Livres et revues

Livres et revues:

Histoire(s) et Lectures Trisha Brown/ Emmanuelle Huynh, ouvrage projeté par Emmanuelle Huynh.

  Signalons d’abord, avec quelque retard, la parution de ce gros volume, dédié à Laurence Louppe, critique et historienne de la danse, et à Alain Ménil, philosophe, tous deux disparus au début 2012. C’est un ensemble de textes consacrés à la chorégraphe américaine qui introduisit une rupture radicale dans la danse contemporaine, après avoir été l’élève du Mills College en Californie puis au studio Cunningham et aux ateliers Richard Dunn.
Trisha Brown, née en 1936, n’hésita pas, dès 64, à investir les lieux publics (jardins publics, toits de New York,etc…) en mettant en évidence des éléments comme le poids, la verticalité, la vitesse mais aussi l’accumulation, principe générique fondé sur la répétition, la série et l’addition des mouvements chorégraphiés et la quête du mouvement non anticipé. Elle s’associera aussi avec de nombreux artistes, et non des moindres;  comme Robert Rauschenberg, Fujiko Nakaya, et des sculpteurs minimalistes: Don Judd, Sol Lewit et Carl André. Et elle fréquentera le très fameux Judson Church Theater avec Lucinda Childs, Yvonne Rainer et Steve Paxton  qu’elle admirait beaucoup…

  Trisha Brown n’hésita pas non plus à présenter des pièces en silence, sans doute sous l’influence de John Cage mais aussi à recourir à des compositeurs plus classiques comme Jean-Sébatien Bach qu’elle vénérait entre tous et introduisit aussi,  et dès 73, la parole dans ses spectacles, avec une intelligente friction entre texte et danse. Ce qui frappe dans ce parcours exemplaire, tel que le révèle ce livre c’est à la fois l’intelligence, la rigueur de sa réflexion théorique permanente, et en même temps, la ténacité que, pendant quelque cinquante ans, elle eut pour créer solos et pièces plus importantes, avec le minimum d’argent mais en compagnie de danseurs amis qui étaient aussi ses collaborateurs.
  Le livre de celle qui est maintenant aux manettes du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers est riche de nombreux  entretiens qu’elle eut avec Trisha Brown; elle  parle avec une grande clarté de la démarche de Trisha Brown: l’apport du silence, ses relations avec la musique, en particulier avec celle de Bach, de l’improvisation en danse, de l’évolution de ses orientations artistiques, et du soutien sans réserves que lui apporta Michel Guy, l’ancien ministre de la Culture, décédé en 91. Sans lequel, la danse contemporaine en France n’aurait sans doute pas émergé de façon aussi spectaculaire…
 Il y a aussi deux chapitres consacrés à des « histoires de pédagogie » et d’enseignement où, très jeune, Trisha Brown commença à s’impliquer. Et un extrait de Toujours appprendre de Laurence Louppe où elle explique  bien que l’œuvre de Trisha Brown rappelle que « la danse est aussi et avant tout que la danse est pratique philosophique physique ».
La seconde partie du livre reproduit les Carnets d’Emmanuelle Huynh lors d’un stage de Trisha Brown à Montpellier;  et il y a  ensuite un chapitre où Julie Perrin analyse, dans un essai,  ce qu’auront apporté aux artistes français, et en particulier à Emmanuelle Huynh, les artistes du champ culturel et artistique américain depuis les années 60. Et, cela dans pratiquement tous les domaines, y compris le théâtre qui eut une influence considérable avec le Living Theatre, le Bread and Puppet, comme l’a rappelé récemment l’Exposition sur le Festival Sigma à Bordeaux.
  Ce livre sera précieux à qui veut mieux comprendre le travail de Trisha Brown-  qui, très malade, ne peut plus créer- mais dont l’œuvre à la fois théorique et chorégraphique, a eu,  et a toujours,  une influence considérable ne Europe et aux Etats-Unis… C’est aussi un outil pour appréhender la post-modern dance.

Editions Les Presses du réel,  24 €.

Frictions n° 22

  Le dernier numéro de la revue dirigée par Jean-Pierre Han est en partie consacrée au texte original d’une conférence The director on the theater to day, traduite ici par Gérard-Henri Durand, qu’Orson Welles (1915-1985)   donna en 1938 . Welles,  en effet,  avant d’être le génial cinéaste que l’on connaît,  avait d’abord commencé par beaucoup travailler au théâtre, ce que l’on sait moins. Il avait,  comme souvent autrefois, été comédien, régisseur, metteur en scène puis directeur du Théâtre Mercury. On admire la précision et la pertinence de ses analyses dignes d’un metteur en scène d’expérience, alors qu’il n’avait que 28 ans!  Notamment, quand Welles  comnente  les réalisations  théâtrales de créateurs et leur relation avec les comédiens, comme Irvin, Craig ou Stanislawski… Ou quand il parle, de façon visionnaire,  de la nécessité  » de construire de nouveaux lieux pour de divertissements impensables dans n’importe quelle salle de Broadway et tant que nous ne les aurons pas, nous ne pourrons pas les porter à la scène ». (…). Et  » c’est l’affaire du metteur en scène que de faire de sa salle une sorte de lieu magique où l’impossible puise se manifester. Voilà la vraie contribution du metteur en scène: vision et cohérence de conception ».
  Au sommaire de ce même numéro, un chapitre  savoureux de Géographie française  de Gabriel Garran (qui va paraître chez Flammarion), metteur en scène et fondateur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Il égrène ses souvenirs de petit garçon à Hendaye, devant la fuite éperdue des républicains espagnols en France… puis atteint d’une appendicite virulente.  C’est vraiment un beau texte.
Il y a aussi dans cette dernière livraison de Frictions une analyse d’Alice Carré sur le phénomène récent des nombreuses reprise de spectacles sur lesquelles on peut effectivement d’interroger, et qui dénote effectivement le « signe d’une mutation plus globale des politiques culturelles » . Mais de là,  à croire à une sacralisation des chef-d’œuvres… En tout cas, le nombre de créations est comme, à chaque fois au mois de janvier, exponentiel!
  Et encore, entre autres,  un texte de Jean Jourdheuil sur la difficile relation culturelle entre l’Allemagne et la France. Bref, un ensemble d’articles tout à fait réjouissants, à lire le soir au coin du feu si vous en avez un,  et même si vous n’en avez pas, quand vous aurez envie de faire une pause-spectacles.

Cahiers Jean Vilar n°116  Moi directeur du festival d’Avignon.

