Ceinte

Ceinte, d’après La Machination ou La Reine en amont d’Henry Bauchau.

 

 Jocaste.danseElle est au centre, elle est l’axe du monde, et l’enfant ne veut pas quitter la jupe sous laquelle il se cache. L’enfant, c’est Alexandre, le futur et fulgurant « Le Grand » (Stéphane Ramirez), et la mère, Olympias, l’épouse très aimée et très délaissée de Philippe, roi de Macédoine. Que reste-t-il au fils d’un roi glorieux et vainqueur qui ne lui a laissé « rien de grand à faire »?
Il lui reste la séparation, et l’éducation d’Aristote, il lui reste le théâtre. Comme Hamlet, il va prendre le détour du théâtre pour arriver à la vérité. Mais plus profondément que dans Hamlet,  cette vérité va contaminer sa vie, la pénétrer. Evidemment, il s’agit d’Œdipe.
L’auteur -Bauchau ou son auteur de fiction- y étire  les liens entre le fils et le père, et reporte le meurtre presque à l’infini, tandis que la mère est derrière, silencieuse, « en amont », forte de ses choix et de ses refus (excellente Delphine Haber).
Très intelligemment, Benoît Weiler et Eric Pellet ont inclus ce “théâtre dans le théâtre“ dans un nouveau cercle : en amont, ils ont invité sur scène le journal de l’auteur, l’écriture en train de se faire, les hésitations sur le titre de la pièce.
Philippe Drancy lui donne voix et présence vivante, et se glisse avec la même liberté dans le rôle d’Aristote négociant avec Philippe l’éducation d’Alexandre. En aval, on assiste au bricolage du théâtre lui-même, avec changements de costumes à vue, interruptions et reprises, dans la fiction du « direct ».
Dans ce dernier (ou premier ?) cercle, la ficelle est parfois un peu grosse, mais elle est tendue par l’énergie et par l’humour, qui fait du metteur en scène le Roi, le père, qu’il faudra bien tuer, ne serait-ce que symboliquement. Cette étourdissante mise en abyme permet de jouer, pour notre plus grand plaisir sur différents registres : celui de la tragédie conjugale, celui du conte, avec un annoncier d’une maladresse virtuose (Guy Segalen), qui vous mimerait une tragédie en quatre gestes,  si l’on ne l’interrompait pas au troisième.
Le tout en musique, créée in vivo par Geoffrey Dugas et Adrien Deygas, aussi bons comédiens que musiciens. Car l’un des charmes de ce spectacle,  c’est le glissement d’un de ces registres à l’autre, sans trahir l’écriture de Bauchau et sa belle tenue, du tragique à la bouffonnerie.
Dans son obstination à jouer avec simplicité une histoire complexe, où l’écrivain n’est pas tout puissant, de lui donner seulement des fragments de réponses, le spectacle est touchant et beau.

 

Christine Friedel

 

Vu au Centre Wallonie-Bruxelles. À voir à la Ferme du Biereau, à Louvain-la-Neuve (Belgique) le 16 décembre à 20h dans le cadre du colloque Bauchau et le théâtre.


Archive pour 26 novembre, 2013

La Princesse au petit pois

La Princesse au petit pois, d’après Hans-Christian Andersen, adaptation d’Antoine Guémy, Édouard Signolet et Elsa Tauveron, mise en scène d’Edouard Signolet.

 

