La maladie de la mort

La Maladie de la mort de Marguerite Duras mise en scène de Christelle Derré.  

Belle découverte que cette mise en scène transmedia réalisée par une équipe pluridisciplinaire, autour de  Christelle Derré, et de sa compagnie venue de Poitiers.
Sur le plateau, derrière des transparents, on aperçoit une jeune femme en robe de satin blanc, l’épaule dénudée. Au fond,  des techniciens s’affairent à la lumière, aux projections et à la musique.  Sur le côté, un homme d’âge mûr lit le texte de La Maladie de la mort; il se déplace au fil de cette description d’une relation  érotique tarifée, que la jeune femme danse,  étrangement  immobile et très sensuelle.
La jeune femme n’est pas une prostituée, mais se vend plusieurs nuits, et
s’endort toujours ensuite,  comme le relate son compagnon. Il y a les bruits de la mer à Trouville, le havre de Duras. Les projections sur les transparents troublent ses contorsions amoureuses, toujours pudiques. Elle se dénude ainsi lentement, et à plusieurs reprises, puis se rhabille avec une grâce et une sensualité étonnantes. Lui se déplace sur le plateau, s’accroupit, mais ne la touche pas,  sauf à la fin, quand il la ramasse,  après la description de cette relation érotique tarifée, pour la porter,  telle une statue  et il la dépose près d’une bâche dont elle se drape avec majesté.
On dirait une publicité pour une grande marque de parfum. On l’entend  peu, sauf quand elle dit, telle une reine : « Vous n’avez pas l’intelligence de votre maladie ! (…) un jour elle n’est plus là, son corps a disparu, la pénétration des corps, vous ne pourrez jamais la reconnaître »… Lui, reste en dehors, même s’il est impliqué dans cette rencontre, puisque c’est lui qui paye.
Le mystère de ce texte reste entier, comme toujours chez Duras,  et les spectateurs fascinés mettent longtemps à quitter la salle.


Edith Rappoport

Confluences le 20 janvier,; reprise au Théâtre de Belleville du 4 au 28 mars, 94 rue du Faubourg du Temple, Paris. http://vimeo.com/81704083

Le texte  est paru aux  Éditions de minuit.

 


Archive pour janvier, 2014

Le voci di dentro

Le voci di dentro (Les Voix intérieures) d’Eduardo de Filippo, mise en scène de Toni Servillio.

 

servillo 1  Pièce écrite en trois semaines, pour un groupe d’acteurs, « mal ficelée », et en même temps un merveilleux classique du XXème siècle, un incomparable roman théâtral. Jugez plutôt. Ce matin-là, la servante a du mal à ouvrir les yeux, et raconte longuement son rêve : un ver armé d’un parapluie l’accompagnait à l’église. Ce matin-là, le voisin pique-assiette s’incruste dans la maison, puis son frère vient parler aux voisins du charme qu’il y a à faire valser chez soi ses meubles (?).
Embrouilles et compagnie : on comprendra que le déménageur en question soupçonne fermement son voisin d’un crime et a la certitude de trouver des « preuves » (une chemise ensanglantée…) derrière le buffet familial. Police, interrogatoires : rien.
Alberto, l’accusateur, doit se rendre à l’évidence : il a rêvé. Passons sur les épisodes, les excuses au voisin et à la voisine, tireuse de cartes dont on dit qu’elle ne tire pas que les cartes… Sur la mise en accusation pour dénonciation calomnieuse et sur la tentative du frère cadet d’arracher à l’aîné le maigre héritage familial à l’occasion, et cela sous couvert de sauver les meubles,  (ils sont loueurs de chaises pour noces et banquets).
Le rêve d’Alberto a mis le ver (tiens, tiens…) dans le fruit. Chacun, sûr que « l’autre » est un criminel, vient le voir à l’insu de sa famille pour lui demander les preuves. Il y a encore un oncle qui a fait vœu de mutisme et ne parle que par pétarades et feux d’artifice (on ne les verra pas, du reste), et, naturellement, un mort qui n’est pas mort. Tout continue.
Ce qui fait le charme profond et la drôlerie de la pièce, c’est ce vacillement perpétuel. L’incertitude et l’instabilité sont les seules certitudes, et réciproquement. De ce qu’il a rêvé, Alberto est sûr, de ce que les autres voient ou ne voient pas, beaucoup moins. La combinazione , l’embrouille devient une philosophie, un mode de vie, où toutes les cruautés, les trahisons, sont permises en famille, sur un ton doux et affectueux.
C’est Naples, au milieu du vingtième siècle, c’est peut-être encore la ville d’aujourd’hui, assise sur ses déchets, qui ne trouve son équilibre que… dans un déséquilibre soumis à d’incessants coups de pouce.
La pièce a ses affaissements, ses coups de pompe comme les personnages. On les lui pardonne, dans cette folie pas si douce qu’elle n’en a l’air. Mieux : ces temps de suspens donnent aux personnages le rythme profond de leur impuissance à agir sur ce monde. De même, on pardonne à Toni Servillio de s’être mis ainsi en vedette avec son frère Peppe, pour ses magnifiques moments d’égarement, sur le ton le plus sérieux et le plus sûr de soi. Evidemment,  ce n’est pas le Piccolo Teatro de Strehler et Ezio Frigerio, c’est un Piccolo que la crise d’aujourd’hui nous masquait un peu, avec une esthétique plus rude, plus nue.
Mais bien vivant et, pour une fois, c’est vrai, jubilatoire.

