Les Fausses Confidences
Les Fausses Confidences de Marivaux, mise en scène de Luc Bondy.
C’est bien à un geste de magie dramatique que se confronte toute représentation des Fausses Confidences, pièce ultime (1737) de Marivaux, grand horloger de la scène théâtrale et fin scrutateur de l’âme humaine, observateur enfin des variations de la fortune.
Et, quand, de plus, la mise en scène se trouve, par un faux hasard, entre les mains de Luc Bondy, le talent est sauvé…
Le plaisir est au rendez-vous pour le spectateur, diverti au sens noble à travers le regard de Bondy, faiseur de théâtre, ouvert sur ce bijou dramaturgique lumineux, feu d’artifices miroitant, et festival d’images changeantes sur les intentions cachées ou inavouées des êtres, pris dans les rets de l’argent et du sentiment.
Dans les affaires, il ne faut s’embarrasser ni de sentiments ni de scrupules. « Les affaires ? C’est bien simple, c’est l’argent des autres », disait Alexandre Dumas fils. Un jeune homme, fils de bonne famille, Dorante, se destinait à être avocat mais ruiné, il s’avise de tomber amoureux d’une jeune veuve fort riche, Araminte. Protégé par son ancien valet Dubois, une sorte de démiurge, connaisseur du cœur et de la raison souvent faillible de ses semblables, maîtres ou valets. Dès les premières paroles échangées, le manipulateur dit à sa victime, consentante, qu’il croit déjà le voir «en déshabillé dans l’appartement de Madame ».
Le filou, pragmatique, est au fait de la variation des sentiments, et intrigue pour favoriser les desseins de son poulain; il ne cesse de rythmer ses adresses intempestives du mot: affaire . Qu’elle soit désignée comme « infaillible », « avancée » ou bien « en crise », il mène rondement la danse, avant qu’Araminte elle-même, n’y mette fin, vaincue par la passion. Elle ponctuera sèchement : « Ce sont mes affaires. » Sensible et vivante, la jeune veuve rejette sa caste de parvenus et privilégiés, en la personne de sa mère, Madame Argante (Bulle Ogier) qui verrait bien sa fille épouser un comte.
À l’intérieur d’une société gagnée par le libertinage, Araminte souffre avant l’heure d’un esprit révolutionnaire, et est blessée de voir « d’honnêtes gens sans fortune, tandis qu’une infinité de gens de rien, et sans mérite, en ont une éclatante ». Mais, de son côté, Dorante est-il être absolument sincère? Chez tout amant, les intérêts matériels et affectifs se recoupent de façon parfois embarrassante.
La scénographie de Johannes Schütz, avec des murs mobiles bleu pastel et un plateau en pointe vers le public, donne toute son ampleur à l’espace. Il y a aussi une installation d’une soixantaine de paires de chaussures luxueuses en fond de scène, et Luc Bondy a imaginé une leçon de tai-chi donnée par un professeur à la diva du soir.
Bernard Verley est un oncle de famille avisé mais maladroit. Quant à Louis Garrel, c’est un beau Dorante ténébreux dont la séduction résiste quand même mal à l’aura naturelle d’une Isabelle Huppert dansante, amusée et heureuse d’investir la scène et qui joue, avec grâce et rage, les mouvements du cœur, par les gestes, les silences et la voix. Elle traverse le temps dans la brûlure d’un coup de foudre.
Et nous avec elle.
Véronique Hotte
Nous n’avons pas tout à fait le même point de vue ni la même admiration pour le nouvel opus de Luc Bondy que notre amie Véronique. Il est vrai que nous n’avons pas assisté à la même représentation mais si on sentait bien la patte du maître, on est loin de ses mises en scène exemplaires d’il y a une vingtaine d’années…
D’abord, on voudrait bien savoir quel mouche a piqué Bondy quand il a choisi cette scénographie à la fois prétentieuse et aussi peu efficace. Pourquoi cette avancée en pointe du plateau vers la salle, gadget qu’affectionne Body (comme dans Le Retour de Pinter monté aussi à l’Odéon) que rien ne justifie, qui ne sert jamais et n’a rien à voir avec une mise en valeur de ce grand espace nu où glissent parfois sans raison quelques pauvres éléments de salon et où les voix se perdent? Pour dire la modernité de Marivaux, ou pour « faire moderne »? Parions malheureusement pour la seconde hypothèse…
Et, côté mise en scène, pourquoi cette soixantaine de paire d’escarpins appartenant à la belle Araminte et qu’un acessoiriste viendra pousser en coulisses avec un balai à franges, pour une raison inexpliquée! Pourquoi la belle et jeune veuve prend-t-elle un cours de tai-chi avant que ne débute le spectacle, puis pendant la représentation? Pour dire que c’est une grande bourgeoise moderne qui sait prendre soin de son corps et de son esprit, et qui a les moyens de s’offrir des paires de chaussures par dizaines et un professeur particulier à domicile? Et, au cas où on n’aurait pas compris qu’Araminte est riche et très occupée.. Bondy surligne encore les choses: le champagne chez elle coule à flots, et elle change plusieurs fois de robe! Tous aux abris!
Côté direction d’acteurs, la distribution se veut luxueuse et un peu cinéma ( Isabelle Huppert, Bulle Ogier et Louis Garrel…) mais tout se passe – mais ce n’est sûrement pas cela? - comme si Bondy avait été pressé par le temps et indiqué les grandes lignes de sa mise en scène puis refilé le bébé à un assistant lui, peu au fait de sa sublime direction d’acteurs, en laissant les comédiens se débrouiller par eux-mêmes.
En tout cas, même la grande Isabelle Huppert ne semblait pas au mieux le deuxième soir: gestuelle trop expansive, diction parfois approximative, et présence à éclipses, comme si elle ne se sentait pas vraiment à l’aise, et un peu perdue sur ce grand plateau… Face à un Louis Garrel qui, désolé, n’a vraiment pas les épaules pour interpréter Dorante; on veut bien qu’au début, cet amoureux fou soit complexé, maladroit, ce que sait faire Louis Garrel, mais, (peu ou mal dirigé, on ne sait), il se contente de prendre la lumière comme au cinéma et joue son personnage de façon monolithique, et sans guère de nuances, de sorte qu’ensuite, l’on n’intéresse plus guère à lui. En tout cas, on ne voit à aucun moment chez Garrel, un conflit entre sentiments et intérêts matériels. Et, quand on est chez Marivaux, dont Bondy a raison de dire que Les Fausses confidences en sont comme un concentré, et où l’argent est sans cesse évoqué, c’est quand même un peu ennuyeux… Surtout, quand il s’agit d’un personnage, pivot de la pièce!
Si le personnage de Dubois ( Yves Jacques) est mieux cerné, et si Jean-Damien Barbin est excellent – comme d’habitude- en Arlequin, on ne comprend pas du tout comment Bondy a fait jouer Madame Argante à Bulle Ogier. Elle en fait des tonnes- évidemment cela provoque les rires- quand elle fait semblant de jouer les vieilles dames qui marchent à petits pas! C’est caricatural et on n’y croit pas une seconde!
Le spectacle prend alors des airs de comédie de boulevard, dernier avatar- il est vrai- des pièces du célèbre dramaturge et dialoguiste! On sort déçu par une représentation, certes propre, mais où la mise en scène n’est vraiment pas convaincante. Alors que ce que dit Bond des Fausses confidences et de Marivaux, est tout à fait intelligent! Dommage…
Philippe du Vignal
Odéon-Théâtre de l’Europe, 75006 Paris. Jusqu’au 23 mars 2014. T : 01 44 85 40 40