Le Regard du nageur
Le Regard du nageur de Christèle Tual, mise en scène de Ludovic Lagarde et Lionel Spycher.
La métaphore sportive du nageur amateur ou professionnel – lunettes, maillot et bonnet de bain– est filée avec une patience contrôlée tout au long de ce Regard du nageur, premier texte de théâtre de la comédienne Christèle Tual qu’elle interprète aussi .
Au milieu de cris d’enfants lointains, l’atmosphère assourdie relève de couleurs aquatiques artificielles bien frappées : une photo de lagon bleu turquoise d’agence de voyages…
La femme qui fait ses aveux, le temps d’une confidence sinueuse et réfléchie, sait aussi être ironique : «Rejoignons le groupe d’invaincus aux allures sportives, bronzées et décontractées, symbole de liberté et d’espoir pour toute une génération à venir.» L’amoureuse de son passé évoque encore dans un futur indéterminé les groupes de touristes avec sac à dos intégré, « le visage lissé par l’absence du souvenir, de ce qui a été, un jour, dans un monde meilleur. »
La nageuse sait désormais ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Elle a fabriqué dans cette aire publique son propre espace protégé où elle déclame, selon un rythme précis, une partition de mots et de gestes presque chorégraphiés.
Près de vestiaires protégés par un rideau, trône un banc turquoise lumineux où la comédienne longiligne dans un maillot de bain de compétition s’assied, puis se repose et s’étend avec élégance. Dans ce sas étriqué qui sépare les douches de la piscine, la comédienne a les pieds dans l’eau et s’en amuse. Elle quitte régulièrement les lieux pour disparaître et se saisir d’accessoires inattendus, comme ces bouées en plastique qui s’accumulent dans un embarras comique. Elle ouvre parfois une porte qui pourrait être celle d’un appartement et s’adresse directement au spectateur.
L’origine de cette écriture intime est née d’une rupture sentimentale douloureuse. Si l’amour déploie puissance et dynamisme, son rapport à la mort se révèle d’autant plus sensible. Le « je » qui s’exprime pénètre dans les tréfonds de l’âme et du corps, confondant les organes internes et l’espace du dehors.
La souffrance est comparable à une aiguille intérieure qui déchargerait son venin et ferait un mal extrême : « Chaque millimètre est écorché ! La forêt intérieure est incendiée, ravagée par un feu invisible, et qui ne veut jamais s’éteindre. »
Cette parole évoque la perte d’identité qui anéantit, de façon inhumaine, toute victime de la passion sentimentale. L’amour fait vivre et souffrir en même temps, en provoquant des maux insondables : « Je ne te tuerai pas, j’attendrai seulement patiemment que tu te souviennes de ce que c’est que la vie que tu m’as froidement retirée ». Si l’autre qui a déclenché la rupture a tout oublié, celle qui aime encore n’a absolument rien effacé : « Je sais tout de la moindre parcelle de notre bonheur, de notre douleur, de l’union que chaque jour, à chaque seconde, nous construisions ensemble. »
Ces aveux confidentiels mènent à la force ultime de choisir son camp, la survie, tout en aimant encore l’autre malgré lui, et par-dessus lui, dans une mise à distance bienfaisante du traumatisme. L’écriture transcende l’indépassable pour aller mieux de l’avant. Une leçon d’existence et de courage au-delà de la mort qui bat en retraite.
Véronique Hotte
Comédie de Reims/Centre Dramatique National, jusqu’au 24 janvier.
L’écriture et une parole tragique contemporaine, comme dernier appel pour sortir du gouffre, de la douleur immense issue de la rupture amoureuse. « Le Regard du Nageur, c’est une traversée du chagrin, littéralement(…..) radicalisée par le langage », ces quelques mots de Christine Tual, interprète et écrivaine et le t titre même de sa pièce, suffisent à exprimer l’essentiel de ce monologue théâtral, paysage aquatique et intérieur d’une âme dévastée par la séparation .
Dans une mise en scène menée de main de maître par Ludovic Lagarde et Lionel Spycher, le spectacle possède force dûe au jeu remarquable et à la voix de Christine Tual, mais aussi à la partition sonore qui comme les éléments visuels: la piscine et ses accessoires, possèdent une esthétique riche de sens poétique, métaphorique, émotionnel.
La pensée n’a plus sa place chez un être ravagé par la violence de l’amour et l’abandon de l’être aimé. Sur scène, au début du spectacle, le corps en maillot de compétition, fin et musclé à la fois, apparaît presque androgyne: perte de l’identité et des repères et conséquences tragiques de la douleur…
Mais ce corps va progressivement se féminiser. Une robe toute de paillettes bleues semblables à des écailles, et le Nageur, (non pas la nageuse, masculin qui, d’un point de vue dramaturgique, a toute son importance) se métamorphose en sirène. Quand Christine Tual chante, l’expression de la douleur tragique et les mouvements chorégraphiques de son corps, en état de compétition psychique et sentimentale, réussissent à donner une ampleur et une résonance à ce premier texte qui n’est malheureusement pas toujours à la hauteur d’un point de vue dramatique et poétique.
Elisabeth Naud
Théâtre Ouvert, Cité Véron 75018 Paris, du 12 au 24 mai T : 01 42 55 55 50.