 

Christine Friedel

 

Vu à la MC 93, à Bobigny

http://www.dailymotion.com/video/x10w4ex

Cinna, ou La clémence d’Auguste

Cinna, ou La Clémence d’Auguste de Pierre Corneille, mise en scène de Noël Casale.

 

8280Personne n’étudie plus cette pièce, et le célèbre  conflit cornélien est passé aux oubliettes,  comme le mot  bachot pour baccalauréat. À l’exception de Brigitte Jaques-Wajeman, très peu de metteurs en scène osent s’attaquer –c’est bien le mot- à Corneille. On les comprend : sa langue, à l’aube du classicisme, est difficile, pleine de références. Qu’importe : si l’on veut vraiment jouer ce grand auteur politique, il faut la travailler, la mâcher, la comprendre jusqu’à la faire entendre à un public non prévenu. Si l’acteur sait ce qu’il dit, le spectateur l’entendra, au-delà des mots. L’effort en vaut la peine : Corneille est notre plus grand dramaturge politique.
C’est particulièrement vrai de Cinna. Le vrai titre ne devrait-il pas être Auguste? C’est en effet autour de lui que se situe l’affaire, c’est lui qui décide de la mener et qui retourne ceux qui s’étaient conjurés contre lui, c’est lui qui médite sérieusement sur la vanité de l’ambition et du pouvoir.
Mais non, Corneille a préféré le titre Cinna. Peut-être parce qu’il incarne plus que tout autre, plus qu’Emilie, la passionnée de vengeance, plus que Maxime le traître repenti, le  conflit cornélien  : pour venger la mort du père d’Emilie, et  pour  la conquérir, il lui faut tuer l’ennemi de sa famille devenu son bienfaiteur.
Octave est devenu Auguste, et  le sanglant conquérant efface les ardoises avec générosité et instaure la paix. Mais ces jeunes gens ne veulent pas de la paix, ils en restent à la vengeance… Enfin, Cinna en voudrait bien, mais ce serait perdre Emilie. Nous les voyons faire assaut de sacrifice et s’évader dans la tentation du suicide.

Ça pourrait être très beau. Olivier Bonnefoy donne aux scènes d’Auguste toute leur richesse, leur profondeur politique et humaine. Mais on a plus de mal à écouter les jeunes gens. Bon, on sait bien que la passion n’est pas belle à voir, qu’elle prend aux tripes, mais trop de tripes font qu’on n’y croit plus, qu’on n’entend pas et que le fameux conflit qui traverse également Emilie devient une ennuyeuse rhétorique du pour et du contre. Antonia Buresi avait tout pour faire une belle Emilie, et pourtant… ça ne passe pas. Un beau moment : celui où Livie (Edith Mérieau) souffle la clémence à son macho d’époux et empereur, qui d’abord l’envoie, disons, sur les roses : mais ce que femme veut… Là, on croit à l’amour, dont Corneille sait très bien parler, si on l’écoute vraiment.
Passons sur un dispositif peu commode et  cette mise en scène est gâchée par un  final, bêtement ironique et potache. Noël Casale a choisi cette pièce parce qu’elle parle du meurtre, et du rêve d’une paix possible. Il vit en Corse –ce pourrait être à Marseille, ou ailleurs-, il sait de quoi il parle. Mais faut-il démolir la pièce quand on n’aime pas sa « fin heureuse » ? Voilà un spectacle intéressant mais intéressant, hélas ! par moments. On l’aurait voulu vraiment beau, éclairant. Ce sera pour une autre fois…

 

Christine Friedel

 

Théâtre de l’Echangeur, 01 43 62 71 20, jusqu’au 31 janvier. Les 5 et 6 février à l’espace Diamant à Ajaccio.

Corps étrangers

Corps étrangers de Stéphanie Marchais, mise en scène de Thibault Rossigneux.

