Mort à Venise

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Mort à Venise d‘après Thomas Mann/Gustav Mahler, adaptation de Maja Zade et Thomas Ostermeier, chorégraphie de Mikel Aristegui, mise en scène de Thomas Ostermeier.  

 Thomas Mann, (1875-1955)  fit un voyage à Venise en 1911, dont il s’inspira pour écrire cette célèbre nouvelle qui fut publiée un an plus tard. Gustav von Aschenbach, écrivain autrichien, la cinquantaine, (on dirait maintenant soixante-cinq ans) séjourne à l’hôtel du Lido à Venise, où Tadzio, un très beau et très jeune polonais, le fascine. Il ne cesse de le suivre dans Venise. Mais, en proie à une grande tristesse, il mourra d’une épidémie de choléra et mourra sur la plage en le voyant.
La nouvelle a inspiré à Luchino Visconti un film (1971) devenu célèbre et sous-tendu par  la cinquième de Gustav Mahler, dont Thomas Mann appréciait beaucoup la musique. Curieusement, le compositeur était mort, une semaine avant le voyage à Venise de Thomas Mann. La Mort à Venise a aussi inspiré Benjamin Britten,  et le chorégraphe John Nemeyer.

  » C’est, dit le grand écrivain, dans un entretien qu’il avait accordé à Visconti, essentiellement une histoire de mort, mort considérée comme une force de séduction et d’immortalité, une histoire sur le désir de la mort. Cependant, le problème qui m’intéressait surtout était celui de l’ambiguïté de l’artiste, la tragédie de la maîtrise de son Art. La passion comme désordre et dégradation était le vrai sujet de ma fiction. Ce que je voulais raconter à l’origine, n’avait rien d’homosexuel ; c’était l’histoire du dernier amour de Goethe à soixante-dix ans, pour  Ulrike von Levetzow, une jeune fille de Marienbad: une histoire méchante, belle, grotesque, dérangeante qui est devenue La Mort à Venise. À cela s’est ajoutée l’expérience de ce voyage lyrique et personnel qui m’a décidé à pousser les choses à l’extrême en introduisant le thème de l’amour interdit. Le fait érotique est ici une aventure anti-bourgeoise, à la fois sensuelle et spirituelle. »
Thomas Ostermeier a été séduit par ce thème et il le dit avec tout le pessimisme qu’on lui connaît sur l’Allemagne d’aujourd’hui:  » La crise artistique qu’y traverse l’écrivain Aschenbach,  — venu se ressourcer à Venise et qui y mourra — me touche profondément. La crise artistique, c’est justement n’avoir plus le sentiment d’être en crise permanente, avoir trop de certitudes. Thomas Mann suggère qu’on peut être au sommet de son art et déjà mort ; que la mort est en nous plus tôt qu’on ne l’attend ».
Bref, les angoisses d’Ostermeier, cent  ans plus tard exactement- le spectacle date de 2012, rejoignent celles de Thomas Mann;  cette création, à mi-chemin entre le théâtre et la danse, se veut être une réflexion sur la mort, l’amour, le mal, et l’art  comme chez Thomas Mann, marqué par la grave maladie de sa femme et le suicide de sa sœur Carla, et par la menace de la prochaine guerre…

