Einstein on the beach
Einstein on the beach, opéra de Phil Glass et Bob Wilson, livret de Lucinda Childs, Christopher Knowles et Samuel M. Johnson, chorégraphie de Lucinda Childs (en anglais non sur-titré).
Presque trente-huit ans après sa création au festival d’Avignon, on retrouve cette œuvre-culte dans une nouvelle version-la troisième- créée cette année à Montpellier, et dont l’esthétique,mais pas seulement, est fondée sur la notion de répétition. On retrouve la plupart des principes qui étaient déjà à l’origine du Regard du sourd (1970), conçue et réalisée par ce jeune créateur texan et qui avait fait exploser la planète théâtrale de l’époque : grande lenteur, absence de texte et importance accordée aux images visuelles, à la scénographie (avec renaissance de la toile peinte) et à la lumière, comme à la musique, et place prépondérante de l’expression du corps. Ce qui frappe encore en 2014, c’est la parfaite unité entre les différents éléments de cette œuvre magistrale qui a influencé tant de créateurs.
Ici, pas vraiment de narration ni aucun naturalisme – la bête noire de Wilson!- et, bien entendu, s’il a toujours été fasciné par les grands personnages historiques comme Staline, à ses tout débuts, puis Freud et Edison mais c’est un prétexte et, si l’on voit Einstein griffonnant sur un tableau noir des équations compliquées, le spectacle n’a rien à voir avec une quelconque biographie. Il participe en fait d’une sorte de voyage hypnotique, et ce n’est pas pour rien si Phil Glass, quand il en a composé la musique, a profondément été influencé par les ragas indiens.
En fait, impossible de dissocier le jeu, les images d’une beauté plastique exceptionnelle de Bob Wilson (qui signe aussi la scénographie), la chorégraphie et la musique de Phill Glass, ici interprétée par des interprètes aux synthétiseurs, flûtes, et saxophone, et par un chœur mixte, dans une symbiose et une unité parfaite, et rarement atteinte dans l’opéra contemporain. Mais qui exige, bien entendu, une participation du public: « «C’est une écoute où, psychologiquement, rappelle Phil Glass, vous croyez être exactement au même endroit, mais où, en réalité, vous vous déplacez pour rester au même endroit – c’est comme de nager sur place dans une piscine ».
A la fois, dans une apparente simplicité et une rigueur minimaliste absolue, dans le temps programmé comme dans l’espace investi. En quatre heures et demi, au cours de quatre actes et cinq intermèdes, qualifiés par Bob Wilson de « kneee plays ». Les acteurs/danseurs sont en parfait accord avec la mise en scène de Bob Wilson au mécanisme parfait : mouvements répétitifs, au ralenti, retours en arrière, en accéléré, ou arrêts sur image dans une course soudain statufiée. Des spectateurs ont même cru que les acteurs étaient des mannequins …
Même si on ne possède pas bien l’anglais, on peut percevoir quelques phrases, mais, ici, le texte n’est pas essentiel : »In this court, all men are equal. You have heard those words many time before. But what about all women? They are those who tell us that they are ». Ou encore :« All this one has been very American, Always run very quickly in a mad world ».
Le décor même évolue aussi de façon presque imperceptible : la lumière dessine au début, comme un grand sablier en toile de fond, traversé par une barre lumineuse- rappel de la cheminée du train au début du spectacle- devant lequel se déroule un procès. Plus tard, la scène se dédouble : côté jardin, le sablier donne l’impression d’un profond bunker, dans lequel siège le juge en perruque, des danseuses dactylos qui tapent sur un clavier invisible, et le chœur mixte des témoins qui chantent en boucle le mythique: » one, two, three, four, one… » sur le texte qu’une femme dit lentement sur un lit éclairé par une lumière fluo, comme dans son rêve :« I was in this prematurely air-conditioned super market », et l’autre moitié de la scène est devenue une grande cage où évoluent deux bagnards. Devant la cage, une femme brandit une mitraillette sur le public, la pose, puis en chante le bruit, les poignets enchaînés.