 La scène exhale une odeur d’humus et de cave. Dans l’ombre,  se profile une silhouette difforme. O’Weill, un géant « né tordu », erre dans le brouillard des bas quartiers de la ville. A ses trousses, Hunter, un médecin fasciné par l’immense squelette qu’il devine sous la peau de sa proie : «Un homme de cette taille est contraire à la nature et il est de mon devoir d’en alerter mes contemporains. De les informer sur le dedans du monstre. ».
Il veut savoir s’il a une âme,  et si elle est semblable aux autres. Son obsession le taraude et il soudoie Mac Moose, voisin d’O’ Weill, herboriste, pourvoyeur de cadavres pour la science,  afin d’en obtenir le corps au plus vite.Dans la langue charnue, rythmée et poétique qui est la sienne, Stéphanie Marchais propose une fable qui rejoint les figures des contes populaires. L’ogre n’est pas celui qu’on croit : le bon géant joue aux cailloux blancs avec la  fille de Hunter,  tandis que les monstres de la cupidité et de la folie complotent à sa perte.
Dans cette atmosphère crépusculaire, il semble tout naturel que le fantôme de sa fille, morte à dix ans,  hante, en chair et en os, le cœur du géant. Ou qu’un robot humanoïde parlant, qu’on utilise pour la formation des médecins, joue le rôle d’une prostituée rousse.
Thibault Rossigneux se plaît depuis des années à faire se croiser le champ du théâtre et celui des sciences, en favorisant des rencontres entre chercheurs et auteurs de théâtre. Avec cette pièce, il trouve de quoi nourrir son intérêt pour les deux disciplines. Il met en images l’univers étrange et fantastique de Stéphanie Marchais en le situant à mi-chemin entre une Angleterre à la Dickens et une sophistication ultra-contemporaine. Le polyester et une machinerie complexe cohabitent avec la tourbe du plateau, les branchages et les têtes d’animaux naturalisés de Mac Mosse, ou le vieux Traité d’anatomie de Hunter, créant un décalage onirique.
Les acteurs s’emparent avec justesse et jubilation de ce texte foisonnant : Philippe Girard, contrefait et juché sur des cothurnes de dix-huit cms, incarne avec poésie un personnage lunaire et pétri de chagrin mais sagement résigné. Daniel Blanchard est une sorte de sorcier mercenaire qui se vend au plus offrant. Mais on regrette le jeu  trop outré de Laurent Charpentier en Hunter.
Malgré quelques longueurs, il faut voir Corps étrangers pour l’originalité de la mise en scène et de l’écriture.

 Mireille Davidovici

 Théâtre de la Tempête, Cartoucherie T : 01 43 28 36 36  jusqu’au 16 février www. la tempête.fr ; le 18 mars à la Faïencerie de Creil 60100 Creil  T. 03 44 24 95 70  et le 20 mai aux ATP des Vosges, à Epinal T. 03 29 82 00 25 www.le sensdesmots.eu 

 Corps étrangers  est publié par Quartett Editions, 2010.

 

 

La Chinoise 2013

La Chinoise 2013, texte et mise en scène de Michel Deutsch.

Ça commence par un film en noir et blanc : Guillaume (Julien Tsongas) et Perdican (Pascal Sangla) débouchent une bouteille pour  fêter la naissance de la communauté qu’ils vont créer. L’un dit: «On s’embrasse?» Leur accolade reviendra tout au long du spectacle, comme un leitmotiv à la Godard,  ainsi que le : «Je t’expliquerai tout», de Véronique (Géraldine Dupla), qui les invite dans l’appartement de son oncle, à Genève. Ils y sont rejoints par une jeune femme Camille (Zoé Schellenberg) qui cristallise les désirs des uns et des autres.
Ils disposent d’une domestique, Antigone (Lola Riccaboni): une sans-papiers grecque, surdiplômée qui se gausse de leurs élucubrations  post-révolutionnaires et ne cesse de réclamer son salaire… dont elle ne verra jamais la couleur.
Du film de Jean-Luc Godard,  restent le titre, et  le scénario: une communauté de jeunes gens,  installés le temps des vacances,  dans un appartement, où ils refont le monde et où ils sont occupés à des chassés-croisés amoureux. Citations et références abondent: on retrouve le rouge et le bleu pétants du film, les adresses des personnages qui déclinent leur identité face caméra, les formules à l’emporte-pièce…
Mais le monde a changé. Le marxisme-léninisme a fait long feu, et le petit livre rouge est voué aux gémonies : la révolution culturelle et le grand bond en avant furent des entreprises criminelles aux  36 millions de morts ! Que faire, quand la société libérale et la fièvre financière sont aux commandes, et que les utopies sont en berne? S’indigner ? Relire Marx, Debord, Bossuet ? Les mots peuvent-ils avoir la même fonction que les balles ? Enlever un banquier ? Repeindre le monde alors que l’art est mort ?
La Chinoise 2013 est d’abord un hommage à Jean-Luc Godard et Michel Deutsch s’est aussi amusé à convoquer les tubes des années 68, retranscrits par Pascal Sangla: Michel Polnareff, Lou Reed, Jacques Dutronc. Il recycle de vieux slogans, et des mots d’un autre siècle comme «le peuple». Véronique rencontre dans un train un philosophe (Michel Voïta). Il lui confie que « le peuple » était déjà introuvable en 68. Pas de nostalgie cependant. Comme Godard, Deutsch tente de capter l’air du temps et  les interrogations de notre époque, et mêle habilement théâtre, projections, musiques, chansons, introduisant ainsi distance et humour.
Malgré la présence d’acteurs tout à fait justes et une mise en scène rigoureuse, le spectacle peine à trouver sa cohérence et son centre de gravité. L’auteur a sans doute greffé des  situations d’aujourd’hui dans la peau de protagonistes dont les comportements et l’univers semblent dater d’hier…