 C’est une brève, et pas si brève que cela en fait,  de ce festival mondialement connu, appréhendée par ses directeurs successifs depuis 47.  C’est comme, , à l’occasion de l’arrivée d’Olivier Py, à la tête du navire amiral, un sorte de droit d’inventaire comme le dit Jacques Théphany d’une histoire qui remonte déjà à 67 ans, à l’initiative du docteur Pons qui serait bien étonné aujourd’hui de voir comment son bébé avait évolué! Il y a,  dans ce numéro,  un ensemble d’analyses de ceux qui furent aux manettes et qui ont tous dû se situer par rapport à Vilar, l’ombre du commandeur. Mais ses successeurs ne furent pas si nombreux que cela: Paul Puaux qui continua huit ans durant et  avec solidité, à gérer les affaires, puis Bernard Faivre d’Arcier qui fit faire de 80 à 84, un indéniable bon en avant au festival, et qui accueillit Pina Bausch. Puis à sa suite, Alain Crombecque qu privilégia la création avec, entre autres, de très fameux spectacles comme ceux de Kantor: Qu’ils crèvent les artistes, Le Mahâbhârata de Peter Brook et le devenu célèbre Soulier de satin par Antoine Vitez. Puis de nouveau,  ce fut une autre ère Faivre d’Arcier de 1993 à 2003, avec une ouverture encore plus affirmée vers le théâtre étranger pour le meilleur et parfois pour le pire, avec Thomas Ostermeier, Roméo Castelluci, Rodrigo Garcia, Pippo del Bono.
  L »époque contemporaine  2004-2013 fut celle de deux jeunes collaborateurs de Faivre d’Arcier:  Hortense Archambault, première femme à diriger Avignon et un festival de cette importance, en tandem avec Vincent Baudriller.  Le Festival, malgré un prix de places beaucoup trop élevé et donc, un regrettable vieillissement du public,connut  une fréquentation de presque 100%,  et un bon fonctionnement  (avec une forte augmentation de la  subvention d’Etat! ). Mais,  côté programmation, trop de spectacles sans doute et donc des résultats  moins convaincants avec,  d’un côté,  des valeurs sûres comme  Thomas Ostermeier, Jan Fabre, Joseph Nadj,Christoph Marthaler, Simon Mac Burney, Warlikoswki… et de l’autre, des productions moins évidentes et quelque peu branchouilles.
  Oliver Py, fut évincé, en 2011, avec le soutien évident de l’Elysée, de la direction de l’Odéon et fut,  nommé, en guise de dédommagement?, directeur du Festival d’Avignon. (On sait le Ministère de la Culture, grand expert en coups bas). Comme l’a dit à l’époque, Frédéric Mitterrand: « Je ne crois pas que cela ait déplu à Carla Bruni ».  Ah! Qu’en termes galants, ces choses-là sont dites!  Olivier Py aura, c’est évident, à remettre le festival sur les rails:  avec un accès plus facile aux jeunes publics, et devra renouer avec un théâtre plus populaire. Et, il hérite, cadeau empoisonné, du boulet de La FabricA, une  salle voulue et  construite par  ses prédécesseurs, et enclavée dans un quartier pauvre d’Avignon ( voir Le Théâtre du Blog) et toujours sans budget de fonctionnement…
  Il y a aussi un beau texte de Bernard Faivre d’Arcier. Un numéro à conseiller à tous ceux qui, pour la plupart, n’ont connu du Festival que ces vingt dernières années, mais aussi  aux autres qui le liront avec, parfois, un brin de nostalgie. Le beau visage d’Alain Crombecque, brutalement disparu il y a trois ans, ne cesse de nous hanter…

Numéro en vente en librairie ou à la Maison Jean Vilar. T: 04 90 86 59 64

Philippe du Vignal


Archive pour décembre, 2013

Tetrakaï

Tetrakaï, spectacle de fin d’études de la 25 ème promotion du CNAC de Chalons-en-Champagne, mise en scène de Christophe Huysman.

Le Centre national des arts du cirque (Cnac) est un établissement de formation supérieure et de recherche qui  fut créé en 1985 par le ministère de la Culture et de la Communication, avec l’école nationale supérieure des arts du cirque,formation  à la production de spectacles, maîtrise technique…. Le Cnac et l’Ecole nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois (Enacr) se sont associés afin de construire un parcours pédagogique commun avec un diplôme national d’artiste de cirque,  mis en œuvre en  2012.
  C’est d’abord un établissement de formation permanente pour les artistes et techniciens du spectacle vivant, et de préparation au diplôme d’Etat de professeur de cirque. Il comprend aussi  un centre de ressources documentaires ouvert au public : livres, imprimés, dossiers, vidéos. Mais également une unité de production audiovisuelle, et enfin un lieu de recherche sur la création artistique, la pédagogie, la sécurité…
Pour Tetrakaï,  quatre artistes au départ de ce spectacle de fin d’études: Sylvain Decure, Angela Laurier, William Valet et  le metteur en scène Christophe Huysman, qui ont trouvé le titre : Tetra, quatre  en grec, et Kaï, terme de calligraphie  en japonais… La piste est divisée en quatre entrées et sorties, et les quatorze interprètes se déploient sur la piste, sur des tables, aux mâts chinois,  avec une étonnante dextérité déjà très professionnelle.

 Le cirque de Chalons a été entièrement rénové et  plusieurs compagnies, et non des moindres, ont  décollé de cette école comme, entre autres, Les Arts Sauts, Cirque Ici, Anomalie et AOC!  Après Jean-Jacques Fouché, Jean-Luc Baillet et Jean-François Marguerin, c’est Gérard Fasoli, venu de Bruxelles qui vient de prendre la direction du CNAC. Au terme de trois ans d’enseignement et d’insertion professionnelle, une quinzaine d’artistes de haut niveau entre dans la profession en France, en Europe ou dans le monde.
Sur la piste blanche, quatre galets lumineux se dispersent, un boxeur solitaire marche à  quatre pattes, provoque une femme comme un taureau, il y a de la voltige fixe sur un rythme cardiaque, un ballet amoureux… L’heure a sonné, on ne sait pas où est le début, où est la fin. On dresse quatre tables, les acteurs tombent, se transforment en poupées de chiffons, un danseur virevolte au mât chinois, un acteur  en chien menaçant traverse la piste. Beaucoup de traversées insolites au sol  et dans les airs, les danses au mât chinois sont rythmées sur : « Comment ruiner ses enfants, je prends rendez-vous avec le hasard ».
Il est parfois difficile de saisir le fil conducteur d’un spectacle surprenant, et comme souvent, un peu long! Mais Christophe Huysman, dont nous avions goûté les débuts avec des spectacles comme Le monde Hic et Les hommes dégringolés au début des années 2000, n’a pas perdu la main…

Edith Rappoport

CNAC de Chalons-en-Champagne, le 20 décembre;  Parc de la Villette sous le chapiteau du CNAC du 15 janvier au 9 février; Théâtre municipal de Charleville Mézières les 3, 4 et 5 avril 2014; Chaumont le Nouveau Relax les 24, 25 et 27 mai; Le Manège de Reims les 4, 5 et 6 juin; La Brèche de Cherbourg les 26 et 29 juin

http://www.cnac.fr

Splendeur et lassitude du capitaine Matami Isumi

Splendeur et lassitude du capitaine Matami Isumi, spectacle de Jean Lambert-wild et Keita Mishima, traduction d’Ahihito Hirano, (en japonais, surtitré en français).