  C’est sur Cheek to Cheek que s’ouvre La Princesse au petit pois, avec les voix rayonnantes et rauques d’Ella Fitzgerald et Louis Amstrong, une façon_ND31892 de donner du peps et de la lumière à cette mise en scène joueuse et rusée d’Edouard Signolet.
  Sur un praticable, des cubes d’enfant, colorés et peints, en guise de décor abstrait, que l’on monte ou démonte, selon les besoins et la vision scénographique de Dominique Schmitt.
Quelques coursives montantes et descendantes cernent le plateau de scène élevé: ce sont les douves du château
.
  Et voici, déguisés en grands  de ce monde, extravertis et criards, Roi (Elliot Jenicot) et Reine (Elsa Lepoivre), flanqués de Prince (Jérémy Lopez), rejeton pâlot et neutre, qui conversent, échangeant des bribes bien frappées d’une conversation profondément égoïste. Au programme du jour, le bonheur, l’harmonie, la satisfaction de soi et la douceur de vivre.
  « Heureux, voilà ce que nous sommes, loin des problèmes du monde… », disent Roi et Reine. Mais « Pourquoi Prince est-il à l’envers d’heureux ? » C’est que le garçon d’antan a grandi, il aimerait bien avoir quelqu’un à lui, pour être comme Roi et Reine, pour être Roi à son tour et se marier avec une princesse qui, du même coup, deviendrait Reine. Or, l’enjeu est de trouver une vraie princesse : comment la reconnaître ? Le monde est plein de bandits et de barbares qui mentent, ne serait-ce que pour s’approprier le titre royal et tous ses avantages...
 Une princesse n’est que vraie, sinon elle n’existe pas ! Dans sa quête féminine, Prince rencontre quelques princesses : l’une n’a d’autre but que de le dépecer, une autre veut le séquestrer. Enfin, le jeune homme trouve sa vraie  dulcinée (Georgia Scalliet), une princesse de sang qui s’ignore. Cependant, le symptôme de la passion sentimentale ne trompe pas : les tourtereaux ne peuvent plus respirer et ne parviennent pas à se détacher du regard l’un de l’autre
  Or, la belle ne se sent guère princesse ; elle n’a ni envie de n’avoir rien à faire ,ni celle d’être belle toute la journée. Mélancolique, Prince rentre au château, il a parcouru la cruauté du monde. Heureusement, grâce à une jeune roturière complètement trempée par la pluie et qui s’est égarée autour du château-elle ressemble à la « vraie » déjà rencontrée -Reine accomplit le dénouement heureux de ce conte initiatique.
  Tous les acteurs alternativement, en solo et sous les lumières d’Éric Dumas, prennent en charge un épisode de l’intrigue, jouant savoureusement de ces mots vides qu’ils prononcent et qui ne veulent plus rien dire. Le rire aux yeux et le sourire aux lèvres. Peut-être ces concepts philosophiques et pratiques parlent-ils à l’imaginaire enfantin, comme vrai, heureux, bonheur, ensemble … Seul, le mot amour  inconnu ou déprécié, n’est guère évoqué .Un sentiment, pourtant, qui « fait éclater le cœur qui bat trop vite Tout est dit. ».
Et les personnages s’amusent et illuminent la scène de leur bonne humeur, joutes verbales, et beaux atours, entre fourrures, plumes et parures princières à faire rêver. Un beau spectacle pour tous les enfants.

 

Véronique Hotte

 

Studio de la Comédie-Française. T : 01 44 58 98 58 j usqu’au 5 janvier .

 

 

 

 

Le Ciel dans la peau

Le Ciel dans la peau

d’Edgar Chias

traduction Boris Schoenmann- Editions du Miroir qui fume

mise en scène Anaïs Cintas – compagnie Les Montures du Temps

 

le ciel dans la peau 03« Il faut parler, tout raconter, tu ne peux pas…Poum.Poum.Poum. Le pouls. Lent et éteint…

Tu respires et crac dans la poitrine. Douleur. Tu exhales et fff… »

En cette langue syncopée, l’actrice exprime l’agonie d’une jeune femme qui lutte contre la mort après avoir été massacrée par un violeur. Elle doit impérativement raconter son histoire, pour témoigner, pour rester vivante. En contrepoint de ce monologue, l’auteur déroule un conte ancestrale : l’histoire d’une jeune lettrée dans le harem d’un roi oriental. Ces deux fables s’entremêlent pour dénoncer la violence faite au femmes de tous temps et plus particulièrement aujourd’hui au Mexique, où des centaines de femmes sont chaque année violées et assassinées, au vu et au su d’une police corrompue.

Évitant tout pathos, la pièce offre une partition musicale à Odille Lauria dont le léger accent mexicain renvoie à la réalité de son pays natal. Elle passe d’un personnage à l’autre, sans rupture entre la poésie du conte et l’atrocité du crime perpétré contre la mourante car c’est dans la tête de cette dernière que tout se joue  » où se découpent brillants et nets les objets qu’inventent le délire de ta mémoire cassée. » Le texte adressé à la deuxième personne au public ramène le sort de la jeune femme à un destin multiple et l’atrocité de son viol, décrit par le menu, perd de sa crudité réaliste pour s’inscrire dans la longue série des féminicides.

Une mise en scène fluide permet à l’actrice de prendre ses personnages à bras le corps et de se déployer dans un décor hybride parsemé de quelques accessoires dont une cabane de bidonville et un poste de télévision qui passe en boucle un télénovelas insipide.