Thomas Ostermeier prend en effet prétexte, pour nous livrer sa vision à lui, de la célèbre nouvelle, et  en une heure seulement, avec ses acteurs de la Schaubühne dont il est le directeur,  comme dans une sorte de rêve éveillé. Le spectacle commence en fait avant même le début de la représentation,  dans un grand espace aux murs noirs et au sol brillant tout aussi noir; il y a juste un fauteuil, une petite table et quelques chaises; un récitant s’essaye à dire des  phrases du texte en français, un pianiste répète du Mahler, trois jeunes danseuses font des exercices d’assouplissement, un jeune homme joue quelques notes de guitare, pendant que,  dans le fond, on habille d’une robe noire, une très grosse dame, visiblement choisie pour son physique: » Il n’y a jamais de beauté sans laideur » dit Ostermeier. Cela tient à la fois d’une sorte de performance/happening où il ne se passe pas grand chose mais que l’on regarde quand même fasciné.
   Puis, dans une scénographie de son très fidèle Jan Pappelbaum, remarquable de précision et de beauté, un chanteur interprète sur un beau piano à  queue les Kindertotenlieder de Mahler, et bientôt un maître d’hôtel va mettre cinq couverts sur une grande table avec beaucoup de cérémonie pour  trois jeunes filles habillées de blanc aux longs cheveux noirs, Tadzio, leur jeune frère et  leur mère, la grosse dame en noir. Et un autre couvert pour Gustav von Aschenbach, qui chantera du Mahler.
C’est extrêmement raffiné: dans les  douces lumières rasantes du crépuscule, les gestes sont aussi lents que précis, et on entend de loin les jeunes filles pépier dans cette grande salle-à-manger aux hautes fenêtres,  dont les voilages tremblent sans cesse. Et les cinq membres de cette même famille, comme le vieux monsieur un peu plus loin, mangent la soupe puis un plat, servis, toujours avec beaucoup de cérémonie,  par le maître d’hôtel.  Il y a comme du Bob Wilson dans l’air…
Certaines images, captées par deux cadreurs sur le plateau s’affichent sur un grand écran vidéo dont Ostermeier aurait sans doute pu faire l’économie: on voit ainsi le ballet du maître d’hôtel et la rigoureuse disposition des assiettes et  couverts; cela peut faire penser à une installation très conceptuelle que ne renierait peut-être pas un artiste comme Joseph Kossuth.

  Puis, en quelques secondes tous les meubles et accessoires disparaissent, et sur le plateau nu, les trois jeunes filles, cette fois en robe longue noire, dansent sur la musique de Mahler,  tandis  que tombent des cintres, une pluie ininterrompue de longs filaments noirs. Elles quitteront ensuite leur robes, pour continuer à danser nues, en ombres, sur un fond de scène lumineux.  C’est un moment exceptionnel, très émouvant, et de toute beauté.
  Mais le spectacle qui ne dure pourtant qu’une heure, semble souvent un peu long et laisse sans doute un meilleur souvenir que sa vision; en effet, composé de petits morceaux:  chant, jeu, texte, etc.. il n’ a guère d’autre  unité que la musique, et a du mal à vraiment convaincre; même si on y retrouve  les principes des impeccables mises en scène d’Ostermeier, et ses remarquables interprètes: Josef Bierbichler, Leon Klose, Maximilian Ostermann, Martina Borroni, Marcela Giesche, Rosabel Huguet, Sabine Hollweck, Felix Römer et Mikel Aristegui…
Sans doute à cause d’une trop grande virtuosité, cette Mort à Venise fait trop penser à une sorte d’exercice de style,  en forme de déconstruction, qui a du mal à être  vraiment émouvant. Le public a applaudi poliment mais sans enthousiasme particulier! Bref, c’est dommage mais on a vu mieux de ce grand créateur!

  A voir? Oui, sans doute, mais seulement, si vous êtes un fan absolu d’Ostermeier, sinon vous risquez d’être déçu…  Il ne vous reste qu’à attendre Un Ennemi du peuple présenté en 2012 au festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog), qui est d’une toute autre envergure.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville jusqu’au 23 janvier, du mardi au samedi à 20h30  et le dimanche à 15h.   

http://www.dailymotion.com/video/xv2vmr


Archive pour 19 janvier, 2014

Putain D’Vie

Putain D’Vie d’après Les Soliloques du Pauvre et Le Coeur Populaire de Jehan Rictus, mise en scène de Didier Perrier.