image.soldat Cela se passe dans une salle  du centre chorégraphique de Caen où a lieu le premier filage du spectacle. Jean Lambert-wild, en 99,  avait déjà monté ce texte qui portait alors le nom de Splendeur et lassitude du capitaine Marion Déperrier  au Théâtre Granit de Belfort, et que nous n’avions alors pu voir.
Il s’agit  d’un monologue, « épopée en deux époques et une rupture », ici légèrement adaptée du premier; mais dont la construction est restée la même. On peut le  voir comme une sorte d’exorcisme de la guerre de 14 et de toutes les guerres  où  la mort  rôde à tout instant. Et de l’Europe au Japon, même combat, si on ose dire… « In memoriam in spem », comme le dit aussi le sous-titre. La mémoire, en ce centenaire, de ce quasi-suicide européen, est encore bien là, et heureusement!
Mais pour l’espoir, après la guerre de 40, la Shoah, Hiroshima, et autre joyeusetés concoctées par l’homme, sans compter plusieurs catastrophes nucléaires, c’est beaucoup moins sûr…
  Un petit plateau de quatre m2 environ, avec au-dessus une guirlande de lampions, et un mât supportant des hauts-parleurs de métal gris. C’est tout. Seul, Keita Mishima, habillé d’une tenue kaki militaire sans âge et sans pays,  arrive sur ce petit plateau; les spectateurs sont assis sur quelques chaises, chaque côté. Il décroche son sabre, et s’installe calmement. Avec une maîtrise de la voix et du corps comme on en voit rarement en France, en particulier dans ce genre de monologue où il faut une exigence et  une concentration de tous les instants. Et il en faut pour affronter un public d’aussi près. Mais l’acteur japonais a un regard et une gestuelle d’une précision presque envoûtante, si bien qu’on n’a presque plus envie de lire le surtitrage.
Jean Lambert-wild qui l’a connu au Japon, lui avait proposé aussitôt de venir travailler à Caen, et il a eu raison.
 Ce que lui a demandé le metteur en scène, surtout en un temps de répétitions relativement court (deux périodes de quinze jours)  n’est pas du genre simple: « Mais il a, dit Jean Lambert-wild,  une dimension tant féminine que masculine. Il n’est pas un guerrier brutal mais un esthète fou, perdu. Il est à la fois répugnant et totalement séduisant, du fait simplement qu’il soit un humain (…) C’est un fou de guerre mais c’est surtout un homme perdu.  Et, pendant un peu plus d’une heure, on entend cet homme  crier sa fierté de commander:  » Sergent Que tous les hommes se tiennent droits Nous ne sortirons pas de ce trou en rampant Nous ne somme pas des animaux Recroquevillés dans l’adversité Le corps est une mécanique Qui ne tolère pas les courbes ‘…) Que tous les hommes se lavent Qu’ils aient une tenue impeccable S’ils doivent mourir  Il seront propres On ne s’expose pas au-devant des honneurs et des gloires Si l’on est couvert de boue » .
Sur fond  d’explosions, d’airs d’opéra et de la chanson bien connue d’Edith Piaf, Non, non je ne regrette rien, rendue plus forte par l’effet d’éloignement que procurent les paroles en  japonais. Il y a aussi les didascalies dites en voix off qui se finissent par ces cinq mots aussi beaux qu’insoutenables, répétés à chaque fois: » De la tenue, du maintien ». « Puis de la retenue, du soutien »dans la deuxième époque. Alors que les soldats sont plongés dans la vermine, le sang, la boue et le froid depuis plusieurs mois….
On retrouve dans cette  deuxième époque, le capitaine Matami Isumi, mourant, « sa tête repose sur un coussin de sang caillé » puis mort: « C’est indécent, dit-il, Le cadavre d’un homme nu Aidez moi Il faut me recouvrir Un couverture  Donnez-moi une couverture ». Et disant quelques passages du Livre d’Habaquq de L’Ancien Testament, où l’homme, pouvait trouver dans sa fidélité à Dieu le courage de supporter les atrocités des combats. Mais dont Jean Lambert-wild ne retient, lui,  que la malédiction de la guerre… Comme disait André Malraux  à deux doigts d’être exécuté, la lecture de la Bible dans ces cas-là n’est guère efficace…   Il y a eu, et il y aura sans doute en ce centenaire, bien des spectacles un peu partout en Europe  sur la guerre de 14,  mais celui-ci, dans sa grande rigueur et dans sa simplicité- on dirait presque sa rusticité puisqu’on peut le jouer ni’mporte -où est avec Ah! Dieu que la guerre est jolie de Pierre Debauche, et surtout Noël au front de Jérôme Savary,- un des plus forts qu’il nous ait été jamais donné de voir sur cette boucherie de quatre ans, qui fut peut-être, avec une effroyable hémorragie de jeunes combattants, des centaines de villes et des millions de vies détruites par familles entières, le très lourd prix à payer pour que se construise enfin une véritable union européenne…

Philippe du Vignal

Filage du spectacle vu à Caen le 16 décembre; création le 26 avril prochain au Shizuoka  Performing Arts Center, Japon. Puis  à la Comédie de Caen. Le texte est édité aux Solitaires intempestifs

J’ai de la chance

J’ai de la chance  de Laurence Masliah, mise en scène de Patrick Haggiag.

