Antigone

Antigone, texte de Valeria Parrella, mise en scène de Luca De Fusco

 

Antigone4Directeur du Teatro Mercante, Teatro Stabile de Naples et directeur artistique du Festival de théâtre de Naples, Luca De Fusco est un metteur en scène aguerri qui s’attaque au mythe d’Antigone d’après Sophocle, revisité à l’aune de notre temps par la dramaturge Valeria Parrella, une plume envoûtante à la prose épurée de subtile teneur philosophique.
Certes, comme dans le mythe originel, se tiennent sur le plateau de théâtre, le chœur – représenté par le Choryphée et une femme du peuple -, le Législateur Créon dont le nom n’est jamais prononcé, un garde de celui-ci, et Hémon, le fils du Législateur amoureux de sa cousine, la nièce même de Créon qui n’est autre qu’Antigone. Sans oublier le devin Tirésias, interprété par une femme qui fait le récit de son aventure, basculant d’un genre à l’autre.
Antigone, la jeune femme subversive fait preuve de rébellion citoyenne en refusant que que son frère ne soit pas inhumé. Or, Polynice ne gît pas  comme chez Sophocle sur la terre dévastée du désert que des oiseaux de proie aux cris stridents survoleraient.
Ce frère est paradoxalement retenu par le fil d’une vie artificielle  en état de mort clinique et sous assistance respiratoire depuis treize ans La destinée fraternelle est terrible pour les deux sœurs en désespérance, Ismène et Antigone qui veillent en vain sur un lit d’hôpital, l’homme blessé.
La dramaturgie d’aujourd’hui récupère celle d’hier par le biais de la question législative du droit à l’euthanasie. Peut-on consentir raisonnablement à un acharnement thérapeutique dont l’issue est fatale ? Peut-on refuser la sépulture à un défunt ? Les questions se rejoignent.
La pièce fait débat à l’intérieur même de la vision du droit, d’un côté selon la rigueur du législateur, et de l’autre selon la souffrance affective d’Antigone. Le couple qui fait le chœur antique ne se risque surtout pas à prendre position pour tel ou tel, car chacun ne trouve sa petite musique qu’à partir de sa propre porte intérieure.
Pour lors, le Législateur condamne Antigone, sa nièce, à un emprisonnement à vie, l’occasion pour la femme de lettres italienne Valeria Parrella de passer au crible l’état actuel de nos prisons européennes, qu’elles soient italiennes ou françaises.
Saleté nauséabonde, trop grande proximité des détenus dans des cellules réduites et surchargées, la réflexion est ébauchée sur l’état des lieux pénitentiaires forcément inacceptable.
L’apport de la vidéo est un élément essentiel dans la mise en scène de Luca De Fusco, que la musique originale et lancinante de Ran Bagno accompagne.
Une boîte noire inspirée par le scénographie de Maurizio Balo fait apparaître tel visage, celui d’Antigone ou bien celui de Créon démesurément agrandi, tandis que le public contemple les personnages grandeur nature installés dans le lointain de la perspective et des échelles relatives que soulignent astucieusement les éclairages de Gigi Saccomandi.
Le chœur populaire est installé en bas de la structure, une crèche en miniature, et les grands de ce monde – dont l’Inquisiteur – ont accès au recul magistral des hauteurs élevées. Antigone et Le Législateur sont infiniment proches avant de se détourner l’un l’autre, dos à dos. Hémon, le fils, est pathétique au sens fort, tentant de faire entendre raison à son propre père, un puissant de ce monde. Tirésias joue de la confusion du féminin et du masculin avec tact. Des portraits, des figures, des fantômes vivants et des images mythiques impondérables habitent notre mémoire. Cette petite communauté s’entrelace à l’infini, jetée sur la scène. Même la vision de la prison, fort stylisée et épurée, dégage la noblesse de toute humanité, légitime dans ses exigences de reconnaissance et de respect minimal de survie. Une partition scénique qui rappelle le jeu de marionnettes et de portraits vidéo de Denis Marleau. Avec Gaia Aprea, Anita Bartolucci, Gianluca Musiu, Giacinto Palmarini …

 

Véronique Hotte

 

Jusqu’au 29 novembre 2013. Théâtre de Chaillot. Tél : 01 53 65 30 00


Archive pour 28 novembre, 2013

Comme si j’étais à côté de vous

Comme si j’étais à côté de vous (Lettres de Diderot à Sophie Volland), mise en scène de Dominique Lurcel.