rictusLes Déchargeurs accueillent un spectacle musical autour de Jehan Rictus, poète français qu’on ne croise  que trop rarement sur les plateaux.  Né en 1867, mort en 1933, il  s’illustre par une poésie du peuple, dans  une langue qui ne respecte rien, et  surtout pas Jésus qu’il fait revenir dans plusieurs de ses poèmes et chansons. Il avait  lui-même vécu quelque temps dans la rue, et  n’avait pas son pareil pour évoquer les pauvres gens… Il eut un beau succès dans les cabarets de Montmartre, où il  connut Guillaume Apollinaire et Max Jacob.
  L’Échappée, compagnie picarde, nous avait  plutôt habitués à des textes contemporains, (dernière création en date: Haute-Autriche de Franz-Xaver Kroetz, et Écoute un peu chanter la neige de Mariane Oestreicher-Jourdain.Putain D’Vie est une reprise, et  avec les mêmes trois comédiens, dont Chantal Laxenaire qui tient aussi l’accordéon.
C’est un bel enchaînement assez fluide de chansons interprétées correctement (sans plus) et de textes tous issus de deux ouvrages de Rictus. A part un petit creux dans le rythme au moment où chaque comédien interprète en parallèle une histoire différente un peu longue, on ne s’ennuie pas et on goûte  la langue si particulière de Rictus, que les comédiens doivent avoir bien en bouche pour ne pas « savonner »… On apprécie aussi son enracinement social et  révolutionnaire, troublant d’actualité et d’engagement. Quelque part entre San Antonio et Céline (certes, il y a de la marge !), Rictus nous fait rire parce qu’il ose tout mais nous glace aussi par moments, comme dans ce  poème  où une mère se rend sur la tombe de son fils qui a été guillotiné pour une sale affaire; elle raconte  comment, en plus de son chagrin, elle doit supporter d’être mise au ban de la société,  parce qu’elle a été la mère d’un mauvais garçon.

Les trois comédiens chanteurs au visage blanchi, évoluent dans un décor de caisses, et de guirlandes de lumières; on repère Thibaut Mahiet, toujours juste, qu’il incarne un enfant, ou un ouvrier. Chantal Laxenaire apporte de son  côté une belle respiration musicale et  a un  jeu tout à fait remarquable. Même si la mise en scène de Didier Perrier  n’a rien  de révolutionnaire, on passe malgré tout un excellent moment à la découverte  de ce grand poète des opprimés, fantôme du Paris en ce début du vingtième siècle.
Le spectacle finit sur une étonnante chanson qui distancie un peu l’affection qu’avait Rictus pour les ouvriers, Rictus qui, grâce à son succès, a fini sa vie plus proche des bourgeois ! En tout cas,  une belle occasion de faire connaissance avec un grand poète français, ou de le retrouver…

Julien Barsan

Théâtre des Déchargeurs du mardi au samedi à 19h30,  jusqu’au 8 février.

Quatre heures à Chatila

 

796935_97565747791_357984_largeDe Quatre heures à Chatila, on garde le souvenir vivace de Clotilde Mollet mise en scène par Alain Milianti. Elle reprend les mots de Jean Genet, premier témoin européen avec  Leila Shahid en 1982, de  l’horreur ce massacre qui avait été perpétré au Liban dans un camp de réfugiés palestiniens.
Stéphane Olivié-Bisson, dont on avait pu apprécier le Caligula d’Albert Camus  à l’Athénée, a repris un travail esquissé à la fin des années 90 qui l’emmena, l’hiver dernier, de l’Institut du Monde Arabe, à Beyrouth, Amman et Jérusalem,  avec la mise en scène de ce texte  terrible, avec Carole Abboud, une actrice du Théâtre Monnot de Beyrouth, .
Le Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi l’a accueilli pour une soirée unique, en version française, surtitrée en arabe. À l’entrée, on distribue des tracts sur le blocus de Gaza privée d’essence, d’électricité et d’eau potable, où la centrale électrique a cessé de fonctionner… Dans la salle, où de nombreux jeunes d’origine maghrébine côtoyaient des élus de la ville, régnait un silence tendu.
Sur le plateau, un amoncellement de vêtements, de chaussures, et d’objets calcinés, couverts de poussière. La parole de Genet découvrant l’horreur absolue de ce massacre d’enfants, de femmes, de vieillards, d’hommes assassinés dans ce camp de réfugiés palestiniens, s’élève dans les sanglots de Carole Abboud. Terrifiée, elle fouille dans les décombres, en sort un vieil imperméable, et s’en revêt : « Les cadavres noirs et gonflés étaient tous palestiniens ou libanais. Le massacre de Chatila se fit-il dans un murmure ou un silence total ? Il m’a fallu aller à Chatila pour percevoir l’obscénité de l’amour et de la mort (…) On parlait hébreu à Chatila, aucun ne le dira… »
Carole Aboud erre dans les décombres, puis  se couche sur les restes qui jonchent le sol, en  poussant comme des hurlements silencieux ininterrompus.  Mais,malgré de beaux éclairages rasants, et l’investissement de l’actrice, très concentrée, l’émotion ne surgit pas tout à fait comme à la création, il y a plus de vingt ans…

 

Edith Rappoport

 Spectacle vu au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi, le 17 janvier

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