La compagnie l’Autre Souffle a gardé ce titre car il recèle quelque chose de biblique qui met en valeur le personnage quasi shamanique de Tibi.
Pourtant, la reprise au théâtre de Ménilmontant à Paris semble avoir un peu dénaturé la pièce. Au début, une figure masculine, à peine perceptible dans l’ombre bleuâtre, traverse la scène en poussant un landau de bébé et tourne autour d’une tente dressée sur un terrain abandonné. Des tirs à distance font croire à une manifestation, une guerre civile, une activité inquiétante mais indéfinissable.Toute une agitation sociale s’incarne alors avec l’ombre puissante et étrangement séduisante d’un grand maître de cérémonies que l’on distingue peu à peu, alors que le jour se lève devant un théâtre en abyme où Tibi nous montre comment le monde fonctionne selon lui.
C’est lui qui va mener le rituel des six enterrements destinés à divertir les touristes qui, voyeurs impénitents, cherchent à observer les spectacles « exotiques » de la pauvreté. À la fois, bonimenteur, magicien, conteur, figure emblématique de tous les damnés de la terre, il cerne les déchets de l’humanité, des restes de la banlieue, des bribes d’histoire urbaine qui grouillent dans ces cloaques à la lisière de toutes les grandes villes.
Nous voilà, confrontés à une autre mondialisation, celle des pauvres devenus un spectacle public, géré par la loi pyramidale de Tibi : plus vous augmentez les richesses au sommet de la pyramide, plus vous en augmentez la misère à la base. Rien à faire. Le post-colonialisme n’a pas encore guéri le monde, les damnés de la terre y sont toujours, Fanon y jette son regard moqueur mais rien ne change.
Jean-Michel Martial, l’acteur reste magistral et puissant mais on sent qu’il y a eu des obstacles qui l’ont empêché de s’épanouir, comme à Avignon, en Martinique, et en Guadeloupe. La grande salle de Ménilmontant et sa scène immense qui engloutit les comédiens, semblent aussi avoir dilué leur jeu. Mais il faut mentionner Karine Pédurand, dans le rôle de Mara, une jeune femme un peu hébétée qui s’enfonce sous les débris d’une tente, et qui se réveille dans une confusion totale. La tristesse de cette déchéance prend possession de l’homme, mais l Mara apporte une présence toute de douceur, de beauté et de chaleur humaine qui lui permet encore d’espérer…
Le jeu intime entre les deux acteurs, rehaussé par des spots orange, met en relief le corps mouillé de la jeune femme quand Tibi lui donne une douche. Ce rituel de purification d’une grande sensualité est un beau moment dans un ensemble de gestes et de proférations de ce texte poétique.
Mais Jean-Michel Martial n’arrive pas vraiment à capter les transformations rythmiques de son jeu, l’émergence des tonalités ancrées dans les différences entre le monde quotidien et sa présence quasi mystique de meneur d’ enterrements devant les touristes. Même sa merveilleuse cape et son chapeau féérique perdent leur signification magique; il manque des pauses, des silences, des envols, des moments d’écoute d’un texte qu’un metteur en scène extérieur au jeu aurait vite signifiés.
Il faut signaler le travail subtil des éclairages, du paysage sonore et de toute l’équipe technique. Pourtant, nous avons eu l’impression que l’épuisement de l’acteur principal, qui est normalement une force de la nature, était exacerbé par l’immensité de l’espace vide autour de lui. L’énergie venant d’un grand public aurait pu nourrir son interprétation…
Alvina Ruprecht
Théâtre de Ménilmontant jusqu’au 27 novembre, et les 4, 11 et 18 décembre.