Qu’est-ce que le temps ?
Qu’est-ce que le temps ? Livre XI des Confessions de Saint-Augustin, nouvelle traduction de Frédéric Boyer, mise en scène de Denis Guénoun.
Les Confessions de Saint-Augustin ont été écrites au IV ème siècle de notre ère. Oeuvre référentielle et étrangement éloquente aujourd’hui dans nos temps d’incertitude, elle est, grâce à la traduction de Frédéric Boyer, à la fois narrative, lyrique et philosophique, entre rhétorique, théologie et mystique.
Le Livre XI des Confessions sur lequel s’est penché le philosophe et metteur en scène ,Denis Génoun traite précisément de la création du temps et du monde, et on peut dire que ce livre ainsi mis en lumière – une injonction au Créateur afin de comprendre ce que c’est qu’être – est de teneur métaphysique dans son aspiration à la transcendance et au déchiffrement de l’énigme de l’existence. Dans sa volonté aussi de saisir le sentiment de la vie.
Et la parole de Saint-Augustin – pertinemment moderne avant l’heure – invective les consciences dans sa propension à l’intériorisation et à la question du moi. Elle n’en finit pas d’interroger et de mettre à la question le Créateur : « Comment as-tu fait le ciel et la terre ? Ce n’est certes ni dans le ciel ni dans la terre que tu as fait le ciel et la terre ; pas davantage dans l’air ou dans les eaux qui font tout autant partie du ciel et de la terre ; ce n’est pas dans l’univers que tu as fait l’univers… »
Avant le temps et avant l’espace, le Créateur n’a en effet rien dans les mains pour concevoir quoi que ce soit, ou faire quoi que ce soit puisqu’il est simplement. Comment parler du temps et faire un discours sur le temps ?
Pourtant, « … Nous le comprenons aussi quand nous entendons un autre nous en parler. Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je sais. Si on me le demande et que je veux l’expliquer, je ne sais plus. » Le passé n’est plus, le futur n’est pas encore, et le présent reste insaisissable car il est partagé entre l’instant tout juste évanoui, et celui sur le point d’advenir…
Saint-Augustin pense qu’il serait mieux de parler du présent du passé, pour la mémoire, du présent du présent, pour l’observation, et du présent du futur, pour l’attente. Un lied sublime de Schubert donne au mieux à l’auditeur ce sentiment d’un début, d’une succession évanescente de brèves et de longues jusqu’à leur disparition totale dans le silence.
Le temps, c’est aussi de la musique dans l’espace, des mesures de mouvement, un déplacement dans l’étendue, des reprises et des variations : une « distension » de l’âme. La langue si claire de la pensée raisonnante de Saint-Augustin est traduite dans une prose poétique admirable de pureté.
Pour traiter du temps, etet finalement de l’existence, tel qu’en parle Saint-Augustin, Stanislas Roquette, un acteur d’envergure mais d’une grande humilité, questionne et supplie avec pudeur le Créateur, jouant de l’art de la parole puisque ce sont les mots mêmes qui allouent leur sentiment d’être, à celui qui s’exprime comme à celui qui écoute. En chemise blanche, dans le cheminement d’une méditation faite de pleins et de déliés, l’interprète court sur la scène, tombe et s’étend brutalement. Puis se tient droit et se plie en baissant la tête avec humilité, tel Le Penseur de Rodin, un Apollon modeste dont les épaules s’arrondiraient afin de ne plus penser…
Véronique hotte
Théâtre National de Chaillot, du 3 au 18 janvier à 20h30, les 4, 11 et 18 janvier à 19h, les 5 et 12 janvier à 15h30 au . T : 01 53 65 30 00.
Le texte est édité chez (Les Aveux P.O.L)