Quelques images inoubliables nous resteront: entre autres le solo d’une danseuse, autrefois interprétée par Lucinda Childs, dans un mouvement répétitif ,avant-arrière, avec de la fumée au sol, pendant qu’un jeune garçon, en haut d’une grue, lance de petits avions en papier. Pendant que, sur un écran, un train roule dans un paysage enneigé, et que sur le plateau, avance une locomotive ancienne.
Einstein jouant du violon, sur un praticable dominant la fosse d’orchestre, ou un train de nuit : sous la lune qui grandit, sur l’impériale du train, deux chanteurs, (ils chantent fa, si,do, si, la); lui, est en smoking, elle, en robe blanche; elle pointe lentement un pistolet sur lui. Image obsessionnelle chez Wilson et que l’on retrouve dans Vidéo 50. On ne peut évidemment tout citer d’une œuvre aussi riche mais il y a, vers la fin, cette autre image fabuleuse: en haut d’une tour ocre sur un ciel bleu, Einstein, derrière une fenêtre grillagée, écrit ses fameuses équations pendant qu’arrivent, à des rythmes différents, une vingtaine de personnages en chemise blanche et pantalon gris à bretelles, .
A aucun moment, le public n’a envie de quitter la salle, même pendant les intermèdes… Nous sommes tous envoûtés par ce spectacle total, absolument fascinant. Une dernière phrase merveilleuse de deux amoureux sur un banc: « How much I love you? Count the stars in the sky. Measure the waters of the oceans with a tea-spooon ». Et, à la sortie du théâtre, tout le public fredonne: « one two three four, one »..
Cela rappellerait pourquoi Bob Wilson parut sans doute si singulier, et pertinent dans les années 70 (voir l’article de Philippe du Vignal qui avait eu le bonheur d’assister à la première au Festival d’Avignon): la fusion entre la musique, l’image, la lumière, les corps et les mots nous offrent toujours cette sidération propre à la découverte d’une vérité aussi évidente qu’enfouie dans notre inconscient.
Le Châtelet affiche absolument complet mais il y a une séance de rattrapage possible… Et c’est GRATUIT!!! Une captation du spectacle a en effet été réalisée par Don Kent, en co-production avec le Théâtre du Châtelet, Telmondis et Mezzo, avec la participation de France Télévisions et le soutien du Centre national de la cinématographie et de l’image animée: donc, aucune excuse possible: ne ratez surtout pas cette œuvre exceptionnelle et créée en France, grâce au ministre de la Culture de l’époque, Michel Guy…
Ici, pas vraiment de narration ni aucun naturalisme – la bête noire de Wilson!- et, bien entendu, s’il a toujours été fasciné par les grands personnages historiques comme Staline, à ses tout débuts, puis Freud et Edison mais c’est un prétexte et, si l’on voit Einstein griffonnant sur un tableau noir des équations compliquées, le spectacle n’a rien à voir avec une quelconque biographie. Il participe en fait d’une sorte de voyage hypnotique, et ce n’est pas pour rien si Phil Glass, quand il en a composé la musique, a profondément été influencé par les ragas indiens.
En fait, impossible de dissocier le jeu, les images d’une beauté plastique exceptionnelle de Bob Wilson (qui signe aussi la scénographie), la chorégraphie et la musique de Phill Glass, ici interprétée par des interprètes aux synthétiseurs, flûtes, et saxophone, et par un chœur mixte, dans une symbiose et une unité parfaite, et rarement atteinte dans l’opéra contemporain. Mais qui exige, bien entendu, une participation du public: « «C’est une écoute où, psychologiquement, rappelle Phil Glass, vous croyez être exactement au même endroit, mais où, en réalité, vous vous déplacez pour rester au même endroit – c’est comme de nager sur place dans une piscine ».
A la fois, dans une apparente simplicité et une rigueur minimaliste absolue, dans le temps programmé comme dans l’espace investi. En quatre heures et demi, au cours de quatre actes et cinq intermèdes, qualifiés par Bob Wilson de « kneee plays ». Les acteurs/danseurs sont en parfait accord avec la mise en scène de Bob Wilson au mécanisme parfait : mouvements répétitifs, au ralenti, retours en arrière, en accéléré, ou arrêts sur image dans une course soudain statufiée. Des spectateurs ont même cru que les acteurs étaient des mannequins …
Même si on ne possède pas bien l’anglais, on peut percevoir quelques phrases, mais, ici, le texte n’est pas essentiel : »In this court, all men are equal. You have heard those words many time before. But what about all women? They are those who tell us that they are ». Ou encore :« All this one has been very American, Always run very quickly in a mad world ».
