Livres et revues
Livres et revues:
Histoire(s) et Lectures Trisha Brown/ Emmanuelle Huynh, ouvrage projeté par Emmanuelle Huynh.
Signalons d’abord, avec quelque retard, la parution de ce gros volume, dédié à Laurence Louppe, critique et historienne de la danse, et à Alain Ménil, philosophe, tous deux disparus au début 2012. C’est un ensemble de textes consacrés à la chorégraphe américaine qui introduisit une rupture radicale dans la danse contemporaine, après avoir été l’élève du Mills College en Californie puis au studio Cunningham et aux ateliers Richard Dunn.
Trisha Brown, née en 1936, n’hésita pas, dès 64, à investir les lieux publics (jardins publics, toits de New York,etc…) en mettant en évidence des éléments comme le poids, la verticalité, la vitesse mais aussi l’accumulation, principe générique fondé sur la répétition, la série et l’addition des mouvements chorégraphiés et la quête du mouvement non anticipé. Elle s’associera aussi avec de nombreux artistes, et non des moindres; comme Robert Rauschenberg, Fujiko Nakaya, et des sculpteurs minimalistes: Don Judd, Sol Lewit et Carl André. Et elle fréquentera le très fameux Judson Church Theater avec Lucinda Childs, Yvonne Rainer et Steve Paxton qu’elle admirait beaucoup…
Trisha Brown n’hésita pas non plus à présenter des pièces en silence, sans doute sous l’influence de John Cage mais aussi à recourir à des compositeurs plus classiques comme Jean-Sébatien Bach qu’elle vénérait entre tous et introduisit aussi, et dès 73, la parole dans ses spectacles, avec une intelligente friction entre texte et danse. Ce qui frappe dans ce parcours exemplaire, tel que le révèle ce livre c’est à la fois l’intelligence, la rigueur de sa réflexion théorique permanente, et en même temps, la ténacité que, pendant quelque cinquante ans, elle eut pour créer solos et pièces plus importantes, avec le minimum d’argent mais en compagnie de danseurs amis qui étaient aussi ses collaborateurs.
Le livre de celle qui est maintenant aux manettes du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers est riche de nombreux entretiens qu’elle eut avec Trisha Brown; elle parle avec une grande clarté de la démarche de Trisha Brown: l’apport du silence, ses relations avec la musique, en particulier avec celle de Bach, de l’improvisation en danse, de l’évolution de ses orientations artistiques, et du soutien sans réserves que lui apporta Michel Guy, l’ancien ministre de la Culture, décédé en 91. Sans lequel, la danse contemporaine en France n’aurait sans doute pas émergé de façon aussi spectaculaire…
Il y a aussi deux chapitres consacrés à des « histoires de pédagogie » et d’enseignement où, très jeune, Trisha Brown commença à s’impliquer. Et un extrait de Toujours appprendre de Laurence Louppe où elle explique bien que l’œuvre de Trisha Brown rappelle que « la danse est aussi et avant tout que la danse est pratique philosophique physique ».
La seconde partie du livre reproduit les Carnets d’Emmanuelle Huynh lors d’un stage de Trisha Brown à Montpellier; et il y a ensuite un chapitre où Julie Perrin analyse, dans un essai, ce qu’auront apporté aux artistes français, et en particulier à Emmanuelle Huynh, les artistes du champ culturel et artistique américain depuis les années 60. Et, cela dans pratiquement tous les domaines, y compris le théâtre qui eut une influence considérable avec le Living Theatre, le Bread and Puppet, comme l’a rappelé récemment l’Exposition sur le Festival Sigma à Bordeaux.
Ce livre sera précieux à qui veut mieux comprendre le travail de Trisha Brown- qui, très malade, ne peut plus créer- mais dont l’œuvre à la fois théorique et chorégraphique, a eu, et a toujours, une influence considérable ne Europe et aux Etats-Unis… C’est aussi un outil pour appréhender la post-modern dance.
Editions Les Presses du réel, 24 €.
Frictions n° 22
Le dernier numéro de la revue dirigée par Jean-Pierre Han est en partie consacrée au texte original d’une conférence The director on the theater to day, traduite ici par Gérard-Henri Durand, qu’Orson Welles (1915-1985) donna en 1938 . Welles, en effet, avant d’être le génial cinéaste que l’on connaît, avait d’abord commencé par beaucoup travailler au théâtre, ce que l’on sait moins. Il avait, comme souvent autrefois, été comédien, régisseur, metteur en scène puis directeur du Théâtre Mercury. On admire la précision et la pertinence de ses analyses dignes d’un metteur en scène d’expérience, alors qu’il n’avait que 28 ans! Notamment, quand Welles comnente les réalisations théâtrales de créateurs et leur relation avec les comédiens, comme Irvin, Craig ou Stanislawski… Ou quand il parle, de façon visionnaire, de la nécessité » de construire de nouveaux lieux pour de divertissements impensables dans n’importe quelle salle de Broadway et tant que nous ne les aurons pas, nous ne pourrons pas les porter à la scène ». (…). Et » c’est l’affaire du metteur en scène que de faire de sa salle une sorte de lieu magique où l’impossible puise se manifester. Voilà la vraie contribution du metteur en scène: vision et cohérence de conception ».
