L’Orage Strindberg/Osinski

L’Orage de Strindberg,  traduction de René Zahnd, mise en scène de de Jacques Osinski.

   Jacques Osinski propose une vision épurée de la première pièce du Théâtre intime de  Strindberg, écrite à la fin  de sa vie, (un théâtre de chambre tel que le défendait Max Reinhardt en Allemagne) et qu’il oppose au naturalisme de ses débuts. Selon René Zahnd, la rencontre du dramaturge avec August Falk, va susciter en 1907  la construction à Stockholm du Théâtre intime, une salle qui va lui permettre  enfin d’appliquer sa propre vision de l’art dramatique.
Pour Strindberg, le Théâtre intime consiste à développer dans le drame un sujet chargé de signification, mais limité : « Nous évitons les expédients, les sujets faciles, les morceaux de bravoure, les numéros pour vedettes. » Ce qui lui importe plutôt, c’est la «lutte des  cerveaux» ou le «meurtre psychologique» dont il a déjà fait l’expérience  dans Mademoiselle Julie et Danse de mort.
Avant les autres pièces de chambre (Maison brûlée, La Sonate des spectres et Le Pélican ), Orage est une grande pièce sur le temps. Suggérer, ne pas souligner, c’est la manière même du théâtre  que privilégie Jacques Osinski. L’intrigue d’Orage, (1907) correspond singulièrement-mais non! -à la vie privée de l’auteur et à ses soucis conjuguaux, puisqu’elle s’inspire de sa liaison tumultueuse avec  la comédienne Harriet Bosse.
Bien plus âgé que la jeune femme, l’auteur se maria avec elle  en 1902 ; ils eurent un enfant puis divorcèrent en 1904, avant de connaître une période de ruptures puis de retrouvailles qui ne s’acheva qu’avec le remariage de la comédienne. Dans la pièce, Monsieur (Jean-Claude Frissung) est un double théâtral de Strindberg,  si ce n’est la dimension poétique de la fiction. Monsieur, âgé, vit seul, à l’entresol, dans un appartement que tient une jeune parente à son service, Louise (Alice Le Strat). Son frère Axel, un
Procureur, (Michel Kullmann), qui, l’été, vit à la campagne, lui tient régulièrement compagnie.
Au rez-de-chaussée où il a sa boutique, Starck le pâtissier (Baptiste Roussillon) discute volontiers avec Monsieur de ses déboires: la maladie des yeux de sa femme, et le déclin de son commerce. Ils parlent de la vie de leur immeuble où viennent d’emménager au premier étage d’étranges voisins aux habitudes nocturnes. Ne serait-ce pas Gerda, l’ex-épouse de Monsieur (Grétel Delattre), apparemment remariée avec un homme douteux qui vit là 
avec sa fille?
Voilà « la paix de la vieillesse », le leit-motiv salvateur de Monsieur, en passe d’être bousculé ! Si Monsieur est parti et a quitté sa jeune femme avant qu’elle ne le quitte, c’est que la vie conjugale était un enfer ; il préfère, à présent, vivre avec ses seuls bons souvenirs, loin de la haine et de la rancœur,  et estime avoir gardé son honneur dans cette affaire.
Suffisent à sa paix intérieure, la contemplation de la lune par une belle nuit d’été, un orage qui s’annonce, précédé d’éclairs, au cours d’une promenade  en ville  avec son frère. Le repos et la sagesse ne s’obtiennent qu’à ce prix, même dans la touffeur d’une soirée estivale, en écoutant le pâtissier parler de ses fraises, framboises, cerises et autres fruits aux belles couleurs pour la préparation de ses confitures d’hiver. De son côté, Monsieur s’occupe des fleurs de son jardin et résiste fièrement à toute infraction de son intimité.
Jacques Osinski accorde toute son attention à l’écoulement du temps : le silence est roi, et on peut deviner les pensées ou les images qui adviennent à l’esprit du personnage. Christophe Ouvrard a conçu une scénographie avec un double plateau : l’extérieur de l’immeuble et
une salle à manger derrière une baie vitrée où on voit Monsieur, lisant son journal ou jouant aux échecs. 
La scène ainsi protégée est comparable au décor d’une séquence de cinéma où la vie est restituée, proche et lointaine à la fois, pour un public voyeur. Dans ce jeu du dedans et du dehors, divers degrés de représentation se jouent, comme si chacun, replié  à l’intérieur de la maison et de soi, venait respirer sur le pas de la porte,  en apportant l’ouverture d’une dimension autre de la vie, un commentaire sur le dur métier d’exister. Malgré la grande solitude et l’abandon.
Un travail raffiné d’attente, de temps suspendu et de sentiment vivant de l’existence.

