Macbeth : Leïla and Ben – a bloody history
Macbeth : Leïla and Ben – a bloody history ,d’après William Shakespeare, adaptation de Lotfi Achour, Anissa Daoud et Jawhar Basti, mise en scène de Lotfi Achour.
Un cri dans la nuit, un oiseau de proie sur un écran, une apparition angélique surgie de l’obscurité. Du pouvoir, Leïla en a rêvé, mais c’est Mac’zine qui s’en saisira par le glaive. Dans les geôles du pays, on torture et on tue. Le sang coule. La dictature s’installe.
Mais, entre l’ascension au pouvoir de Mac’zine poussé par sa femme Leïla, et la culpabilité qui le hante sous la forme du fantôme de Bourguiba, il y a peu de liens entre Shakespeare et cette adaptation.
Il existe beaucoup plus de points communs entre les protagonistes de la pièce et le couple Ben Ali. Mais la fable fonctionne : jusqu’à « la forêt de mains et de voix » qui avance vers le palais et qui va précipiter la chute du régime.
Lotfi Achour, Anissa Daoud et Jawhar Basti ont créé un spectacle composite qui se déroule sur plusieurs plans : les acteurs cohabitent avec des mannequins, un film projeté en fond de scène présente les témoignages de victimes du régime Ben Ali, les réflexions de philosophes sur le rôle de l’islam, le regard de politiciens sur l’histoire du pays et les derniers événements en date. Un commentateur éclairé intervient en contre-point de l’action.
La musique composée par Jawhar Basti (qui interprète aussi Mac’zine) occupe une place prépondérante. Avec les comédiens/chanteurs et les instrumentistes présents sur scène, il offre une relecture personnelle et contemporaine de la chanson populaire et une respiration bienvenue dans la dramaturgie complexe de la pièce.
Le texte, s’il emprunte littéralement peu à Shakespeare, s’inspire de sa langue et se teinte d’un forte teneur poétique quand, du moins, on en lit le sur-titrage en français. Il en conserve aussi la dimension fantastique avec ses spectres et ses esprits maléfiques.
Des images fortes viennent en appui, comme ces Mac’zine miniatures qui démultiplient la présence du tyran, ou ces petites vitrines éclairées comme des aquariums figurant les prisons tunisiennes. Beaucoup d’informations fusent au-delà de l’intrigue principale, notamment avec la vidéo parfois trop abondante. C’est un spectacle d’une grande densité qui confine à la saturation.
Cependant, grâce à Shakespeare qui lui donne le recul nécessaire, le metteur en scène aborde ici sans compromis la question du pouvoir, dans le chaud d’une révolution en marche. Il s’en prend au patriarcat, à l’ignorance, à la peur, aux superstitions qui font le lit de la tyrannie et du culte de la personnalité. Le printemps arabe saura-t-il s’en préserver?
Le collectif A.P.A. a été créé par Lotfi Achour, dans le but de mettre en place des échanges artistiques entre la France et la Tunisie; il regroupe des artistes des deux pays. La pièce, une commande de la Royal Shakespeare Company, a été créée en Angleterre en 2012, puis jouée en Tunisie en 2013, au lendemain de l’assassinat de Chokri Belaïd , et le soir de la démission du premier ministre…
C’est dire si la situation était tendue. Selon l’équipe, elle a pourtant été reçue sans provoquer de rejet majeur et appréciée pour la manière crue, dont elle abordait la réalité historique du pays.
Mireille Davidovici
Le Tarmac, 159 avenue Gambetta 75019 Paris T.01 43 64 80 80 jusqu’au 7 février ; www.letarmac.fr