Gros-Câlin
Gros-Câlin de Romain Gary (Emile Ajar), adaptation de Thierry Fortineau, mise en scène de Bérangère Bonvoisin.
Romain Gary était né il a presque un siècle (1914) et s’était suicidé d’une balle dans la bouche en 1975. Après avoir, comme aviateur, réussi nombre de missions, il fut fait compagnon de la Libération puis devint diplomate. Ecrivain, il reçut deux fois le Prix Goncourt, une fois pour un roman Les Racines du ciel en 56 puis sous le pseudonyme d’Emile Ajar pour La Vie devant soi en 75, pseudonyme sous lequel il écrivit aussi Gros-Câlin.
C’est une sorte de conte où un homme, M. Cousin, fonctionnaire dans une grande administration parisienne qui souffre sans doute d’être en proie à la solitude dont il a besoin mais qu’il redoute à la fois. Il a fini par accepter son sort , mais il se bat pour garder une certaine forme de liberté de penser et d’agir. Notamment en élevant un python chez lui.
Mais les relations avec les autres ne sont pas évidentes et s’il tombe amoureux d’une de ses collègues, il s’y prend de façon très maladroite. Il ne cesse de fantasmer et a un mal fou à affronter la réalité de la société qu’ il est obligé de fréquenter en permanence et sans beaucoup d’espoir, préférant sans doute vivre dans ses rêves. Et un python ne peut peut pas faire bon ménage avec une amoureuse…
Il se raconte, au travers de déboires de la vie quotidienne, avec un humour assez glacé, entre lucidité et une certaine forme de désespoir qui le ronge mais où il semble aussi se complaire. Sur le plateau, une banquette en petits carreaux, un gros cube recouvert de ces mêmes petits carreaux et dans le fond, une sorte de sculpture minimale faite de tubes de hauteur décroissante. Cet ensemble d’art minimal au rabais est assez laid, n’a pas vraiment de sens mais ce n’est pas grave…
L’essentiel est ailleurs: Jean-Quentin Châtelain, est là, avec une grande présence, magnifique acteur qu’on avait pu voir dans Fin de partie de Beckett mais surtout dans Ode maritime de Fernando Pessoa, mise en scène par Claude Régy, où, il était seul face public dans la grande salle du Théâtre de la Ville…
Ici, il donne véritablement corps à ce M. Cousin, avec une gourmandise évidente. Vêtu d’une djelaba noire, pieds nus, il empoigne le texte de Gary avec une incomparable maîtrise. Il a une diction bien à lui qui suppose un long travail d’appropriation de la langue et une réflexion sémantique approfondie.. Il a aussi une diction irréprochable, très ciselée qui donne au mot le plus banal toute son importance et son accent suisse procure un effet d’éloignement, de mise en abyme au texte de Gary des plus réjouissants.
C’est un vrai bonheur que de l’écouter seul en scène, plus d’heure durant, sans aucun accompagnent musical: dans ce monologue, bien dirigé par Bérangère Bonvoisin, c’est sans doute dans cet art du conte moderne qu’il est au plus haut de son métier d’acteur. Avec un incomparable art de la nuance; on rit tout le temps, alors que lui reste drapé dans une sorte de fausse dignité.
Et le Théâtre de l’Œuvre est le lieu idéal, intime et chaleureux, pour recevoir ce type de spectacle qui est sans doute un des meilleurs depuis la rentrée. Frédéric fré&&anck a une raison de le programmer. On espère seulement que ce Gros-Câlin pourra être aussi vu par ceux qui ne sont pas Parisiens. En tout cas, ne le ratez pas s’il passe près de chez vous.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Œuvre jusqu’au 26 janvier.
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