 

 Véronique Hotte

 

  Théâtre de la Tempête,  Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 15 décembre T : 01 43 28 36 36

 


Archive pour 25 novembre, 2013

L’Orage Strindberg/Osinski

L’Orage de Strindberg,  traduction de René Zahnd, mise en scène de de Jacques Osinski.

   Jacques Osinski propose une vision épurée de la première pièce du Théâtre intime de  Strindberg, écrite à la fin  de sa vie, (un théâtre de chambre tel que le défendait Max Reinhardt en Allemagne) et qu’il oppose au naturalisme de ses débuts. Selon René Zahnd, la rencontre du dramaturge avec August Falk, va susciter en 1907  la construction à Stockholm du Théâtre intime, une salle qui va lui permettre  enfin d’appliquer sa propre vision de l’art dramatique.
Pour Strindberg, le Théâtre intime consiste à développer dans le drame un sujet chargé de signification, mais limité : « Nous évitons les expédients, les sujets faciles, les morceaux de bravoure, les numéros pour vedettes. » Ce qui lui importe plutôt, c’est la «lutte des  cerveaux» ou le «meurtre psychologique» dont il a déjà fait l’expérience  dans Mademoiselle Julie et Danse de mort.
Avant les autres pièces de chambre (Maison brûlée, La Sonate des spectres et Le Pélican ), Orage est une grande pièce sur le temps. Suggérer, ne pas souligner, c’est la manière même du théâtre  que privilégie Jacques Osinski. L’intrigue d’Orage, (1907) correspond singulièrement-mais non! -à la vie privée de l’auteur et à ses soucis conjuguaux, puisqu’elle s’inspire de sa liaison tumultueuse avec  la comédienne Harriet Bosse.
Bien plus âgé que la jeune femme, l’auteur se maria avec elle  en 1902 ; ils eurent un enfant puis divorcèrent en 1904, avant de connaître une période de ruptures puis de retrouvailles qui ne s’acheva qu’avec le remariage de la comédienne. Dans la pièce, Monsieur (Jean-Claude Frissung) est un double théâtral de Strindberg,  si ce n’est la dimension poétique de la fiction. Monsieur, âgé, vit seul, à l’entresol, dans un appartement que tient une jeune parente à son service, Louise (Alice Le Strat). Son frère Axel, un
Procureur, (Michel Kullmann), qui, l’été, vit à la campagne, lui tient régulièrement compagnie.
Au rez-de-chaussée où il a sa boutique, Starck le pâtissier (Baptiste Roussillon) discute volontiers avec Monsieur de ses déboires: la maladie des yeux de sa femme, et le déclin de son commerce. Ils parlent de la vie de leur immeuble où viennent d’emménager au premier étage d’étranges voisins aux habitudes nocturnes. Ne serait-ce pas Gerda, l’ex-épouse de Monsieur (Grétel Delattre), apparemment remariée avec un homme douteux qui vit là 
avec sa fille?
Voilà « la paix de la vieillesse », le leit-motiv salvateur de Monsieur, en passe d’être bousculé ! Si Monsieur est parti et a quitté sa jeune femme avant qu’elle ne le quitte, c’est que la vie conjugale était un enfer ; il préfère, à présent, vivre avec ses seuls bons souvenirs, loin de la haine et de la rancœur,  et estime avoir gardé son honneur dans cette affaire.
Suffisent à sa paix intérieure, la contemplation de la lune par une belle nuit d’été, un orage qui s’annonce, précédé d’éclairs, au cours d’une promenade  en ville  avec son frère. Le repos et la sagesse ne s’obtiennent qu’à ce prix, même dans la touffeur d’une soirée estivale, en écoutant le pâtissier parler de ses fraises, framboises, cerises et autres fruits aux belles couleurs pour la préparation de ses confitures d’hiver. De son côté, Monsieur s’occupe des fleurs de son jardin et résiste fièrement à toute infraction de son intimité.
Jacques Osinski accorde toute son attention à l’écoulement du temps : le silence est roi, et on peut deviner les pensées ou les images qui adviennent à l’esprit du personnage. Christophe Ouvrard a conçu une scénographie avec un double plateau : l’extérieur de l’immeuble et
une salle à manger derrière une baie vitrée où on voit Monsieur, lisant son journal ou jouant aux échecs. 
La scène ainsi protégée est comparable au décor d’une séquence de cinéma où la vie est restituée, proche et lointaine à la fois, pour un public voyeur. Dans ce jeu du dedans et du dehors, divers degrés de représentation se jouent, comme si chacun, replié  à l’intérieur de la maison et de soi, venait respirer sur le pas de la porte,  en apportant l’ouverture d’une dimension autre de la vie, un commentaire sur le dur métier d’exister. Malgré la grande solitude et l’abandon.
Un travail raffiné d’attente, de temps suspendu et de sentiment vivant de l’existence.

 

 Véronique Hotte

 

  Théâtre de la Tempête,  Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 15 décembre T : 01 43 28 36 36

 

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