Henri Vl
Henri Vl de William Shakespeare, traduction de Line Cottegnies, mise en scène de Thomas Jolly.
Quinze actes, douze mille vers, cent cinquante personnages pour ces trois pièces de la geste fleuve du long règne mouvementé d’Henri Vl, (de 1422 à 1461, puis de 1470 à 1471). Le Théâtre de Sceaux accueille deux des trois épisodes de cette épopée créée au Théâtre national de Bretagne. Les treize heures, avec entractes, présentées par la Piccola Familia au festival Mettre en scène en novembre dernier, sont ici limitées à deux soirées de quatre heures (l’intégralité de la première pièce et la moitié de la seconde) !
La jeune compagnie, fondée par Thomas Jolly et ses camarades au sortir de l’École nationale supérieure du T.N.B. en 2006, en vue d’affirmer «un théâtre intelligent, populaire et festif» a voulu s’emparer de l’extraordinaire machinerie théâtrale de Shakespeare comme «terrain de jeu» pour une aventure au long cours qui se conclura par une feuilleton de seize heures au prochain festival d’Avignon.
« Que se tendent les cieux de noirs, qu’à la nuit, le jour cède » : la trilogie de Shakespeare débute sur de bien sombres auspices, à la mort d’Henri V. La musique d’orgue au début, les coups de lumière violente dramatisent l’espace quand les protagonistes apparaissent en clair obscur avec des costumes et dégaines disparates, hiératiques ou grotesques. A la Cour, le chagrin simulé fait bientôt place aux querelles. Entre Anglais et Français, les hostilités font rage. Nous sommes en pleine guerre de Cent ans devenue sous la plume de Shakespeare une farce sinistre, et à la clé du conflit des deux Roses, un lot de sang versé. La pièce se déroule allègrement en Angleterre et en France. Et, comme dans toutes les pièces historiques de l’auteur, du tragique au comique, voire au salace.
Dans le bruit et la fureur ainsi ordonnancés par Shakespeare, les seize acteurs changeant prestement de rôle et de camp, se déploient de cour à jardin, tantôt perchés sur un praticable, derrière une tenture tendue à la façon d’un castelet, tantôt sur un proscénium. De joutes verbales en batailles, de scènes intimes en vastes déferlements de violence, la troupe fait preuve d » énergie.
Le metteur en scène joue sur tous les registres et n’hésite pas à forcer le trait. Elle emprunte au manga, au grand guignol, au jeu d’ombres chinoises, au drame, au cabaret et mobilise toutes les ressources de la lumière et du son, fumigènes et lumières stroboscopiques à l’appui pour créer des images. Il y a de belles trouvailles : Jeanne d’Arc en amazone aux cheveux bleus excite le Dauphin au ventre mou, des rubans rouges et blancs figurent les roses de la discorde, des chaises deviennent des chevaux ou les fagots du bûcher de la Pucelle, un rideau avec arbre généalogique se mue en cape de cérémonie. Pour détendre cette atmosphère sulfureuse, une jeune femme rhapsode, sorte de Madame Loyale, s’adresse au public pour résumer avec humour les passages supprimés et assurer les transitions…
Mais toute cette énergie se libère au détriment du texte dont la traduction assez fluide semble parfois peiner. Le jeu des acteurs sans aucune nuances, est toujours en force- cela crie beaucoup- et donc à peine audibles. Structuré comme une série dramatique, le spectacle apparaît comme une succession d’effets trop faciles, comme la musique qui soutient le texte, vieille ficelle bien usée! et parfois même ratés (par exemple l’apparition des monstres de Jeanne d’Arc). Mais il ne fait pas illusion très longtemps et tout cet inutile arsenal d’effets va à l’encontre du sens global de l’œuvre et peine à révéler un univers authentique. Il faudra donc attendre cet été pour voir si oui, et comment, l’ensemble aura, peut-être? trouvé sa cohésion…
Mireille Davidovici
Théâtre Les Gémeaux 49 avenue Georges Clémenceau, Sceaux, jusqu’au 22 janvier. Intégrale dimanche 12 et 19 janvier. T : 01 46 61 36 67 ; www.legemaux.com et 1er Février Théâtre de Cornouailles, Quimper et le 8 février au Nouveau Théâtre d’Angers.
Le texte est publié dans la collection La Pléiade, Gallimard 2008