 Nathaniel-Baruch  Avec J’ai de la chance. Laurence Masliah nous montre  que le  théâtre, avec ce monologue  peut transformer le désespoir d’une vie qui s’achève, en chant d’amour et de reconnaissance pour les bonheurs passés et pour les petites joies en voie de s’éteindre. Comme l’héroïne de ce beau texte aime les oxymorons, on pourrait parler d’une joie déchirante ou d’un déchirement joyeux.
Le personnage de Germaine est né de l’imagination de Laurence Masliah. Les anecdotes racontées  sur ce qu’elle a vécu pendant la guerre, sont Véridiques et  ont été confiées à Catherine Lewertowski par les parents de Laurence Masliah, au cours d’interviews qu’ils lui ont accordées en 1999,  quand elle préparait un livre sur les enfants de Moissac, où ils avaient passé une partie de la guerre.  Ce qui a  permis de donner au personnage de Germaine  une véritable réalité.
Et c’est, sur le plateau, un petit chef-d’œuvre de tendresse, d’humour et d’humanité. Le thème? Une comédienne nous parle de son métier mais fait revivre aussi devant nous, avec nous, le combat de Germaine, sa grand-mère, une enfant de Moissac, contre la maladie d’Alzheimer, contre la déchéance, contre la nuit de l’esprit, et  aussi contre l’exclusion.
La menace de la maison de retraite que l’on envisage pour elle s’associe en effet  dans son esprit au souvenir de l’extermination des juifs à laquelle elle a échappé quand elle vivait à Moissac. Et elle raconte cette terrible épreuve: « Dans ces cas-là, il a fallu fabriquer des faux papiers. Au début, on n’avait pas d’expérience, alors on a fait vraiment n’importe quoi, c’était crétin, tout à fait crétin même… parce que sur mes faux papiers, j’étais née à Lyon ! Un coup de fil à la mairie de Lyon et j’étais fichue. Après on est devenus « intelligents », on nous a fait naître dans le nord, là où il n’y avait plus d’archives parce les mairies avaient été bombardées. Alors, on allait dans une autre mairie demander un extrait d’acte de naissance en disant qu’on était né dans un lieu bombardé, comme ça personne ne pouvait vérifier. ».
Le spectacle
est aussi un combat pour la mémoire de la langue et de l’histoire de la France qui l’a accueillie puis rejetée. Justesse de l’écriture comme de la mise en scène, précision dans l’incarnation gestuelle et vocale, comme  des éléments de scénographie: le spectacle possède ainsi une belle unité
  D’abord peu couru du public, il faisait ces derniers jours salle comble, et mériterait que ses représentations soient prolongées…

 Gérard Conio

 Théâtre du Lucernaire tous les soirs à 19h jusqu’au 4 janvier.

 

Deadline

Deadline texte d’Alison  Cosson, mise en scène et chorégraphie de Patrice Bigel.

 DEADLINE-5-1024x682C’est le dernier travail de Patrice Bigel, et sans doute l’un des plus aboutis qu’il ait pu réaliser, depuis qu’il a restauré cette salle de cette ancienne usine de la maroquinerie Hollander fondée en 1796. A la frontière d’un texte, écrit par Alison Cosson  sur la notion de l’espace-temps, dénominateur commun à chacun de nous et qui nous constitue.  Quand on sait  que, par exemple,  notre univers comporte  trois dimensions pour l’espace et une pour le temps,  avec un soleil à 150 millions de kilomètres,soit  8 minutes-lumière de notre planète…. Etourdissant, non?
Reste à  traduire cette interrogation sur un plateau, qui passe,  chez Bigel, par l’expression du corps. « Le scénario s’est élaboré au fil des répétitions, dit-il,  et c’est l’assemblage des recherches que nous menons autour du mouvement des corps des acteurs, des textes, du son et de la scénographie qui fera sens. Cette manière de travailler consiste à se donner le temps d’expérimenter tous les champs possibles. Et un nouveau spectacle est toujours un peu la suite du précédent (Sur le bord de la route ). Au théâtre, nous entretenons une relation ambiguë avec le temps. Parler du temps,  c’est parler du monde. Au cours des répétitions, les évènements ne cessent de s’inscrire dans les journaux. Dans la société contemporaine, le rapport au temps est essentiel. La vitesse est le pouvoir même. Le temps devient un luxe et nous devons nous adapter dans le perpétuel changement.Si je bouge, je me déplace. Mais si je ne bouge pas, je me déplace aussi. Pas dans l’espace, mais le temps c’est sûr. Et alors, je ne fais rien d’autre que vieillir et je vais raconter quoi ? »…

 Ce que dit en tout cas le spectacle- qui ne se raconte pas- et de la plus belle façon, même si le texte d’Alison Cosson n’ a rien de très convaincant, c’est la position de l’être humain, face à la notion de temps. Le spectacle de Patrice Bigel fait écho aux très belles pages de Bergson sur  l’appréhension du temps par l’homme,  sur le temps consciemment vécu et le temps mesuré, ce qui est parfois antithétique. »Je ne mesure pas la durée, disait-il, comme on pourrait le croire, je me borne à compter des simultanéités ». Mais encore loin des théories d’Einstein…
Ici, un grand plateau en légère pente, avec un fond dessiné de vagues, au graphisme très épuré  où des comédiens/danseurs  vont se lancer dans des solos ou des ensembles  avec une grande intensité, et où l’image du corps prime, le plus souvent avec des mouvements répétitifs  fascinants mais où les corps déroulent à l’infini les mêmes gestes, comme pour mieux exorciser le temps qui continue à s’écouler.
Cela fait penser au fameux solo de  Lucinda Childs, dans Einstein on the beach de Bob Wilson sur la musique de Phil Glass *.  Et ce n’est sans doute pas par hasard, si Wilson qui a toujours inscrit l’espace et le temps, comme thème majeur de son œuvre, est allé chercher la figure emblématique d’Einstein pour en constituer un personnage, et  le titre de son grand opéra.
Dans cette lignée, c’est avec un langage visuel épuré et tout à fait personnel que  le metteur en scène a construit son spectacle, remarquablement  assumé par Samih Arbib, Mara Bijeljac, Francis Bolela, Sophie Chauvet et Anna Perrin  qui y donnent l’énergie de leur jeunesse. Les lumières, souvent composées de rais, et la bande-son très sophistiquée, sont aussi des éléments essentiels du spectacle et contribuent à procurer une sorte de vertige métaphysique.
Cette suite d’images dansées, à base de répétitions évolutives, à la fois très sensible et intelligente, dit, sous des airs de ne pas y toucher, beaucoup de choses. Travail de recherche sans doute mais qui  procure aussi un grand plaisir  visuel. Ici, rien à comprendre, juste à en apprécier la beauté.  » Ce qui a vraiment un sens dans l’art disait Brancusi, c’est la joie. Ce que vous voyez, vous rend heureux? Tout est là. »
Si vous pouvez aller jusqu’à Choisy, ou si vous êtes de Choisy, ne le ratez pas. Mais attention!  si vous ne savez pas où est cette merveilleuse ancienne usine, un peu perdue, près de la Seine au fond d’une impasse pavée, calculez large- votre temps, dans cet espace on se perd facilement! Cette ancienne usine est restée un lieu de travail,  pour  Patrice Bigel et ses interprètes, danseurs et comédiens. Et montez jusqu’au premier étage, il y a un endroit magique avec un parquet de bois et de grandes verrières, une série surréaliste de bustes en plâtre sur une étagère,  une foule de belles plantes vertes…et un bar aux prix doux.
Que demande le peuple?

Philippe du Vignal

Usine Hollander, compagnie La Rumeur,  1 rue du docteur Roux 94160 Choisy-le-Roi  T:  2014 : vendredi et samedi à 20h30, dimanche à 17h. 01 46 82 19 63 , du 5 au 8 décembre et du 12 au 15 décembre 2013 : jeudi, vendredi et samedi à 20h30, dimanche à 17h et du 10 janvier au 2 février.

