Nous qui sommes cent
Nous qui sommes cent, de Jonas Hassen Khemiri, mise en scène d’Édouard Signolet.
Sur le plateau, elles sont trois, ou plutô, elle est trois. La partition de Jonas Hassen Khemiri est distribuée entre trois comédiennes qui jouent la même femme à différents âges de la vie, mais aussi les hommes et les femmes qu’elle a rencontré(e)s, et ses propres contradictions et désaccords internes. Cela vaut-il vraiment la peine de tenter de recommencer sa vie ?
Elle essaie, elles essaient, et corrigent et s’engueulent–désolée, c’est le mot-, et nous emmènent tout au long d’une existence banale, sauf pour celle qui la vit.
Les illusions, les enthousiasmes, la politique, la passion, l’amour… Tout est passé à la moulinette. Et il en ressort quoi ? A côté de la désillusion, l’envie de vivre quand même, l’humour sur soi, l’énergie de râler, et un étonnement toujours jeune devant l’éternel retour .
On n’est pas ici dans Un, personne, cent mille de Pirandello : la personnalité comme l’identité ne sont pas ici « décomposées », mais composées. On le sait, chacun est fait d’un certain lot d’hérédité, et du monde où il vit et s’est formé. La nouveauté est d’utiliser cette donnée au théâtre. Le vécu de cette femme, qui est peut-être “cent“, est rendu en trois dimensions par trois formidables comédiennes. Emmanuelle Brunschwig, Céline Groussard et Elsa Tauveron forment une femme au pluriel, où nombre de femmes se reconnaîtront. Et pas seulement elles : la pièce questionne radicalement l’existence, et ouvre la blessure faite à l’humain. L’auteur n’a peur ni de l’émotion, ni de la brutalité, ni du rire.
Pas de décor, sinon trois chaises, très poétiques, inventées pour l’occasion. Pas d’effets, sinon la présence d’un accordéoniste bienveillant (et très jeune) qui peuple la mémoire de cette femme plurielle, de chansons, de soupirs, de quelques angoisses et cris. Seul petit reproche qu’on a envie de faire à ce spectacle : l’accordéon est une arme un peu facile pour aider à tirer des larmes…
On parle ici avec puissance, légèreté et drôlerie, des choses importantes qu’on met trop souvent de côté, parce qu’on se laisse emporter par le travail, les obligations routinières et par toutes sortes de nécessités qui n’en sont pas. Alors, arrêtons-nous à Théâtre Ouvert, pour un moment de rire et de vérité.
Christine Friedel
Théâtre Ouvert Cité Véron, Paris XVIIIème T: 01 42 55 74 40, jusqu’au 14 février.