 Mireille Davidovici

MC 93 Bobigny T: 01 41 60 72 72, jusqu’au 21 janvier www.MC93.COM

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La Chinoise 2013, texte et mise en scène de Michel Deutsch

 

lachinoiseEn 67, Jean-Luc Godard obtient le Prix spécial du jury au festival de Cannes, pour son film La Chinoise, sur fond de marxisme-léninisme et de révolution culturelle, d’engagement politique et d’annonce d’un mai 68 devenu page d’histoire.
Aujourd’hui, Michel Deutsch marche dans les traces de cet ange Gabriel, mettant en écriture et en scène cinq jeunes gens dans le contexte d’aujourd’hui : Véronique, Guillaume, Perdican, Camille et Antigone, interprétés par Géraldine Dupla, Lola Riccaboni, Pascal Sangla, Julien Tsongas et Zoé Schellenberg, à la manière du Je me souviens, de Perec.

Comme eux, ils manient le discours politique dans un appartement bourgeois prêté, où ils expérimentent d’autres modes de sociabilité et font l’état des lieux et l’inventaire des illusions perdues. Tout y est : l’amour, les armes, les assassinats politiques sous les régimes nazis et soviétiques, les meurtres sous Mao Tse Dong, le système libéral et le projet d’assassinat d’un banquier, revus et corrigés par les Sermons de Bossuet et La Société du spectacle de Debord dont l’essai politique, critique des sociétés post-industrielles, date aussi de 67.
« Le monde va mal… Je t’expliquerai tout… Une histoire compliquée »…. Les dialogues se déroulent à huis-clos, et notre club des cinq parle d’actualité politique et sociale : démantèlement de l’état providence et du service public, dix-neuf millions de chômeurs dont 50% de jeunes, expulsions, fanatismes, envahissement des écrans, tablettes et téléphones…
L’apprentissage de la communauté fait retomber les utopies et a un petit air de Jules et Jim à la Truffaut dans les aller-retours amoureux sur fond des tubes de l’époque, accompagnés des interventions au piano de Pascal Sangla, dans un décor rétro, canapé et robe rouge, références au petit livre du même nom. On y croise ainsi Polnareff et Dutronc, et le fantôme de Jean-Pierre Léaud, le Guillaume de Godard. Et sur écran, de loin en loin, chaque personnage filmé se présente et se raconte : « Je suis née à Athènes en 89, j’ai fait des études de sociologie »… dit Antigone, déléguée aux tâches ménagères au sein du groupe ; chacun parle de sa rencontre avec le théâtre, discours dans le discours et de la nécessité de « repeindre le monde ».

Nous redoutions le pire en arrivant, Michel Deutsch – qui signe aussi la scénographie, avec Philippe Maeder réalisateur des images vidéo – s’en tire à bon compte dans son sauve qui peut hors-cadre, par la distance qu’il s’efforce de chercher et le sarcasme affleurant à certaines pages de sa mise en scène. Il ne sombre pas tout à fait dans la nostalgie des utopies ni dans la croyance de lendemains qui chantent, coup de chance-ligne de chance, les lendemains ne chantent guère. Je vous salue Godard !

 

Brigitte Rémer

 

MC 93 Bobigny, 9 Bd Lénine, jusqu’au 21 janvier, 01 41 60 72 72, www.mc93.com

Notre corps utopique

Notre corps utopique mise en scène du collectif F 71.

Une conférence radiophonique prononcée en 1966 par le philosophe Michel Foucault sert de support au spectacle. Le collectif F71 connaît bien les aspérités de ce penseur hybride, dont les œuvres majeures – L’Histoire de la sexualité, Les mots et les chosesSurveiller et punir et L’Histoire de la folie à l’âge classique -, ont ouvert d’immenses pistes de réflexion.
Les six comédiennes du collectif avaient déjà pétri ses textes, au cours d’une trilogie qui parlait dans Foucault 71 de l’engagement militant, dans La Prison des institutions disciplinaires, et dans Qui suis-je maintenant ? de sa passion pour les archives.
Sabrina Baldassarra, Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sara Louis, Lucie Nicolas et Lucie Valon prennent ici à bras le corps « le moutonnement indéfini des commentaires » et nous guide avec une liberté maîtrisée vers les interdits et le désir, l’ordre et le désordre, et le pouvoir des mots.
Le public est accueilli dans une ambiance de boîte de nuit, avec musique de fond et entraîneuses en robes de soirée. Au centre du plateau, se trouve un cabinet d’aisance ou de curiosité, qui se dépliera ensuite comme un paravent, lieu de rencontre pour mini-conférences dont on a du mal, au départ, à saisir les fragments.Echauffement des corps face au public et de manière appliquée, comme au gymnase, chacune invente ses figures, avec détermination et dérision, entre phobie et récurrence, morceau de charme et cours de sciences naturelles. « Le sentiment du corps s’acquiert par le miroir et par le cadavre » dit le philosophe.
Et l’une, dans son ressassement, dessine à la craie,  de manière compulsive, les contours des corps et objets qu’elle trouve sur son passage et couvre de graffitis, les portes, bancs, comptoir et chaises ; deux autres se badigeonnent de peinture bleue, sorte de tatouages, laissant leur empreinte, comme un langage, sur le papier blanc qu’elles ont tendu; une autre fait acte de création via ses encres et écritures, renvoyées sur un écran par rétroprojecteur. Chaque comédienne vaque, et les choses au fur et à mesure, prennent corps et sens.