*Reprise d’Einstein on the beach au Théâtre du Châtelet en janvier mais bon courage pour obtenir une place…

Giselle

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Giselle, musique d’Adolphe Adam, livret de Théophile Gautier, chorégraphie de Mats Ek .

  Qualifié de ballet-pantomime à sa création (1841), Giselle est la figure de proue du ballet romantique. En 1982,  Mats Ek, le fils de la chorégraphe suédoise Birgit Cullberg, va lui donner  une toute autre signification, aidé par sa compagne Ana Laguna dans le rôle-titre; certaines danseuses n’hésitent pas à dire aujourd’hui, qu’elles ont  commencé la danse après y avoir vu Ana Laguna !
  Cette Giselle de Mats Ek,  devenue un classique contemporain, est reprise ici, par le ballet de l’Opéra de Lyon, avec une belle énergie et une précision du geste exemplaire. Mats Ek a transformé le personnage de Giselle en une paysanne, psychiquement un peu instable. Elle a un fiancé, Hilarion, mais n’est pas insensible au charme d’Albrecht, un jeune noble venu de la ville. Avec  des danses de groupe en opposition, le monde de la ville et de la campagne s’affrontent dans une première partie de quarante-cinq minutes.
Mais Giselle, prise dans ses contradictions, sombre dans la folie et se retrouve au deuxième acte (cinquante minutes) dans un  hôpital psychiatrique.  «Déchirée par l’affrontement entre grands et  petits, et par le combat  entre les forces de  vie et de  mort, Giselle, nous dit Mats Ek, nous touche par cette lutte intérieure, et elle est la seule à rester humaine».

 Sa chorégraphie, très lisible et parfois à la limite de l’illustratif, est aidée en cela par un décor de deux toiles peintes, avec, au premier acte, l’évocation d’une campagne colorée dont le dessin des vallées rappelle les courbes féminines et, au second acte, une vue en perspective d’un asile psychiatrique où sont imprimés des fragments de corps. Et les danseuses portent quelque chose qui ressemble à des camisoles de force blanches…
Albrecht rejoint ici Giselle pour un duo plein de grâce, et il faut souligner la belle harmonie entre Randi Castillo et Dorothée Delable (il y a aussi une autre distribution). Hilarion, lui, est interprété par Franck Laizet qui a une réelle présence au milieu de cette troupe. Cette nouvelle Giselle nous fait vivre un moment emblématique de l’histoire de la danse, grâce à Mats Ek et à Ana Laguna qui ont retravaillé les intentions d’origine  pour  chaque personnage, afin d’éviter la pure et simple imitation.

Jean Couturier

Théâtre de la Ville jusqu’au 3 janvier.

Contes chinois

Contes chinois, de Chen Jiang Hong, mise en scène de François Orsoni.

65306_contes-chinois-dr  La récitante se trouve au premier rang et fait face au public, comme une maîtresse face à sa classe. Micro en mains, et petite lampe sur un coin de table improvisé, elle tourne les pages du Prince tigre de Chen Jiang Hong, et raconte.
Les images sur l’écran-livre imaginé par le scénographe Pierre Nouvel répandent leurs couleurs vives à la manière du Livre de la Jungle. De fixes, elles s’animent, grâce à la comédienne Estelle Meyer.
Côté cour, un pianiste commente l’action avec sensibilité. Le livre se referme, sur ce Prince rendu aux siens, après avoir été enlevé par    Dame la tigresse qui l’a élevé, comme elle l’aurait fait avec son petit qu’on lui avait pris.

Dans le second conte, Le Cheval magique de Han Gan,  Chen Jiang Hong dessine la féerie, sur son rouleau de papier calque et avec ses pinceaux. Assis à sa table de travail, il crée, au fil du récit, les personnages de cette symphonie au galop, comme les notes d’une partition, et ses chevaux célestes prennent vie comme autant de Pégase.
Et quand on demande à Han Gan, ce petit garçon pauvre, mais brillant dans l’art du dessin qu’il pratique, pourquoi il attache ses chevaux, il répond, sûr de lui : « Mes chevaux sont si vivants qu’ils pourraient sortir du papier ». Un guerrier lui passe commande d’un cheval pour partir combattre, mais pleure devant les blessés et les morts et s’enfuit au galop. On le retrouve dans le tableau.
Et le merveilleux prend de la hauteur, avec Han Gan s’envolant sur le dos d’un dragon, dans une belle partition visuelle, accompagné par le pianiste, jonglant avec les notes de cristal, musique de Rémi Berger et Thomas Landbo,  comme un vrai partenaire, en une courte troisième partie. Avec, toujours,  le pinceau de Chen Jiang Hong.
François Orsoni, dont la compagnie Nénéka est installée à Ajaccio, convoque le fantastique autour de l’illustrateur, de la narratrice et du musicien, et transforme le plateau en un grand livre animé. Il a conçu le spectacle, en voulant « retranscrire l’intime et le ludique d’une lecture qu’on ferait dans une chambre, pour un enfant, le soir au coucher » et cela fonctionne.
Pari réussi pour la réouverture du Théâtre Paris-Villette, que dirigent maintenant  Valérie Dassonville et Adrien de Van, qui est un théâtre de création exigeant et attentif, comme il l’était auparavant avec Patrick Guflet. Mais il a aussi pour mission, l’ouverture aux publics jeunes, et à tous ceux qui sont encore peu habitués à être des spectateurs.

Brigitte Rémer

Vu le 14 décembre au Théâtre Paris-Villette; pour tous publics, à partir de 5 ans.

www.theatre-paris-villette.fr,
Le Prince tigre et Le Cheval magique de Han Gan, de Chen Jiang Hong, édition  l’Ecole des loisirs.

Homme pour homme

Homme pour homme de Bertolt Brecht, traduction de Geneviève Serreau et Benno Besson, mise en scène de Clément Poirée. 

  homme-pour-homme-est-l-histoire-de-galy-gay-cet-homme-embarque-par-hasard-dans-l-armee-des-indes-une-grande-piece-burlesque-pour-reflechir-a-la-notion-d-individu-photo-dr-julien-piffaut C’est une pièce de jeunesse de Brecht -il avait  29 ans- qui  fut créée en Allemagne en 1927- après Baal (1918) mais sans sa poésie  et  après La Noce chez les petits bourgeois, (1919) sans sa causticité.
En France, elle sera montée  en 54 seulement, au Théâtre de l’Oeuvre, dans une mise en scène de Jean-Marie Serreau qui  fonda en 71 le Théâtre de la Tempête où va être reprise cette mise en scène de Clément Poirée.
C’est une fable qui a les allures d’une comédie dont  Brecht disait: « Le problème de la pièce est la fausse collectivité, la mauvaise bande, et son pouvoir de séduction » et « On procède au démontage d’un individu, puis à son remontage en un autre, dans un but déterminé ».  Galy Gay, un pauvre docker, sorti acheter un poisson, croise une patrouille de soldats qui, doit trouver un homme pour remplacer Jeraiap Jip, un homme disparu et éviter ainsi la colère de leur sergent. Vite habillé d’un bel uniforme, Galy Gay va devenir un redoutable  soldat. 