Cette sobriété donne toute son importance à un texte d’une facture complexe qui est ici habilement décrypté.

La compagnie implantée à Villeurbanne n’a pas dix ans et a déjà à son actif six spectacles. On peut aussi la retrouver sur Radio Canut le vendredi pour découvrir des artistes et des textes présentés dans une émission en direct : le Théâtre de la Gamelle.

Mireille Davidovici

vu au théâtre des Ateliers à Lyon le 22 novembre 2013

prochaines représentations : 6-7 février 2014 – Chok Théâtre, Saint-Etienne

24 Rue Bernard Palissy ; 04 77 25 39 32

Gros-Câlin

Gros-Câlin de Romain Gary (Emile Ajar), adaptation de Thierry Fortineau, mise en scène de Bérangère Bonvoisin.

gros calinRomain Gary était né il a presque un siècle (1914) et s’était suicidé d’une balle dans la bouche en 1975. Après avoir, comme aviateur, réussi nombre de missions, il fut fait compagnon de la Libération puis devint diplomate. Ecrivain, il reçut deux fois le Prix Goncourt, une fois pour un roman Les Racines du ciel en 56 puis sous le pseudonyme d’Emile Ajar pour La Vie devant soi en 75,  pseudonyme sous lequel il écrivit aussi Gros-Câlin.
C’est une sorte de conte où un homme, M. Cousin, fonctionnaire dans une grande administration parisienne qui souffre sans doute d’être  en proie à la solitude dont il a besoin mais qu’il redoute à la fois. Il  a fini par accepter son sort , mais il se bat pour garder une certaine forme de liberté de penser et d’agir. Notamment en élevant un python chez lui.
Mais les relations avec les autres ne sont pas évidentes et s’il tombe amoureux  d’une de ses collègues, il s’y prend de façon très maladroite. Il ne cesse de fantasmer et a  un mal fou à affronter la réalité de la société qu’ il est obligé de fréquenter en permanence et sans beaucoup d’espoir, préférant sans doute vivre dans ses rêves. Et un python ne peut peut pas faire bon ménage avec une amoureuse…

 Il se raconte, au travers de déboires de la vie quotidienne, avec un humour assez glacé, entre lucidité et une certaine forme de désespoir qui le ronge mais  où il semble aussi se complaire. Sur le plateau, une  banquette en petits carreaux, un gros cube recouvert de ces mêmes petits carreaux et dans le fond, une sorte de sculpture minimale  faite de tubes de hauteur décroissante. Cet ensemble d’art minimal au rabais est assez laid, n’a pas vraiment de sens mais ce n’est pas grave…
L’essentiel est ailleurs: Jean-Quentin Châtelain, est là, avec une grande présence, magnifique acteur qu’on avait pu voir  dans Fin de partie de Beckett mais surtout dans Ode maritime de Fernando Pessoa, mise en scène par Claude Régy, où, il était seul face  public dans la grande salle du Théâtre de la Ville…

 Ici, il  donne véritablement corps à ce M. Cousin, avec une  gourmandise évidente. Vêtu d’une djelaba noire, pieds nus, il empoigne le texte de Gary avec une incomparable maîtrise. Il a une diction bien à lui  qui suppose un long travail d’appropriation de la langue et une réflexion sémantique approfondie.. Il a aussi une diction irréprochable, très ciselée qui donne au mot le plus banal toute son importance et son accent suisse procure un effet d’éloignement, de mise en abyme au texte de Gary des plus réjouissants.
 C’est un vrai bonheur que de l’écouter seul en scène, plus d’heure durant, sans aucun accompagnent musical: dans ce monologue, bien dirigé par Bérangère Bonvoisin,  c’est sans doute dans cet art du conte moderne qu’il est au plus haut de son métier d’acteur.  Avec un incomparable art de la nuance; on rit tout le temps, alors  que lui reste drapé dans une sorte de fausse dignité.
Et le Théâtre de l’Œuvre est le lieu idéal, intime et chaleureux, pour recevoir ce type de spectacle qui est sans doute un des meilleurs  depuis la rentrée. Frédéric fré&&anck a une raison de le programmer. On espère seulement que ce  Gros-Câlin pourra être aussi vu par ceux qui ne sont pas Parisiens. En tout cas, ne le ratez pas s’il passe près de chez vous.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Œuvre jusqu’au 26 janvier.

 

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