COLLECTIF 71 - © Huma Rosentalski

COLLECTIF 71 – © Huma Rosentalski

 

Le texte se révèle, lentement, chacune le portant dans la disparité des auteurs qui accompagnent Foucault, – Michaux et Artaud, Deleuze, Guattari et Kafka -, et illustre son propos, tel que rapporté dans L’Ordre du discours : « Bien des textes majeurs se brouillent et disparaissent, et des commentaires parfois viennent prendre la place première ».
Et l’expérimentation se poursuit, par l’adresse à un vrai-faux public invité à prendre place sur le plateau ; ensemble, ils font naître une phrase des mots entremêlés qu’ils ont écrits sur une partie de leur corps.
A la fois ludique et  intime, universel et utopique, cette exploration du corps déplace les interrogations et s’écrit par le dessin et la peinture, le papier froissé et les écritures, et par le corps même, dans une sorte de choralité non tempérée, où Foucault plane comme un aigle et où l’on retrouve ses «trois grands systèmes d’exclusion qui frappent le discours, la parole interdite, le partage de la folie et la volonté de vérité ».

 

Brigitte Rémer

 
Théâtre de la Bastille, à 19h30, jusqu’au 22 janvier T : 01-43-57-42-14. www.theatre-bastille.com 

Le Canard sauvage

 

Le Canard sauvage, d’Henrik Ibsen, mise en scène de  Stéphane Braunschweig

 

643695_0203249100271_web_teteVoici une pièce vraiment tirée par les cheveux, ou par les plumes. Dans un monde parfaitement réaliste, tant en ce qui concerne la psychologie des personnages que les rapports sociaux –on ne parlera pas ici de naturalisme-, Ibsen introduit une métaphore  onirique, à plusieurs niveaux.
La famille Ekdal est installée sous les toits, avec son atelier de photographie et de retouches, et un vaste grenier où le grand-père a reconstitué un petit bout de forêt, avec une basse-cour en guise de gibier. Et un canard sauvage à demi blessé offert à la petite Hedwig. Tout irait presque bien sans la découverte de l’aide envahissante du riche Werle.
Pourquoi donne-t-il du travail au peu productif grand-père ? Pourquoi et  comment a-t-il marié le jeune Ekdal à son ancienne servante ? Pourquoi leur a-t-il procuré ce travail –facile- de photographe ? Quels replâtrages, là-dessous ? Il faut que Gregers, le fils Werle, revienne de son usine lointaine poser la question, pour que s’enclenche au nom de la vérité le mécanisme fatal. La légende veut que le canard sauvage blessé plonge dans les eaux et s’accroche aux algues du fond pour être sûr de ne pas remonter…
Voici donc le fils de famille interrogeant son ancien condisciple moins favorisé sur sa jolie famille et sur les surprenants coups de pouce donnés par son propre père. Naturellement, quand on soulève les pierres, on trouve dessous des larves peu ragoûtantes. Et, au nom de quoi, ce grand ménage moral ? Au nom des espérances que Hajlmar Ekdal, inventeur paresseux, génie à venir (peut-être) a données à Gregers Werle. Au nom de la Vérité, de la Pureté, de l’Idéal. Gina, l’épouse, et Relling, le médecin, savent ce que valent ces grands mots, et leur pouvoir destructeur. Mais la machine est en route, et rien ne peut l’arrêter.
Ibsen déplie soigneusement les tenants et aboutissants de cette lutte sans merci, et expose ici un pessimisme radical: pour lui, les hommes moyens et paresseux comme Hjalmar Ekdal sont incapables de trouver une troisième voie entre la compromission et l’idéal. Et les êtres d’amour comme la petite Hedwig non plus : petit canard blessé, elle ne peut survivre au désamour de son père adoré. Il faudrait avoir le courage du mensonge. Seuls « tiennent » ceux qui vivent dans l’illusion, comme le grand-père   (Charlie Nelson) ou le voisin théologien alcoolique (Thierry Paret), ou dans une totale désillusion, comme Gina et le docteur. Encore une fois, on voit Ibsen engager ce que Witkiewicz appellera plus tard le « combat des cerveaux » : la puissante image d’un père cynique et jouisseur écrase le fils qui a son tour broiera son mai, qui lui-même brisera sa fille…
Claude Duparfait incarne droit comme flèche l’ange mortel de l’idéal. Idéal, ou méchanceté, ou jalousie féroce ? Ce sera au public d’apporter la nuance. Les autres acteurs sont justes : Rodolphe Congé fait passer avec assurance la position fausse de celui qui se ment à lui-même, à qui la vie réussit à peu près sans qu’il puisse être très sûr de ses bases. Mentions spéciales à Suzanne Aubert (Hedwig) et à Chloé Rejon (Gina) pour leur interprétation toute en sensibilité pour la première, et toute en retenue,  pour la seconde, et à Christophe Brault, qui apporte une belle humanité, concrète, vivante, au rôle du médecin Relling. La mise en scène est heureusement aussi claire et directe que la pièce est compliquée et « tordue », éclairée par l’irruption poétique d’une nature inattendue dans ce grenier.
Le décor, construit comme l’envers d’un décor de cinéma, crée une nouvelle métaphore : qui dira de quel côté est le vrai ? La question ne vous quitte pas de tout le spectacle.