La pièce n’a jamais eu vraiment un franc succès. Sans doute, en partie parce qu’elle a été souvent montée, comme la  plupart des pièces de Brecht, sans la poésie qui leur conviendrait. Mais, à la décharge des metteurs en scène qui s’y sont attaqués, dont Bernard Sobel, c’est quand même un gros pavé- plus de deux heures vingt!- qui ne remplit pas vraiment ses promesse de départ.  Avec des personnages et un scénario guère passionnants, et tout empoissés d’une leçon de morale assez lourdingue. 
Clément Poirée  a choisi de lui donner lui donner un aspect comique, et parfois burlesque, proche du cinéma muet, en particulier de Chaplin dont Brecht était passionné et qui, dit le jeune metteur en scène, s’interroge ici sur l’individu  et sur une perte d’identité qui peut menacer chacun de nous. Il a situé l’action dans une usine  qui fabrique du  papier kraft, et, qui ici, servira aussi de cadre aux autres lieux scéniques comme la cantine de la veuve Léocadia Begbick, ou une forteresse au Tibet. Sans doute une allusion  à celle que dirigea le papa de Brecht Ah! Ah!Ah!. Fausse bonne idéeet : autant dire que cela commence mal!
Même si les projections d’images, notamment des calligraphies chinoises sur les rouleaux de papier sont assez réussies. Mais les décors d’Erwan Creff, compliqués,  avec deux portes vitrées coulissantes dans le fond, et qui ont une vague allure de scénographie très construite, ne fonctionnent pas. Sans entrer dans les détails, la circulation des comédiens, ce qui est toujours embêtant, ne se fait pas bien. 

Quant aux comédiens, ce sont pour certains des gens d’expérience comme Eddie Chignara ou Laure Calamy mais on a les a vu meilleurs; ici, tout le monde surjoue et criaille, ce qui devient vite insupportable, surtout quand est dans les premiers rangs! Comme la direction d’acteurs est aux abonnés absents, au bout d’une demi-heure à peine, on comprend vite que c’est sans espoir, et, au théâtre, quand il n’y pas d’espoir, s’installe vite un ennui pesant et irréversible…
D’autant que le petit théâtre Piccolo à l’italienne, est charmant mais absolument inadapté à ce genre de pièce. Et, il fallait s’y attendre, ce qui se passe sur la scène, ne nous a  très vite plus  concerné du tout, que ce soit les miens confrères ou le public dont les applaudissements étaient assez frileux…
Allons, c’est Noël, soyons généreux: on peut encore laisser une petite chance à cet
Homme pour homme qui sera repris dans deux semaines au Théâtre de la Tempête. Il faudrait, difficile mais pas impossible 1) que Clément Poirée commence par faire des coupes draconiennes dans ce pavé plus indigeste qu’une bûche de Noël de supermarché. Cela rendrait le texte déjà un peu moins dégoulinant de morale… 2) qu’il enlève tout ce bric-à-brac scénique aussi laid qu’inutile, et qu’il fasse jouer son équipe sur un plateau nu, avec, juste des pendrillons noirs et quelques accessoires. Le spectacle respirerait mieux et serait donc plus efficace. 3) qu’il convoque d’urgence ses comédiens et se remette au travail, notamment en ce qui concerne la direction d’acteurs, de façon à donner un véritable rythme à ce spectacle qui en manque cruellement. 
A ce prix-là, les choses- allons, soyons optimistes- peuvent encore s’améliorer. D’autant que Clément Poirée  bénéficiera d’un scène plus adaptée… Mais, prudence, chers lecteurs, un train peut en cacher un autre, comme disait finement  le marquis de Sade. Donc, attendez quand même pour y aller, de lire dans ces colonnes, l’article comme d’habitude solidement argumenté de Christine Friedel, notre chère consœur et néanmoins amie, qui avait l’intention de se rendre à la Cartoucherie.
Elle vous dira franchement si cela vaut le coup de cidre ou pas! Nous avons en général un avis proche; pour notre part, nous avons déjà donné et nous n’y retournerons pas!

Philippe du Vignal

Spectacle vu à l’Espace des arts/Théâtre Piccolo de Chalon-sur-Saône le 17 décembre. Repris en janvier au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes.

Entretien avec Robert Abirached

Entretien avec Robert Abirached.

 

 30768914_pNormalien, agrégé des lettres, écrivain et chercheur, Robert Abirached s’impliqua, dès 1964 dans l’aventure du festival de Nancy, fondé par Jack Lang, qu’il aidera pendant plus de quinze ans. En 1978, il écrit  La Crise du personnage dans le théâtre moderne. Enseignant à l’université de Caen, il y créa le premier Institut d’Etudes  théâtrales et, de 1981 à 88,  fut de nouveau aux  côtés de Jack Lang, comme directeur des spectacles pendant sept ans au Ministère de la Culture; il donnera un nouveau et remarquable dynamisme au secteur théâtral dans son ensemble.
Il dirigea ensuite  
La décentralisation théâtrale, un ouvrage collectif   quatre volumes (1992-1995), puis Le Théâtre et le Prince, réédité et enrichi d’un second volume en 2005 sous les titres : L’Embellie et Un système fatigué. Et enfin, en 2011,  Le théâtre en France au XXe siècle, avec une importante anthologie.
C’est sans doute l’un des meilleurs connaisseurs du théâtre en France et il a bien voulu nous livrer quelques réflexions sur la  situation actuelle de cet art
qu’il aura contribué à modifier en profondeur par sa pensée et son action.

-Le théâtre en une cinquantaine d’années, a quitté les genres et écritures traditionnels et, a très vite intégré les technologies les plus avancées en création sonore, vidéo, lumières, etc… Appauvrissement selon les uns, enrichissement selon les autres, même si la réalité est sans doute plus complexe. Mais, en tout cas, avec un public souvent vieillissant…

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 - Oui, inutile de se voiler la face: le théâtre a beaucoup changé, du côté de la scène comme du public,  et de jeunes créateurs n’ont aucune timidité à utiliser des moyens qui n’étaient pas du tout ceux de la génération qui les a précédés. Avec des réussites indéniables comme celle de Joël Pommerat. Mais il ne faut pas avoir la mémoire courte : des gens comme Pina Bausch, Tadeusz Kantor ou Bob Wilson, avaient déjà bousculé les règles établies, à la suite du metteur en scène allemand Max Reinhardt (1873-1943), qui avait déjà  eu une influence considérable à l’époque, en introduisant de nouvelles scénographies, de la danse, de la musique, du cabaret, dans une création théâtrale qui, à l’époque, était uniquement ou presque, fondée sur la parole. Et ce n’est pas fini… surtout quand on pense à l’apport d’un Philippe Genty, parti d’expériences psychanalytiques, d’un James Thierrée avec des spectacles comme La Symphonie du hanneton et Raoul, ou encore ceux de ses parents: Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée quand ils ont fondé le Cirque Bonjour…. Après tout, comme vous le rappeliez tout à l’heure, le mot théâtre signifie étymologiquement voir et n’est pas fondé en priorité sur un texte, comme on le croit souvent. Il y a eu aussi, en quelque quarante ans, l’émergence d’un théâtre de marionnettes et d’objets, avec tout un langage visuel auquel, il ne faut pas du tout se méprendre, un public adulte adhère très bien, et de plus en plus souvent, un peu partout en France…