Diderot VollandDominique Lurcel, metteur en scène de la compagnie Passeurs de Mémoire propose un spectacle bien d’actualité puisque  c’est en 2013 le 300 ème anniversaire de la naissance de Diderot, notamment à Langres, sa ville natale. Avec un spectacle réalisé à partir des lettres que se sont échangé le philosophe et sa maîtresse Sophie Volland, qui vivait éloignée de lui. Enfin, avec les seules lettres écrites par Diderot-il n’a pas été retrouvé une seule lettre écrite par Sophie Volland.
Installé au Grandval, dans la demeure du baron d’Holbach, Diderot dit toute son angoisse de ne pas recevoir de courrier aussi souvent qu’il le voudrait, guette les coursiers qui reviennent de la ville et devient irritable quand il n’y a pas d’enveloppe pour lui.
Tout ce petit monde, vit, reçoit, joue et se promène dans cette  demeure campagnarde proche de ce qu’est aujourd’hui Sucy-en-Brie, en banlieue parisienne. Et Diderot travaille aussi à  son grand projet d’encyclopédie. L’auteur de La Religieuse (dont la mise en scène d’Anne Théron résonne encore, (voir Le Théâtre du Blog) est  d’une incroyable liberté, parfois direct, dans sa manière de s’exprimer; ses lettres parlent d’amour et  d’éloignement, mais aussi de politique, de religion. Il y a plusieurs étages dans cette fusée et il est parfois  difficile de suivre le fil de la pensée  vivace et incarnée de Diderot.
Une fois de plus on trouve chez Dominique Lurcel un spectacle sérieux, très en place et où tout est fait pour  promouvoir des idées mais où on peut rire aussi; ici, le théâtre se fait petit, le fond est préféré à la forme, au risque d’être un peu didactique.
Mathieu Desfemmes campe un Diderot un peu excité sans cesse en train de bouger avec trop de gestes superflus. Quand on entre, on le trouve en petite foulée autour du plateau, faisant des étirements avant de commencer à jouer. Il est accompagné d’une pianiste (Florence Pavie) qui ponctue trop rarement les paroles du comédien avec un jeu d’une légèreté qui contraste bien avec l’empressement de Diderot. Une statuette posée sur le piano incarne Sophie Volland mais, comme elle est dans la ligne de mire de la pianiste, on ne sait pas toujours qui Mathieu Desfemmes regarde, à qui il s’adresse.
Après Le Contraire de l’Amour où il était question du journal de l’Algérien Mouloud Feraoun incarné par l’excellent Samuel Churin, Lurcel reprend la formule comédien/musicien avec peut-être un peu moins de force mais le spectacle semble encore un peu fragile et on peut faire confiance à Dominique Lurcel: une fois rodé, il montera en puissance.
Julien Barsan
 Théâtre Berthelot les 13 et 14 décembre et au musée Cognacq-Jay du 12 au 30
mars.

 

 

Promenade obligatoire, marche pour huit poppeurs

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Promenade obligatoire, marche pour huit poppeurs, chorégraphie d’Anne Nguyen

 

Les danseurs marchent énergiquement, de cour à jardin, en une traversée ininterrompue, dans des allées de lumière dont l’intensité varie subtilement. Ils passent un par un, puis par deux, puis par grappes, comme huit mondes anonymes, figures totem chargées d’énergie. Le poids des bras se fait sentir, comme des sémaphores et jouent entre désarticulation et désynchronisation. Tout est ordonnancé de façon précise, millimétrée, dans un environnement sonore en plusieurs plans et registres, avec enclumes, grincements, perceuse et dépaysement (musique originale de Benjamin Magnin).
«Pourquoi est-ce beau ? me demandais-je. Pourquoi la danse est-elle belle ? Parce que c’est un mouvement contraint, parce que le sens profond de la danse réside justement dans l’obéissance absolue et extatique, dans le manque idéal de liberté». Le titre de la chorégraphie est emprunté à Ievgueni Zamiatine, dans son œuvre de science-fiction intitulée, Nous autres, où l’utopie vire au cauchemar, dans une société totalitaire… vous avez dit imaginaire…?
Anne Nguyen, dans sa proposition chorégraphique, nous mène dans un monde robotisé et discipliné, jouant sur l’identique et le dissemblable. La chorégraphe est issue de la danse hip hop et break, qu’elle déstructure. En résidence pour la saison, au Théâtre 71, elle travaille avec les poppeurs dont le principe de base repose sur la contraction et la décontraction des muscles, en rythme.
Danseurs sans visage et comme déshumanisés, ils sont plus proches de gymnastes concentrés et tendus, inaccessibles. Ils évoluent en un ressac permanent, jouant entre accélération et décélération, lenteur et rapidité, solitude et regroupement, harmonie et dysharmonie, provoquant et défiant l’espace. L’un marche, plaqué au sol, dans l’ombre de l’autre.
Ils quittent à un moment le glissement continu latéral et travaillent la diagonale, l’angle, les saccades. Ils se rencontrent parfois, se touchent et s’enchevêtrent, ou semblent aussi comme englués. Les lumières les englobent, géométriques, et deviennent des quadrillages au sol, comme des grilles, évoquant déshumanisation et emprisonnement
Le mouvement décomposé fait penser à la fabrication d’un dessin animé, composé planche après planche, avec juxtaposition d’images. Chacun est une pièce de l’ensemble, comme un petit Meccano.
Au chant du coq, la lumière du plateau décline et le petit matin monte. A-t-on, avec eux, marché sur la lune, ou sommes-nous aussi devenus des lignes brisées, hors de tout système de communication ?

 

Brigitte Rémer

 

 

Spectacle vu le 13 novembre, au Théâtre 71-Scène nationale de Malakoff. Tournée en France, de janvier à juin 2014. Site : www.compagnieparterre.fr

 

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