 Christine Friedel

 Théâtre National de la Colline, 01 44 62 52 52, jusqu’au 15 février

Je suis encore en vie

Je suis encore en vie, un spectacle de Jacques Allaire.

 

images-1Je suis encore en vie, un diptyque sur l’aliénation,  avec Les Damnés de la terre d’après l’œuvre de Frantz Fanon, création qu’on avait  pu voir en 2013 au Tarmac.
Je suis encore en vie s’attache particulièrement aux destins et exils des femmes fuyant les oppressions : guerres, régimes politiques, religions ou familles.
À l’origine du spectacle, s’imposent divers écrits féminins sur les maltraitances ou répudiations physiques ou symboliques subies : de la Vietnamienne Duong Thu Huong, la Rwandaise Esther Mujawayo, la Bangladaise Talima Nasreen, ou encore de la Franco-Algérienne Souâd Belhaddad.
 Mais l’inspiration vient d’abord du roman d’un écrivain franco-afghan, Atiq Rahimi, Singué sabour (Pierre de patience), prix Goncourt 2008,  écrit  à la mémoire de Nadia Anjuman, poétesse afghane sauvagement assassinée par son mari.
La mise en scène de Jacques Allaire  est comme la métaphore théâtrale de la «  pierre de patience », cette pierre magique que l’on pose devant soi pour y déverser ses malheurs, ses misères, et tout ce qu’on n’ose pas révéler aux autres. Comme une éponge, la pierre absorbe alors les confidences amères jusqu’à ce qu’elle éclate dans la délivrance. Sur le plateau,  une femme d’un pays de religion musulmane – interprétée par la comédienne Anissa Daoud, en robe longue écarlate et voile noir,  en attente de prière, veille son mari, joué par Jacques Allaire, étendu sur sa couche et sous assistance respiratoire. Aux musiques lancinantes et brumeuses, un peu trop systématiques dans leurs montées et descentes pathétiques, s’ajoutent des pleurs de bébé, des grondements de guerre et des bruits secs de déflagration qui dessinent un univers sonore de mal-être et d’effroi.
La femme, désespérément seule, dans une position de prière, le tasbih égrené à la main, est assise près de son homme gisant sur son lit de douleur. Elle ne semble guère davantage heureuse quand elle se penche sur le berceau de son enfant. Une silhouette de théâtre d’ombres, telle l’héroïne de Persépolis, le film inspiré de la b.d. autobiographique de la franco-iranienne Marjane Satrapi.
À quoi pense cette femme si connotée sociologiquement par sa confession ? Les spectateurs devinent par empathie ses incertitudes et son sentiment d’abandon. Parfois, tombe du ciel, comme par magie, un livre-  confidences littéraires ou poésie-  qu’elle lit avec un plaisir manifeste, une occasion pour elle d’ouvrir les ailes d’un imaginaire bridé. L’épouse a, au préalable, recouvert le visage de son mari pour qu’il ne sache rien, ni de ces transgressions cachées, ni de des ces interdits bafoués.
Et, comme en illustration d’une citation d’Artaud en exergue de Singué sabour : « Du corps par le corps avec le corps depuis le corps et jusqu’au corps », la représentation bascule soudainement de la passivité consentie de la femme, à une révolte absolue, activement physique. Pour plus d’aisance dans les mouvements, la femme se dévêt et s’approprie le corps inerte de son mari, le déplaçant laborieusement et le poussant de ses jambes et de ses pieds, le renversant sur le sol, l’éloignant ou bien le rapprochant à sa guise.
 Dans une violence déterminée et contrôlée – un solo chorégraphié- elle fait face à la difficulté de faire revivre ou mourir son compagnon. Enfin, elle dépose sur le lit, le  corps de cet homme inconscient.
Puis les événements basculent, et l’homme réveillé reprend les rênes ostensibles du foyer, prières et lectures du Coran dont le livre oscille sur une cordelette, à la place même du livre intime de sa femme. Pour elle, plus aucune liberté, mais les coups et une mort assurée sans la moindre grâce.
Tout cela est dit tragiquement,  et sans un mot.