 - Même si une bonne partie de la profession théâtrale résiste, et reste quand même dans l’ensemble assez frileuse…

nuits4bis - Oui, mais qu’importe! Quand j’ai publié Le Théâtre au 20 ème siècle, j’ai été souvent agressé par des auteurs qui n’y figuraient pas!  Alors que je privilégiais des gens comme Jean Gillibert  dont l’écriture me semble tout à fait intéressante, même si elle est peu reconnue, ou, comme je l’ai déjà dit,  celle de Joël Pommerat  avec un remarquable langage à deux niveaux, ou encore celle de Wajdi Mouawad. Ces véritables auteurs, qui sont en même temps leur propre metteur en scène, ont maintenant trouvé leur public… Et en quelques années! Cela s’est fait très vite; j’ai ainsi vu le public faire une véritable ovation à Mouawad, à la fin de Seuls, à Chaillot, l’an passé, sans doute parce qu’il parlait de choses tout à fait simples mais avec une autre syntaxe théâtrale que les gens comprennent maintenant très bien. 

 - Sans doute mais est-ce, à votre avis, le prélude à une autre forme de théâtre radicalement différente? 

 -La question que vous posez est tout à fait pertinente; il me semble que le théâtre, du moins le théâtre occidental, est à un tournant de son histoire mais il faut bien  se garder de prophétiser dans ce domaine. En tout cas, l’image est de plus en plus présente, mais, attention, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de sens, au contraire!

 - Mais alors, pourquoi, à votre avis, les gens ne vont-ils plus, ou beaucoup moins, au théâtre, c’est un constat que l’on peut faire tous les jours, même dans le théâtre de boulevard. Et, d’année en année, le phénomène s’intensifie, même si des festivals: Avignon, le in et, de plus en plus le off d’Avignon, Aurillac ou  Chalon drainent de nombreux publics. Question de prix sans doute mais pas seulement? 

 -Oui, mes enfants vont au théâtre… mais deux fois par an, pas plus, alors qu’ils fréquentent le cinéma régulièrement. Et ils seraient frustrés si cela ne leur était plus possible. C’est évident: le théâtre actuel, dans son ensemble,  ne les concerne pas beaucoup. Mais celui des créateurs dont je parlais, si j’en crois la réaction des salles, est, lui, plus fort, parce qu’il est fondé sur un autre usage, moderne, du verbe. Soyons lucides: des dramaturges, autrefois consacrés et reconnus en France et à l’étranger, comme Anouilh, Giraudoux, Salacrou… ne pourraient plus actuellement écrire des pièces comme ils le faisaient, et ne sont plus guère joués, alors qu’il avaient encore du succès, il y a quelque soixante ans!  Et soixante ans, ce n’est rien dans l’histoire des spectacles mais on est passé à autre chose: leur théâtre uniquement fondé sur le verbe, et parfois le mot d’auteur, ne fonctionne plus.
Mais, quand, entre autres, Jean-Luc Lagarce  s’interroge sur la recherche de l’identité et sur le sens sociologique de la famille, il écrit des textes qui nous touchent vraiment.  Et,  souvenez-vous, puisque vous y étiez aussi, quand nous avons  vu au Festival de Nancy, dans les années 70, des spectacles comme Café Muller de Pina Bausch, Le Regard du Sourd de Bob Wilson avec son extrême lenteur et son mutisme, ou encore Fire du fameux Bread and Puppet  de Peter Schumann, et  nous avons dû constater qu’il y avait déjà une évolution irréversible. Autre remarque: quand on voit un film comme Casablanca de Michael Curtiz (1942) avec ces deux acteurs exceptionnels qu’étaient Ingrid Bergman et Humphrey Bogart, si on veut reproduire leur relation amoureuse sur un plateau de théâtre, on est foutu… Le cinéma pour des scènes d’amour, comme celles de Casablanca est incomparable, et le théâtre, comme on le concevait encore il y a un demi-siècle, n’est pas éternel. Heureusement, il y a de nombreux auteurs qui se sont révélés depuis une vingtaine d’années, grâce à la politique (résidences d’auteurs, colloques, aides à l’édition,  etc…) qu’avait mise en place Jack Lang et qui, maintenant, porte ses fruits…

 - Comment expliquez-vous ce qu’on pourrait appeler un certain désengagement de l’Etat?

 - Cela m’embarrasse un peu de vous répondre, puisque j’ai fait partie de l’équipe de Jack Lang au ministère de la Culture. Mais, quand François Hollande dit lui-même qu’il ne lit pas de romans… Il me semble que le pouvoir politique actuel se soucie beaucoup moins de littérature, de musique et d’arts que François Mitterrand  et les socialistes qui l’avaient accompagné. Cela a profondément modifié les choses en France. Pompidou, lui aussi, était un ancien normalien, grand amateur de poésie et d’art contemporain.
Mais nous avons maintenant affaire à la tête de L’Etat, des générations d’énarques qui ont d’autres préoccupations. La « distinction sociale »,  comme disait Pierre Bourdieu, passe maintenant davantage, quand on veut se montrer raffiné, par la fréquentation de l’Opéra de Paris ou la Scala de Milan,  ou des grands festivals lyriques comme Aix-en-Provence…

Il faudrait aussi se poser la question des nominations. Pourquoi et comment, nomme-t-on des gens à la direction des centres dramatiques? Cela n’est pas la même chose que pour un BHV ou un Carrefour! Ainsi, nommer Julie Brochen à la tête du Théâtre National de Strasbourg a été une erreur! Macha Makeieff a du talent mais elle n’était pas destinée à diriger La Criée à Marseille. Il ne faut pas pour autant supprimer les centres dramatiques mais considérer que ce ne sont pas des rentes! Le Ministère doit  reprendre les choses en main; il y a actuellement une dégradation, un brouillage et un refus d’analyse inquiétants. Il faut négocier avec les villes et convenir de règles de jeu plus transparentes.
Un centre dramatique correctement dirigé doit irradier, et non pas être mis au service d’une carrière personnelle. Et le Ministère doit rester celui des arts et des artistes; nommer des gens sur dossier ou presque, ne mènera jamais à rien. Il s’agit de revenir aux fondamentaux à partir desquels les Centres dramatiques ont été créés.

