Le voci di dentro

Le voci di dentro (Les Voix intérieures) d’Eduardo de Filippo, mise en scène de Toni Servillio.

 

servillo 1  Pièce écrite en trois semaines, pour un groupe d’acteurs, « mal ficelée », et en même temps un merveilleux classique du XXème siècle, un incomparable roman théâtral. Jugez plutôt. Ce matin-là, la servante a du mal à ouvrir les yeux, et raconte longuement son rêve : un ver armé d’un parapluie l’accompagnait à l’église. Ce matin-là, le voisin pique-assiette s’incruste dans la maison, puis son frère vient parler aux voisins du charme qu’il y a à faire valser chez soi ses meubles (?).
Embrouilles et compagnie : on comprendra que le déménageur en question soupçonne fermement son voisin d’un crime et a la certitude de trouver des « preuves » (une chemise ensanglantée…) derrière le buffet familial. Police, interrogatoires : rien.
Alberto, l’accusateur, doit se rendre à l’évidence : il a rêvé. Passons sur les épisodes, les excuses au voisin et à la voisine, tireuse de cartes dont on dit qu’elle ne tire pas que les cartes… Sur la mise en accusation pour dénonciation calomnieuse et sur la tentative du frère cadet d’arracher à l’aîné le maigre héritage familial à l’occasion, et cela sous couvert de sauver les meubles,  (ils sont loueurs de chaises pour noces et banquets).
Le rêve d’Alberto a mis le ver (tiens, tiens…) dans le fruit. Chacun, sûr que « l’autre » est un criminel, vient le voir à l’insu de sa famille pour lui demander les preuves. Il y a encore un oncle qui a fait vœu de mutisme et ne parle que par pétarades et feux d’artifice (on ne les verra pas, du reste), et, naturellement, un mort qui n’est pas mort. Tout continue.
Ce qui fait le charme profond et la drôlerie de la pièce, c’est ce vacillement perpétuel. L’incertitude et l’instabilité sont les seules certitudes, et réciproquement. De ce qu’il a rêvé, Alberto est sûr, de ce que les autres voient ou ne voient pas, beaucoup moins. La combinazione , l’embrouille devient une philosophie, un mode de vie, où toutes les cruautés, les trahisons, sont permises en famille, sur un ton doux et affectueux.
C’est Naples, au milieu du vingtième siècle, c’est peut-être encore la ville d’aujourd’hui, assise sur ses déchets, qui ne trouve son équilibre que… dans un déséquilibre soumis à d’incessants coups de pouce.
La pièce a ses affaissements, ses coups de pompe comme les personnages. On les lui pardonne, dans cette folie pas si douce qu’elle n’en a l’air. Mieux : ces temps de suspens donnent aux personnages le rythme profond de leur impuissance à agir sur ce monde. De même, on pardonne à Toni Servillio de s’être mis ainsi en vedette avec son frère Peppe, pour ses magnifiques moments d’égarement, sur le ton le plus sérieux et le plus sûr de soi. Evidemment,  ce n’est pas le Piccolo Teatro de Strehler et Ezio Frigerio, c’est un Piccolo que la crise d’aujourd’hui nous masquait un peu, avec une esthétique plus rude, plus nue.
Mais bien vivant et, pour une fois, c’est vrai, jubilatoire.

 

Christine Friedel

 

Vu à la MC 93, à Bobigny

http://www.dailymotion.com/video/x10w4ex


Archive pour 21 janvier, 2014

Cinna, ou La clémence d’Auguste

Cinna, ou La Clémence d’Auguste de Pierre Corneille, mise en scène de Noël Casale.

 

8280Personne n’étudie plus cette pièce, et le célèbre  conflit cornélien est passé aux oubliettes,  comme le mot  bachot pour baccalauréat. À l’exception de Brigitte Jaques-Wajeman, très peu de metteurs en scène osent s’attaquer –c’est bien le mot- à Corneille. On les comprend : sa langue, à l’aube du classicisme, est difficile, pleine de références. Qu’importe : si l’on veut vraiment jouer ce grand auteur politique, il faut la travailler, la mâcher, la comprendre jusqu’à la faire entendre à un public non prévenu. Si l’acteur sait ce qu’il dit, le spectateur l’entendra, au-delà des mots. L’effort en vaut la peine : Corneille est notre plus grand dramaturge politique.
C’est particulièrement vrai de Cinna. Le vrai titre ne devrait-il pas être Auguste? C’est en effet autour de lui que se situe l’affaire, c’est lui qui décide de la mener et qui retourne ceux qui s’étaient conjurés contre lui, c’est lui qui médite sérieusement sur la vanité de l’ambition et du pouvoir.
Mais non, Corneille a préféré le titre Cinna. Peut-être parce qu’il incarne plus que tout autre, plus qu’Emilie, la passionnée de vengeance, plus que Maxime le traître repenti, le  conflit cornélien  : pour venger la mort du père d’Emilie, et  pour  la conquérir, il lui faut tuer l’ennemi de sa famille devenu son bienfaiteur.
Octave est devenu Auguste, et  le sanglant conquérant efface les ardoises avec générosité et instaure la paix. Mais ces jeunes gens ne veulent pas de la paix, ils en restent à la vengeance… Enfin, Cinna en voudrait bien, mais ce serait perdre Emilie. Nous les voyons faire assaut de sacrifice et s’évader dans la tentation du suicide.

Ça pourrait être très beau. Olivier Bonnefoy donne aux scènes d’Auguste toute leur richesse, leur profondeur politique et humaine. Mais on a plus de mal à écouter les jeunes gens. Bon, on sait bien que la passion n’est pas belle à voir, qu’elle prend aux tripes, mais trop de tripes font qu’on n’y croit plus, qu’on n’entend pas et que le fameux conflit qui traverse également Emilie devient une ennuyeuse rhétorique du pour et du contre. Antonia Buresi avait tout pour faire une belle Emilie, et pourtant… ça ne passe pas. Un beau moment : celui où Livie (Edith Mérieau) souffle la clémence à son macho d’époux et empereur, qui d’abord l’envoie, disons, sur les roses : mais ce que femme veut… Là, on croit à l’amour, dont Corneille sait très bien parler, si on l’écoute vraiment.
Passons sur un dispositif peu commode et  cette mise en scène est gâchée par un  final, bêtement ironique et potache. Noël Casale a choisi cette pièce parce qu’elle parle du meurtre, et du rêve d’une paix possible. Il vit en Corse –ce pourrait être à Marseille, ou ailleurs-, il sait de quoi il parle. Mais faut-il démolir la pièce quand on n’aime pas sa « fin heureuse » ? Voilà un spectacle intéressant mais intéressant, hélas ! par moments. On l’aurait voulu vraiment beau, éclairant. Ce sera pour une autre fois…

 

Christine Friedel

 

Théâtre de l’Echangeur, 01 43 62 71 20, jusqu’au 31 janvier. Les 5 et 6 février à l’espace Diamant à Ajaccio.

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