Au sommaire de ce même numéro, un chapitre savoureux de Géographie française de Gabriel Garran (qui va paraître chez Flammarion), metteur en scène et fondateur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Il égrène ses souvenirs de petit garçon à Hendaye, devant la fuite éperdue des républicains espagnols en France… puis atteint d’une appendicite virulente. C’est vraiment un beau texte.
Il y a aussi dans cette dernière livraison de Frictions une analyse d’Alice Carré sur le phénomène récent des nombreuses reprise de spectacles sur lesquelles on peut effectivement d’interroger, et qui dénote effectivement le « signe d’une mutation plus globale des politiques culturelles » . Mais de là, à croire à une sacralisation des chef-d’œuvres… En tout cas, le nombre de créations est comme, à chaque fois au mois de janvier, exponentiel!
Et encore, entre autres, un texte de Jean Jourdheuil sur la difficile relation culturelle entre l’Allemagne et la France. Bref, un ensemble d’articles tout à fait réjouissants, à lire le soir au coin du feu si vous en avez un, et même si vous n’en avez pas, quand vous aurez envie de faire une pause-spectacles.
Cahiers Jean Vilar n°116 Moi directeur du festival d’Avignon.
C’est une brève, et pas si brève que cela en fait, de ce festival mondialement connu, appréhendée par ses directeurs successifs depuis 47. C’est comme, , à l’occasion de l’arrivée d’Olivier Py, à la tête du navire amiral, un sorte de droit d’inventaire comme le dit Jacques Théphany d’une histoire qui remonte déjà à 67 ans, à l’initiative du docteur Pons qui serait bien étonné aujourd’hui de voir comment son bébé avait évolué! Il y a, dans ce numéro, un ensemble d’analyses de ceux qui furent aux manettes et qui ont tous dû se situer par rapport à Vilar, l’ombre du commandeur. Mais ses successeurs ne furent pas si nombreux que cela: Paul Puaux qui continua huit ans durant et avec solidité, à gérer les affaires, puis Bernard Faivre d’Arcier qui fit faire de 80 à 84, un indéniable bon en avant au festival, et qui accueillit Pina Bausch. Puis à sa suite, Alain Crombecque qu privilégia la création avec, entre autres, de très fameux spectacles comme ceux de Kantor: Qu’ils crèvent les artistes, Le Mahâbhârata de Peter Brook et le devenu célèbre Soulier de satin par Antoine Vitez. Puis de nouveau, ce fut une autre ère Faivre d’Arcier de 1993 à 2003, avec une ouverture encore plus affirmée vers le théâtre étranger pour le meilleur et parfois pour le pire, avec Thomas Ostermeier, Roméo Castelluci, Rodrigo Garcia, Pippo del Bono.
L »époque contemporaine 2004-2013 fut celle de deux jeunes collaborateurs de Faivre d’Arcier: Hortense Archambault, première femme à diriger Avignon et un festival de cette importance, en tandem avec Vincent Baudriller. Le Festival, malgré un prix de places beaucoup trop élevé et donc, un regrettable vieillissement du public,connut une fréquentation de presque 100%, et un bon fonctionnement (avec une forte augmentation de la subvention d’Etat! ). Mais, côté programmation, trop de spectacles sans doute et donc des résultats moins convaincants avec, d’un côté, des valeurs sûres comme Thomas Ostermeier, Jan Fabre, Joseph Nadj,Christoph Marthaler, Simon Mac Burney, Warlikoswki… et de l’autre, des productions moins évidentes et quelque peu branchouilles.
Oliver Py, fut évincé, en 2011, avec le soutien évident de l’Elysée, de la direction de l’Odéon et fut, nommé, en guise de dédommagement?, directeur du Festival d’Avignon. (On sait le Ministère de la Culture, grand expert en coups bas). Comme l’a dit à l’époque, Frédéric Mitterrand: « Je ne crois pas que cela ait déplu à Carla Bruni ». Ah! Qu’en termes galants, ces choses-là sont dites! Olivier Py aura, c’est évident, à remettre le festival sur les rails: avec un accès plus facile aux jeunes publics, et devra renouer avec un théâtre plus populaire. Et, il hérite, cadeau empoisonné, du boulet de La FabricA, une salle voulue et construite par ses prédécesseurs, et enclavée dans un quartier pauvre d’Avignon ( voir Le Théâtre du Blog) et toujours sans budget de fonctionnement…
Il y a aussi un beau texte de Bernard Faivre d’Arcier. Un numéro à conseiller à tous ceux qui, pour la plupart, n’ont connu du Festival que ces vingt dernières années, mais aussi aux autres qui le liront avec, parfois, un brin de nostalgie. Le beau visage d’Alain Crombecque, brutalement disparu il y a trois ans, ne cesse de nous hanter…
Numéro en vente en librairie ou à la Maison Jean Vilar. T: 04 90 86 59 64
Philippe du Vignal