Véronique Hotte

Le Tarmac 159 avenue Gambetta 75020, du 14 au 24 janvier , mardi, mercredi, vendredi 20h, jeudi 14h30 et 20h, samedi 16h. T: 01 43 64 80 80

Mort à Venise

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Mort à Venise d‘après Thomas Mann/Gustav Mahler, adaptation de Maja Zade et Thomas Ostermeier, chorégraphie de Mikel Aristegui, mise en scène de Thomas Ostermeier.  

 Thomas Mann, (1875-1955)  fit un voyage à Venise en 1911, dont il s’inspira pour écrire cette célèbre nouvelle qui fut publiée un an plus tard. Gustav von Aschenbach, écrivain autrichien, la cinquantaine, (on dirait maintenant soixante-cinq ans) séjourne à l’hôtel du Lido à Venise, où Tadzio, un très beau et très jeune polonais, le fascine. Il ne cesse de le suivre dans Venise. Mais, en proie à une grande tristesse, il mourra d’une épidémie de choléra et mourra sur la plage en le voyant.
La nouvelle a inspiré à Luchino Visconti un film (1971) devenu célèbre et sous-tendu par  la cinquième de Gustav Mahler, dont Thomas Mann appréciait beaucoup la musique. Curieusement, le compositeur était mort, une semaine avant le voyage à Venise de Thomas Mann. La Mort à Venise a aussi inspiré Benjamin Britten,  et le chorégraphe John Nemeyer.

  » C’est, dit le grand écrivain, dans un entretien qu’il avait accordé à Visconti, essentiellement une histoire de mort, mort considérée comme une force de séduction et d’immortalité, une histoire sur le désir de la mort. Cependant, le problème qui m’intéressait surtout était celui de l’ambiguïté de l’artiste, la tragédie de la maîtrise de son Art. La passion comme désordre et dégradation était le vrai sujet de ma fiction. Ce que je voulais raconter à l’origine, n’avait rien d’homosexuel ; c’était l’histoire du dernier amour de Goethe à soixante-dix ans, pour  Ulrike von Levetzow, une jeune fille de Marienbad: une histoire méchante, belle, grotesque, dérangeante qui est devenue La Mort à Venise. À cela s’est ajoutée l’expérience de ce voyage lyrique et personnel qui m’a décidé à pousser les choses à l’extrême en introduisant le thème de l’amour interdit. Le fait érotique est ici une aventure anti-bourgeoise, à la fois sensuelle et spirituelle. »
Thomas Ostermeier a été séduit par ce thème et il le dit avec tout le pessimisme qu’on lui connaît sur l’Allemagne d’aujourd’hui:  » La crise artistique qu’y traverse l’écrivain Aschenbach,  — venu se ressourcer à Venise et qui y mourra — me touche profondément. La crise artistique, c’est justement n’avoir plus le sentiment d’être en crise permanente, avoir trop de certitudes. Thomas Mann suggère qu’on peut être au sommet de son art et déjà mort ; que la mort est en nous plus tôt qu’on ne l’attend ».
Bref, les angoisses d’Ostermeier, cent  ans plus tard exactement- le spectacle date de 2012, rejoignent celles de Thomas Mann;  cette création, à mi-chemin entre le théâtre et la danse, se veut être une réflexion sur la mort, l’amour, le mal, et l’art  comme chez Thomas Mann, marqué par la grave maladie de sa femme et le suicide de sa sœur Carla, et par la menace de la prochaine guerre…