 - Jérôme Savary est mort en mars dernier, et, comme nous, vous l’aviez bien connu… 

  -Oui, dans les années 60, Savary aura apporté, avec le Magic Circus, un incroyable vent d’insolence et de liberté: il aura institué un autre rapport avec le public. Le théâtre français avait vraiment besoin de créateurs de cette trempe. Ce que font aussi, et de façon remarquable, des gens comme Hervée de Lafond et  Jacques Livchine à Audincourt. Savary, lui, avait voulu Chaillot à tout prix,  pour avoir une légitimité et être reconnu par le public parisien. Mais je pense qu’il aurait dû continuer dans la ligne du Magic…

 

Philippe du Vignal

Getting attention

Getting attention de Martin Crimp, traduction de Séverine Magois, mise en scène d’Alexandre Finck. Travail d’élèves de troisième année de l’ERAC.

  Petit_Theatre_13_12_19_07Cela fait une vingtaine d’années que Martin Crimp  écrivain britannique de 57 ans,  est connu en France et joué un peu partout avec des pièces qui ont marqué le public  comme La Campagne, Face au mur, Claire en affaires, La Ville,  Atteinte à sa vie, Tendre et cruel,  et Getting attention (voir Le Théâtre du Blog). On l’a comparé à Harold Pinter; Crimp sait dire la violence et la menace au sein des couples mais, avec distance et cruauté à la fois.  Avec une prédilection pour le réel et le quotidien de gens fragiles, il tricote une intrigue  pour très vite la déconstruire et  établit  un climat tout à fait particulier, avec des dialogues  fondés sur les non-dits, les silences, les mensonges par omission comme on disait autrefois. Le vrai, le faux, les demi-vérités ou les  demi-mensonges, les hypothèses comme les questions sans réponses: Martin Crimp emmène habilement  le public sur les chemins de l’inconscient, et on ne saura jamais vraiment rien de sûr sur l’histoire aussi banale que fascinante qu’il nous raconte. « L’espace dramatique, dit-il, est un espace mental, pas un espace physique »..
  Getting attention se passe dans une banlieue ouvrière très pauvre de Londres où habite un jeune couple, Carol et Nick. Carol a une petite fille, Sharon, sans doute martyrisée et que le public ne verra jamais. Et c’est vrai que la présence même de cette enfant parait anormale dans ce milieu où on peut comprendre qu’elle n’y a pas vraiment sa place. Et pourtant ce bébé est bien là, avec toute sa fragilité et ses parents, même désocialisés, ne sont peut-être pas pire que d’autres issus de classes dites favorisées. Il y a aussi  Milly plus âgée qu’eux, qui a perdu son mari à la suite d’une longue maladie, et Bob, un chômeur qui a des ennuis avec les services sociaux. Et des personnages masqués ici l’un à tête de chien, et l’autre de canard. La maison sera couverte de graffitis,  comme pour dire qu’il s’y passe quelque chose de pas très net…
Mais Martin Crimp ne porte pas de jugement, ne formule pas d’hypothèse sociologique, et y va par touches successives, en donnant quelques petits indices. Au public, que Martin Crimp prend un peu en otage et qui devient presque complice muet  de la situation, de décrypter son univers… C’est singulièrement habile et  on comprend que cette dramaturgie puisse passionner de jeunes comédiens en quête de nouveaux textes.  Et tout, dans cette écriture très ciselée, est dans le non-dit, le suggéré:  » Je ne les connais pas du tout, dit un des personnages à propos du jeune couple,  mais ils ont l’air de gens très bien. Et, bien sûr, la petite, on ne l’entend pas beaucoup ». A nous,  de faire ensuite un effort minimum de compréhension…

  En tout cas, le travail de ces jeunes gens en quinze jours seulement, est tout à fait intéressant. Même si la scénographie pas complètement réussie- la chambre du bébé, sorte de grande caisse avec un rideau au centre de la scène, est assez peu crédible- mais, avec ses deux niveaux de jeu, elle permet une circulation et une bonne mise en valeur des personnages, notamment des deux hommes masqués. Et l’univers de ces gens en situation de détresse absolue: vieux canapé, table en bois sale et sans âge, poste de télévision obsolète, détritus et canettes de bière un peu partout… est bien campé.
Côté mise en scène, illustration sonore et direction d’acteurs, Alexandre Finck s’en tire bien:il a compris comment on pouvait aborder ce type de texte et réussit à tenir le rythme indispensable  pour que la pièce ne parte pas dans tous les sens. Et la direction d’acteurs est aussi précise que sensible, même si certains n’ont pas l’âge de leur personnage mais qu’importe… Les copains  de Finck : Anna Carlier, Anthony Devaux, Adrien Guiraud, Maximin Marchand, Juliette Prier, Lisa Spatazza et Gonzague Van Bervesseles, ont visiblement confiance en lui, et font ce travail d’école avec une rigueur assez étonnante sur le plan de l’oralité et de la gestuelle.
 Petit_Theatre_13_12_19_11Pas de criailleries ni de sur-jeu, voire de cabotinage personnel comme se le permettent parfois les élèves du Conservatoire national ou d’autres écoles privées, pas non plus de courses sur le plateau et dans la salle, véritable manie des jeunes troupes. Mais une unité dans le jeu et une sobriété tout-à-fait bienvenues.
La partition de Martin Crimp peut être en effet du genre casse-gueule et le metteur en scène doit se montrer vigilant s’il veut que les comédiens ne tombent pas dans un jeu trop réaliste. L’acoustique de la petite salle de la Belle-de-mai est aux abonnés absents mais, malgré cela, Alexandre Finck réussit, sans tricher, à faire passer le texte, et le directeur de L’ERAC à Cannes et à Marseille, Didier Abadie qui a cornaqué l’opération, peut se réjouir de la qualité de ce travail de troisième et dernière année.

 Que deviendront ces jeunes gens qui, de toute évidence, ont été bien formés? C’est toujours la question que l’on se pose mais on aurait vraiment plaisir à les revoir ensemble. Cela arrive, et pour un temps non négligeable, avec certaines promotions d’école… On a ainsi vu une dizaine d’ex-élèves de l’Ecole de Chaillot qui, dix ans après leur sortie,  continuaient à travailler ensemble quand ils le pouvaient!
Comme le disait Antoine Vitez avec une pointe d’ironie:  » Au moins, ils se seront connus là »…

Philippe du Vignal

Spectacle vu au petit théâtre de la Friche à Marseille le 20 décembre; pour toute information sur l’enseignement et le concours d’entrée à l’ERAC:  68 avenue du Petit Juas – 06400 Cannes.  T : 04 93 38 73 30 Mél: erac@wanadoo.fr
http://www.erac-cannes.fr. 

Les pièces de Martin Crimp sont publiées chez l’Arche éditeur.

                      

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