Le Moche, Voir clair, Perplexe

Le Moche, Voir clair, Perplexe, de Marius Von Mayenburg, mise en scène Maïa Sandoz

 

trilogieCinq acteurs dont un musicien pour pas loin d’une vingtaine de personnages des trois brèves pièces de Marius Von Mayenburg (dont on avait pu voir Visage de feu au Théâtre National de la Colline) : cinq athlètes accomplis, Serge Biavan, Adèle Haenel, Paul Moulin, Aurélie Vérillon, Christophe Danvin. Cette économie-là, c’est la moindre des politesses –et des performances- pour un auteur qui se veut aussi incisif, désossant les rapports banals, au travail, dans le couple, jusqu’à l’absurde. Le Moche est une fable sur le règne du marketing. Lette est fier à juste titre de son invention d’un connecteur électrique à haute technicité. Oui mais, c’est son assistant qui ira présenter la trouvaille au congrès international. Pourquoi ? Parce que lette est moche, et que ça ne fait pas vendre. Ça ne l’empêche pas de travailler, d’être heureusement marié, mais ça ne fait pas vendre. Il passe, non sans risque, par la case-chirurgie esthétique, et tout se retourne, il devient le meilleur vendeur du monde. Mais…Pour la suite, il faut évidemment imaginer le pire, et même une cascade de pire en pire, dans la destruction de l’identité par la logique du marché. Voir clair joue sur un secret de famille et sur le glissement constant des personnages d’un sentiment, d’une émotion, d’une intention à une autre. Couple ou pas couple, entre la femme de ménage et son bizarre patron ? Complicité ou pas entre le voleur de bijoux et celle qu’il a introduite dans le mystérieux appartement, sous prétexte de ménage ? Et pourquoi ces rideaux éternellement fermés ? Le suspense est tendu par la contradiction entre l’inconsistance des sentiments et l’obstination des volontés. Donc, on ne répondra pas : le mieux est d’aller vite voir le spectacle.

La troisième pièce est née d’improvisations entre les comédiens de la Schaubühne de Berlin. Dans une sorte de ronde, Eva, Judith, Robert, Sebastian (sans parler de Nietzche qui vient se mêler de cette mêlée), vont tester toutes les combinaisons possibles, y compris grâce à une soirée bal masqué. Ça commence presque comme une comédie bourgeoise : un couple, rentrant de vacances, se trouve accueilli par le couple censé garder leurs plantes vertes comme des invités un peu encombrants. Ça évolue très vite vers l’absurde, mais on n’est pas chez les Smith et les Martin de La Cantatrice chauve : il s’agit d’autre chose, des (parfois) minuscules coups de pouce ou coups d’épingle qui font chavirer les identités et les rapports entre les êtres.

La mise en scène, au sens concret du terme (les acteurs déplacent le matériel à vue), l’occupation de l’espace, le travail de son : tout cela est impeccable. Le jeu des comédiens est un pur régal : eux aussi savent, d’un coup de pouce, d’un coup d’épingle, changer de personnage, d’humeur, glisser de l’un à l’autre au service de la clarté du propos. Avec ce petit quelque chose de plus, ce trait à peine souligné, qui fait rire. On nous dit que ce spectacle dure trois heures (avec un entracte et de très bons cakes à la carotte) ? Incroyable, il dure juste le temps de le savourer, tant l’économie en est juste et précise.

 

Christine Friedel

 

À voir à La Générale, 14 avenue Parmentier Pairs 11e, à 20h, jusqu’au 2 décembre.

 


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