Cinna, ou La clémence d’Auguste
Cinna, ou La Clémence d’Auguste de Pierre Corneille, mise en scène de Noël Casale.
Personne n’étudie plus cette pièce, et le célèbre conflit cornélien est passé aux oubliettes, comme le mot bachot pour baccalauréat. À l’exception de Brigitte Jaques-Wajeman, très peu de metteurs en scène osent s’attaquer –c’est bien le mot- à Corneille. On les comprend : sa langue, à l’aube du classicisme, est difficile, pleine de références. Qu’importe : si l’on veut vraiment jouer ce grand auteur politique, il faut la travailler, la mâcher, la comprendre jusqu’à la faire entendre à un public non prévenu. Si l’acteur sait ce qu’il dit, le spectateur l’entendra, au-delà des mots. L’effort en vaut la peine : Corneille est notre plus grand dramaturge politique.
C’est particulièrement vrai de Cinna. Le vrai titre ne devrait-il pas être Auguste? C’est en effet autour de lui que se situe l’affaire, c’est lui qui décide de la mener et qui retourne ceux qui s’étaient conjurés contre lui, c’est lui qui médite sérieusement sur la vanité de l’ambition et du pouvoir.
Mais non, Corneille a préféré le titre Cinna. Peut-être parce qu’il incarne plus que tout autre, plus qu’Emilie, la passionnée de vengeance, plus que Maxime le traître repenti, le conflit cornélien : pour venger la mort du père d’Emilie, et pour la conquérir, il lui faut tuer l’ennemi de sa famille devenu son bienfaiteur.
Octave est devenu Auguste, et le sanglant conquérant efface les ardoises avec générosité et instaure la paix. Mais ces jeunes gens ne veulent pas de la paix, ils en restent à la vengeance… Enfin, Cinna en voudrait bien, mais ce serait perdre Emilie. Nous les voyons faire assaut de sacrifice et s’évader dans la tentation du suicide.
Ça pourrait être très beau. Olivier Bonnefoy donne aux scènes d’Auguste toute leur richesse, leur profondeur politique et humaine. Mais on a plus de mal à écouter les jeunes gens. Bon, on sait bien que la passion n’est pas belle à voir, qu’elle prend aux tripes, mais trop de tripes font qu’on n’y croit plus, qu’on n’entend pas et que le fameux conflit qui traverse également Emilie devient une ennuyeuse rhétorique du pour et du contre. Antonia Buresi avait tout pour faire une belle Emilie, et pourtant… ça ne passe pas. Un beau moment : celui où Livie (Edith Mérieau) souffle la clémence à son macho d’époux et empereur, qui d’abord l’envoie, disons, sur les roses : mais ce que femme veut… Là, on croit à l’amour, dont Corneille sait très bien parler, si on l’écoute vraiment.
Passons sur un dispositif peu commode et cette mise en scène est gâchée par un final, bêtement ironique et potache. Noël Casale a choisi cette pièce parce qu’elle parle du meurtre, et du rêve d’une paix possible. Il vit en Corse –ce pourrait être à Marseille, ou ailleurs-, il sait de quoi il parle. Mais faut-il démolir la pièce quand on n’aime pas sa « fin heureuse » ? Voilà un spectacle intéressant mais intéressant, hélas ! par moments. On l’aurait voulu vraiment beau, éclairant. Ce sera pour une autre fois…
Christine Friedel
Théâtre de l’Echangeur, 01 43 62 71 20, jusqu’au 31 janvier. Les 5 et 6 février à l’espace Diamant à Ajaccio.