Le décor même évolue aussi de façon presque imperceptible : la lumière dessine au début, comme un grand sablier en toile de fond, traversé par une barre lumineuse- rappel de la cheminée du train au début du spectacle- devant lequel se déroule un procès. Plus tard, la scène se dédouble : côté jardin, le sablier donne l’impression d’un profond bunker, dans lequel siège le juge en perruque, des danseuses dactylos qui tapent sur un clavier invisible, et le chœur mixte des témoins qui chantent en boucle le mythique: » one, two, three, four, one… » sur le texte qu’une femme dit lentement sur un lit éclairé par une lumière fluo, comme dans son rêve :« I was in this prematurely air-conditioned super market », et l’autre moitié de la scène est devenue une grande cage où évoluent deux bagnards. Devant la cage, une femme brandit une mitraillette sur le public, la pose, puis en chante le bruit, les poignets enchaînés.
Quelques images inoubliables nous resteront: entre autres le solo d’une danseuse, autrefois interprétée par Lucinda Childs, dans un mouvement répétitif ,avant-arrière, avec de la fumée au sol, pendant qu’un jeune garçon, en haut d’une grue, lance de petits avions en papier. Pendant que, sur un écran, un train roule dans un paysage enneigé, et que sur le plateau, avance une locomotive ancienne.
Einstein jouant du violon, sur un praticable dominant la fosse d’orchestre, ou un train de nuit : sous la lune qui grandit, sur l’impériale du train, deux chanteurs, (ils chantent fa, si,do, si, la); lui, est en smoking, elle, en robe blanche; elle pointe lentement un pistolet sur lui. Image obsessionnelle chez Wilson et que l’on retrouve dans Vidéo 50. On ne peut évidemment tout citer d’une œuvre aussi riche mais il y a, vers la fin, cette autre image fabuleuse: en haut d’une tour ocre sur un ciel bleu, Einstein, derrière une fenêtre grillagée, écrit ses fameuses équations pendant qu’arrivent, à des rythmes différents, une vingtaine de personnages en chemise blanche et pantalon gris à bretelles, .
A aucun moment, le public n’a envie de quitter la salle, même pendant les intermèdes… Nous sommes tous envoûtés par ce spectacle total, absolument fascinant. Une dernière phrase merveilleuse de deux amoureux sur un banc: « How much I love you? Count the stars in the sky. Measure the waters of the oceans with a tea-spooon ». Et, à la sortie du théâtre, tout le public fredonne: « one two three four, one »..
Cela rappellerait pourquoi Bob Wilson parut sans doute si singulier, et pertinent dans les années 70 (voir l’article de Philippe du Vignal qui avait eu le bonheur d’assister à la première au Festival d’Avignon): la fusion entre la musique, l’image, la lumière, les corps et les mots nous offrent toujours cette sidération propre à la découverte d’une vérité aussi évidente qu’enfouie dans notre inconscient.
Le Châtelet affiche absolument complet mais il y a une séance de rattrapage possible… Et c’est GRATUIT!!! Une captation du spectacle a en effet été réalisée par Don Kent, en co-production avec le Théâtre du Châtelet, Telmondis et Mezzo, avec la participation de France Télévisions et le soutien du Centre national de la cinématographie et de l’image animée: donc, aucune excuse possible: ne ratez surtout pas cette œuvre exceptionnelle et créée en France, grâce au ministre de la Culture de l’époque, Michel Guy…
Corinne Colmant
Théâtre du Châtelet jusqu’au 12 janvier.http://culturebox.francetvinfo.fr/einstein-on-the-beach-au-theatre-du-chatelet-146813. Et un DVD sera édité à l’automne prochain.
Absolument fascinant. La plus grande œuvre de la deuxième moitié du XXème siècle. Et puisMichel Guy, c’était autre chose que Aurélie Filipetti…