Les Gens, d’Edward Bond

les gens

 

Les Gens d’Edward Bond, traduction de Michel Vittoz, mise en scène d’Alain Françon.

 

Qui sont ces gens ? Eux, nous, quelque part sur la terre devenue un immense no man’s land à la fin de notre vingt-et-unième siècle. Ils sont quatre,  dans  quatre situations sans issue. Et leur question à chacun semble être : comment?
Pour Postern, blessé abandonné dans la boue, c’est comment mourir, comment finir de mourir. Comme dirait Beckett – mais Bond est très loin de Beckett - : « C’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir ». Pour Lambeth, dépouilleuse de morts, c’est comment trier inlassablement ces précieux vêtements qu’elle récupère, comme si, sans plus personne pour les porter, ces vêtements avaient une valeur incalculable. Pour Margerston, c’est comment oublier, car sa mémoire obsessionnelle tourne et retourne en vain.
Reste quelqu’un , Ken, celui qui vient chercher son nom. Notons qu’ils ont chacun un nom, même s’ils l’ignorent et si cela n’a pas beaucoup d’importance: ces noms font partie du lyrisme, de la poésie violente de Bond. Qu’ont-ils à faire ensemble, ces quatre-là ? Rien, sinon tenter sans même le savoir de reconstituer, dans un monde où toute société serait détruite, des embryons de liens. Voler le manteau, faire circuler le manteau, récupérer le manteau -relativement en bon état- du mourant, c’est pratiquer un échange. Il y a aussi un revolver, qui passe de main en main, mais personne ne va tuer personne, on est au-delà de ça. Et pour finir, celui qui ne sait pas qui il est l’apprendra, et le mort pourra enfin mourir.
On connaît la vision noire de Bond, et la force avec laquelle Alain Françon a mis en scène ses Pièces de guerre.  Les Gens appartiennent à la Quinte de Paris, avant-dernière d’une série de cinq, née du désir de Bond d’écrire pour un metteur en scène qui le comprend. On aura compris qu’elle va loin dans la violence, le dégoû
t, goyal’horreur ou l’abjection. Cette audace-là, ce défi, on les trouve généralement davantage chez les peintres d’aujourd’hui que dans l’écriture. Mais Bond se sent « un citoyen d’Auschwitz et un citoyen d’Hiroshima », et il ajoute « citoyen d’un monde humain qui est encore à construire ». Dernier point à ne pas oublier.
Qu’est-ce que cela donne, sur scène ? Un spectacle à la limite du supportable, porté cependant par un incontestable lyrisme (la traduction de Michel Vittoz y est pour quelque chose), et des acteurs vaillants : Dominique Valadié, Pierre-Félix Gravière, Aurélien Recoing et Alain Rimoux tiennent, avec une remarquable énergie, cette suite de chutes et de rechutes. Ne pas « laisser tomber ».
Pour ceux que la série des Horreurs de la guerre de Goya n’effraie pas, pour ceux qui supporteraient ce texte répétitif jusqu’à en être assourdissant, pour ceux qui tiendront jusqu’au bout : il y a là des pépites à trouver dans la boue, comme le signale justement le traducteur. De profundis ad te clamavi, et tant qu’on a l’énergie de crier…

 

Christine Friedel

 

Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, 01 48 13 70 00, jusqu’au 1er février.

 


Archive pour 16 janvier, 2014

Catherine Zambon

Soirée Catherine Zambon.

arbrecatherine   Le Jeune Théâtre National, installé dans le Marais à Paris, facilite l’entrée dans la vie professionnelle de jeunes comédiens issus du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, de  l’École du Théâtre National de Strasbourg, etc.. … C’est aussi un laboratoire qui leur permet de rencontrer des professionnels. Et des maquettes y sont régulièrement données. Le  J.T.N. organise aussi le festival JT 14 avec le Théâtre de Vanves, le Théâtre de la Cité Internationale et le  Nouveau Théâtre de Montreuil qui aura lieu du 28 février eu 8 mars prochain.
Il a un comité de lecture d’auteurs contemporains, et organise des soirées qui sont autant de coups de cœur, cette fois-ci, avec Catherine Zambon qui  a grandi dans le Beaujolais. Elle en garde un  attachement à la nature qui ne se démentira jamais. Elle écrit partout, à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, en Picardie ou dans le Dauphiné, où elle a longtemps été partenaire de Textes en l’Air, un beau festival en campagne.
Installée plusieurs heures dans quelques  maisons vides de leurs occupants inconnus, elle avait  imaginé  et écrit ce que les murs lui dictaient comme avec Les Habitants, une pièce publiée en 2009.  L’œuvre de Catherine Zambon a été éditée à la fois à L’avant-Scène, chez Lanzmann,  Lafontaine, mais aussi aux  éditions Théâtrales,  chez  Actes Sud Junior  avec Mon frère ma princesse, prix Colidram en 2013,  et enfin à  L’École des Loisirs, dont le fondateur Jean Fabre, qui a tant fait pour la littérature jeunesse,  vient de décéder.
Ses textes ont été montés par le Turak Théâtre, la Fabrique des Petites Utopies, Les Fous à Réaction, Anne-Laure Liégeois, Alexandra Tobelaim… Elle  travaille  en ce moment sur Les Agricoles, une commande  qui l’a emmenée en immersion chez des agriculteurs de Lozère pendant plusieurs semaines, et qu’elle  mettra en scène en 2014. Pour cette soirée, les comédiens du J.T.N. se sont concentrés sur trois textes d’elle, La Chienne de l’Ourse,  et des récits en séquences : Les Ramasse-Miettes et Les Inavouables.  Directe et  franche,  l’écriture de Catherine Zambon  parle d’homosexualité, d’obésité, de tout ce qui change  en nous,  et de ce que l’on tait aux autres, de notre rapport à eux.
Après un début de lecture un peu convenu, on ressent vite  la fureur des personnages. L’ écriture de Catherine Zambon est incandescente, mais étudiée et raisonnée, bien tissée, qui prend vie dans la bouche de ces jeunes gens qui  se sont vraiment engagés  dans ce qui est finalement plus qu’une simple lecture.
On y décèle des futurs talents qu’on aura plaisir à retrouver ces prochaines années sur les plateaux…

http://www.catherinezambon.com/
http://www.jeune-theatre-national.com/

Julien Barsan

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