Ça commence par un film en noir et blanc : Guillaume (Julien Tsongas) et Perdican (Pascal Sangla) débouchent une bouteille pour fêter la naissance de la communauté qu’ils vont créer. L’un dit: «On s’embrasse?» Leur accolade reviendra tout au long du spectacle, comme un leitmotiv à la Godard, ainsi que le : «Je t’expliquerai tout», de Véronique (Géraldine Dupla), qui les invite dans l’appartement de son oncle, à Genève. Ils y sont rejoints par une jeune femme Camille (Zoé Schellenberg) qui cristallise les désirs des uns et des autres.
Ils disposent d’une domestique, Antigone (Lola Riccaboni): une sans-papiers grecque, surdiplômée qui se gausse de leurs élucubrations post-révolutionnaires et ne cesse de réclamer son salaire… dont elle ne verra jamais la couleur.
Du film de Jean-Luc Godard, restent le titre, et le scénario: une communauté de jeunes gens, installés le temps des vacances, dans un appartement, où ils refont le monde et où ils sont occupés à des chassés-croisés amoureux. Citations et références abondent: on retrouve le rouge et le bleu pétants du film, les adresses des personnages qui déclinent leur identité face caméra, les formules à l’emporte-pièce…
Mais le monde a changé. Le marxisme-léninisme a fait long feu, et le petit livre rouge est voué aux gémonies : la révolution culturelle et le grand bond en avant furent des entreprises criminelles aux 36 millions de morts ! Que faire, quand la société libérale et la fièvre financière sont aux commandes, et que les utopies sont en berne? S’indigner ? Relire Marx, Debord, Bossuet ? Les mots peuvent-ils avoir la même fonction que les balles ? Enlever un banquier ? Repeindre le monde alors que l’art est mort ?
La Chinoise 2013 est d’abord un hommage à Jean-Luc Godard et Michel Deutsch s’est aussi amusé à convoquer les tubes des années 68, retranscrits par Pascal Sangla: Michel Polnareff, Lou Reed, Jacques Dutronc. Il recycle de vieux slogans, et des mots d’un autre siècle comme «le peuple». Véronique rencontre dans un train un philosophe (Michel Voïta). Il lui confie que « le peuple » était déjà introuvable en 68. Pas de nostalgie cependant. Comme Godard, Deutsch tente de capter l’air du temps et les interrogations de notre époque, et mêle habilement théâtre, projections, musiques, chansons, introduisant ainsi distance et humour.
Malgré la présence d’acteurs tout à fait justes et une mise en scène rigoureuse, le spectacle peine à trouver sa cohérence et son centre de gravité. L’auteur a sans doute greffé des situations d’aujourd’hui dans la peau de protagonistes dont les comportements et l’univers semblent dater d’hier…
Mireille Davidovici
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La Chinoise 2013, texte et mise en scène de Michel Deutsch
En 67, Jean-Luc Godard obtient le Prix spécial du jury au festival de Cannes, pour son film La Chinoise, sur fond de marxisme-léninisme et de révolution culturelle, d’engagement politique et d’annonce d’un mai 68 devenu page d’histoire.
Aujourd’hui, Michel Deutsch marche dans les traces de cet ange Gabriel, mettant en écriture et en scène cinq jeunes gens dans le contexte d’aujourd’hui : Véronique, Guillaume, Perdican, Camille et Antigone, interprétés par Géraldine Dupla, Lola Riccaboni, Pascal Sangla, Julien Tsongas et Zoé Schellenberg, à la manière du Je me souviens, de Perec.
Comme eux, ils manient le discours politique dans un appartement bourgeois prêté, où ils expérimentent d’autres modes de sociabilité et font l’état des lieux et l’inventaire des illusions perdues. Tout y est : l’amour, les armes, les assassinats politiques sous les régimes nazis et soviétiques, les meurtres sous Mao Tse Dong, le système libéral et le projet d’assassinat d’un banquier, revus et corrigés par les Sermons de Bossuet et La Société du spectacle de Debord dont l’essai politique, critique des sociétés post-industrielles, date aussi de 67.
« Le monde va mal… Je t’expliquerai tout… Une histoire compliquée »…. Les dialogues se déroulent à huis-clos, et notre club des cinq parle d’actualité politique et sociale : démantèlement de l’état providence et du service public, dix-neuf millions de chômeurs dont 50% de jeunes, expulsions, fanatismes, envahissement des écrans, tablettes et téléphones…
L’apprentissage de la communauté fait retomber les utopies et a un petit air de Jules et Jim à la Truffaut dans les aller-retours amoureux sur fond des tubes de l’époque, accompagnés des interventions au piano de Pascal Sangla, dans un décor rétro, canapé et robe rouge, références au petit livre du même nom. On y croise ainsi Polnareff et Dutronc, et le fantôme de Jean-Pierre Léaud, le Guillaume de Godard. Et sur écran, de loin en loin, chaque personnage filmé se présente et se raconte : « Je suis née à Athènes en 89, j’ai fait des études de sociologie »… dit Antigone, déléguée aux tâches ménagères au sein du groupe ; chacun parle de sa rencontre avec le théâtre, discours dans le discours et de la nécessité de « repeindre le monde ».
Nous redoutions le pire en arrivant, Michel Deutsch – qui signe aussi la scénographie, avec Philippe Maeder réalisateur des images vidéo – s’en tire à bon compte dans son sauve qui peut hors-cadre, par la distance qu’il s’efforce de chercher et le sarcasme affleurant à certaines pages de sa mise en scène. Il ne sombre pas tout à fait dans la nostalgie des utopies ni dans la croyance de lendemains qui chantent, coup de chance-ligne de chance, les lendemains ne chantent guère. Je vous salue Godard !
Brigitte Rémer
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