Le Cabaret calamiteux
Le Cabaret calamiteux de Camille Boitel et la compagnie L’Immédiat.
Camille Boitel est actuellement aux cent coups au Théâtre de la Cité Internationale avec sa Conférence sur la jubilation, son Cabaret calamiteux et sa Machineajouer. Ce dernier spectacle est préparatoire, c’est un amuse-gueule, une réflexion et une mise en pratique simultanée de l’improvisation de ces artistes de cirque. Il suffit, à côté de la fougue initiale des interprètes, d’une régie sons et lumières, de micros-voix sur pied et de micros-musique, et le public est convié, s’il le veut, à mettre en scène, à ordonnancer la représentation et à inventer une création dont les interprètes, professionnels et amateurs, comme les musiciens sont sur le plateau.
Le spectateur candidat peut ainsi passer sur la scène et jouer avec les acteurs de la compagnie de l’Immédiat. Pour décor, une maison démontable, à monter et à démonter à l’infini avec des parois de murs mobiles, qui se plient et se déplient, et d’où surgissent portes battantes et trappes de soupiraux. Les acrobates foncent et se jettent comme des balles dans les ouvertures pour surgir à un endroit diamétralement opposé, le corps horizontal, oblique ou bien vertical. De quoi donner le tournis à un public de spectateurs enchantés par cette vitesse.
Quant au Cabaret calamiteux, plat principal de la soirée, le spectacle répond à l’esprit de créations déjà répertoriées de Camille Boitel, comme le fameux Immédiat. Nulle règle, nulle loi, si ce n’est celle du chaos, du ratage, de l’échec, du non-accomplissement et de la non-satisfaction. Le public, s’il le souhaite, est habillé en tenue de soirée féminine – qu’il soit homme ou femme -, puisque Camille Boitel dit ne s’adresser qu’à des demoiselles.
Les spectateurs élégants prennent ainsi place sur la scène, assis à des tables de cabaret, ou sur des lits ou coussins de salon. Et le public non costumé s’installe dans la salle, comme d’habitude. Sur le plateau, entre les tables, virevoltent des serveurs et serveuses artistes, portant une vaisselle qu’ils cassent, ou jouant au tennis avec des parts de gâteau qui trouvent leur point d’atterrissage sur des assiettes tremblantes.
Un petit castelet indique clairement qu’il s’agit de cabaret dont les numéros se dérouleront hors champ, avec , entre autres, une femme, qui, en rythme et musique, est rivée à un fauteuil roulant, un M. Loyal qu’on malmène, un homme vêtu de ballons d’eau qui se voit agresser par un public maniant l’art des agrafeuses propices à leur éclatement , une femme de langue hispanique en pleurs, qui perd ses faux cheveux comme ses faux ongles, un homme mélancolique façon Pina Bausch, qui accomplit un strip-tease déglingué (un fil dans la lenteur et la patience, fait sauter boutons de chemise, descendre les chaussettes et le short jusqu’à la nudité, cachée in extremis par la disparition totale de la lumière. Des musiciens, saxos et piano, s’apprêtent à jouer… sans jamais s’exécuter.
Camille Boitel lui-même, piano et musique contemporaine, n’en finit pas de pleurer… Un duo d’acrobates contorsionnistes dessine une roue dynamique, un autre interprète s’inflige des claques corporelles musicales. Et la faillite est élevée systématiquement au rang de succès et de gloire, un paradoxe à interroger… La soirée est bon enfant malgré tout, poétique, et dérangeante, juste ce qu’il faut.
On aimerait juste que tout se refasse et réussisse enfin, hors de l’erreur et de la catastrophe, ce qui mettrait en colère le maître de cérémonies, attaché à ce que rien ne tourne en rond.
Véronique Hotte
Théâtre de la Cité Internationale, Boulevard Jourdan 75014. Jusqu’au 28 janvier à 19h30 ou 20h30, selon les jours. T : 01 43 13 50 50.