Diptyque Agnès hier et aujourd’hui
Diptyque Agnès, hier et aujourd’hui:
Agnès de Catherine Anne et L’École des femmes de Molière, mise en scène de Catherine Anne
L’École des femmes a trois cent cinquante ans, et Agnès de Catherine Anne, vingt seulement. Cette auteure choisit de les mettre en regard avec une interprétation féminine. Mais les intrigues sont différentes…M. de La Souche, appelé communément Arnolphe, aimerait passer du statut de bourgeois, à celui de gentilhomme. Quant au père dans Agnès, lui, il assume son statut de travailleur indépendant en commerce et comptabilité.
Intimement et moralement Molière met en avant la suprématie du pouvoir paternel et à la fin du XX ème siècle, et Catherine Anne les prémisses d’une véritable émancipation féminine, loin du pouvoir des hommes en général et surtout du père
Ce qui rapproche ces œuvres de théâtre, est la posture paternelle abusive face à la très jeune fille dans le microcosme familial : celle adoptée par Arnolphe chez Molière et la fille aînée, pour le père d’Agnès. Par-delà les générations, c’est un déni des mères rivées à leur foyer et les pères s’approprient leur propre fille, comme compagne et partenaire sexuelle.
Cette usurpation brute des rôles symboliques apparaît en filigrane dans la comédie de Molière, puisque le barbon veut épouser son orpheline adoptée, sans parvenir à ses fins. Il se heurte en effet, au désir chez Agnès et son jeune amoureux, et à la sagesse des autres pères, plus dignes.
Dans la pièce contemporaine à connotation tragique mais qui finit bien, la situation d’Agnès-violence et brutalité physique-est appréhendée concrètement. Cette petite fille de douze ans est violée régulièrement par son père. Morgane Arbez, Caroline Espargilière et Mathilde Souchaud interprétent la victime à des âges différents et mettent en lumière ses états d’âme douloureux de la fillette, puis de l’adolescente et enfin de l’adulte, maintenant avocate, entre humiliation et oppression.
Elle raconte à ses amis garçons qu’elle était la pute de son père et elle veut s’affranchir de cette identité pour retrouver enfin son être authentique. Autour d’un castelet en bois, avec escalier et terrasse un rez-de-chaussée laisse apparaître une pièce avec une fenêtre à guillotine et une porte-tambour que traversent tous les personnages, avec des allers-et-retours incessants. Mais ici, les horreurs s’accomplissent dans l’ombre, ou à l’extérieur, à l’insu de tous…
Le public, témoin impuissant, constate l’inacceptable et essaye de comprendre. Toutes les actrices dont Évelyne Istria, jouent avec une belle évidence les complexités de l’existence et se coulent dans les rôles masculins avec modestie et bravoure. Marie-Armelle Deguy, remarquable, est l’astre noir autour duquel les autres protagonistes tournent. Quand elle joue-remarquablement-le père dans Agnès et Arnolphe dans L’École des femmes, elle rafle la mise, sûre de la cause féminine qu’elle défend. A la fois, très féminine et masculine, elle met à bas les préjugés sur les lois approximatives du genre.
Un spectacle d’aujourd’hui mais en résonance avec tous les temps.
Véronique Hotte
Théâtre des Quartiers d’Ivry, 1 rue Simon Dereure à Ivry-sur-Seine ( Val-de-Marne), jusqu’au 2 février à 20 h et le jeudi à 19h, ou en intégrale, le dimanche à 15 h et 18 h. T. : 01 43 90 11 11.