Thomas Ostermeier prend en effet prétexte, pour nous livrer sa vision à lui, de la célèbre nouvelle, et  en une heure seulement, avec ses acteurs de la Schaubühne dont il est le directeur,  comme dans une sorte de rêve éveillé. Le spectacle commence en fait avant même le début de la représentation,  dans un grand espace aux murs noirs et au sol brillant tout aussi noir; il y a juste un fauteuil, une petite table et quelques chaises; un récitant s’essaye à dire des  phrases du texte en français, un pianiste répète du Mahler, trois jeunes danseuses font des exercices d’assouplissement, un jeune homme joue quelques notes de guitare, pendant que,  dans le fond, on habille d’une robe noire, une très grosse dame, visiblement choisie pour son physique: » Il n’y a jamais de beauté sans laideur » dit Ostermeier. Cela tient à la fois d’une sorte de performance/happening où il ne se passe pas grand chose mais que l’on regarde quand même fasciné.
   Puis, dans une scénographie de son très fidèle Jan Pappelbaum, remarquable de précision et de beauté, un chanteur interprète sur un beau piano à  queue les Kindertotenlieder de Mahler, et bientôt un maître d’hôtel va mettre cinq couverts sur une grande table avec beaucoup de cérémonie pour  trois jeunes filles habillées de blanc aux longs cheveux noirs, Tadzio, leur jeune frère et  leur mère, la grosse dame en noir. Et un autre couvert pour Gustav von Aschenbach, qui chantera du Mahler.
C’est extrêmement raffiné: dans les  douces lumières rasantes du crépuscule, les gestes sont aussi lents que précis, et on entend de loin les jeunes filles pépier dans cette grande salle-à-manger aux hautes fenêtres,  dont les voilages tremblent sans cesse. Et les cinq membres de cette même famille, comme le vieux monsieur un peu plus loin, mangent la soupe puis un plat, servis, toujours avec beaucoup de cérémonie,  par le maître d’hôtel.  Il y a comme du Bob Wilson dans l’air…
Certaines images, captées par deux cadreurs sur le plateau s’affichent sur un grand écran vidéo dont Ostermeier aurait sans doute pu faire l’économie: on voit ainsi le ballet du maître d’hôtel et la rigoureuse disposition des assiettes et  couverts; cela peut faire penser à une installation très conceptuelle que ne renierait peut-être pas un artiste comme Joseph Kossuth.

  Puis, en quelques secondes tous les meubles et accessoires disparaissent, et sur le plateau nu, les trois jeunes filles, cette fois en robe longue noire, dansent sur la musique de Mahler,  tandis  que tombent des cintres, une pluie ininterrompue de longs filaments noirs. Elles quitteront ensuite leur robes, pour continuer à danser nues, en ombres, sur un fond de scène lumineux.  C’est un moment exceptionnel, très émouvant, et de toute beauté.
  Mais le spectacle qui ne dure pourtant qu’une heure, semble souvent un peu long et laisse sans doute un meilleur souvenir que sa vision; en effet, composé de petits morceaux:  chant, jeu, texte, etc.. il n’ a guère d’autre  unité que la musique, et a du mal à vraiment convaincre; même si on y retrouve  les principes des impeccables mises en scène d’Ostermeier, et ses remarquables interprètes: Josef Bierbichler, Leon Klose, Maximilian Ostermann, Martina Borroni, Marcela Giesche, Rosabel Huguet, Sabine Hollweck, Felix Römer et Mikel Aristegui…
Sans doute à cause d’une trop grande virtuosité, cette Mort à Venise fait trop penser à une sorte d’exercice de style,  en forme de déconstruction, qui a du mal à être  vraiment émouvant. Le public a applaudi poliment mais sans enthousiasme particulier! Bref, c’est dommage mais on a vu mieux de ce grand créateur!

  A voir? Oui, sans doute, mais seulement, si vous êtes un fan absolu d’Ostermeier, sinon vous risquez d’être déçu…  Il ne vous reste qu’à attendre Un Ennemi du peuple présenté en 2012 au festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog), qui est d’une toute autre envergure.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville jusqu’au 23 janvier, du mardi au samedi à 20h30  et le dimanche à 15h.   

http://www.dailymotion.com/video/xv2vmr

Putain D’Vie

Putain D’Vie d’après Les Soliloques du Pauvre et Le Coeur Populaire de Jehan Rictus, mise en scène de Didier Perrier.

rictusLes Déchargeurs accueillent un spectacle musical autour de Jehan Rictus, poète français qu’on ne croise  que trop rarement sur les plateaux.  Né en 1867, mort en 1933, il  s’illustre par une poésie du peuple, dans  une langue qui ne respecte rien, et  surtout pas Jésus qu’il fait revenir dans plusieurs de ses poèmes et chansons. Il avait  lui-même vécu quelque temps dans la rue, et  n’avait pas son pareil pour évoquer les pauvres gens… Il eut un beau succès dans les cabarets de Montmartre, où il  connut Guillaume Apollinaire et Max Jacob.
  L’Échappée, compagnie picarde, nous avait  plutôt habitués à des textes contemporains, (dernière création en date: Haute-Autriche de Franz-Xaver Kroetz, et Écoute un peu chanter la neige de Mariane Oestreicher-Jourdain.Putain D’Vie est une reprise, et  avec les mêmes trois comédiens, dont Chantal Laxenaire qui tient aussi l’accordéon.
C’est un bel enchaînement assez fluide de chansons interprétées correctement (sans plus) et de textes tous issus de deux ouvrages de Rictus. A part un petit creux dans le rythme au moment où chaque comédien interprète en parallèle une histoire différente un peu longue, on ne s’ennuie pas et on goûte  la langue si particulière de Rictus, que les comédiens doivent avoir bien en bouche pour ne pas « savonner »… On apprécie aussi son enracinement social et  révolutionnaire, troublant d’actualité et d’engagement. Quelque part entre San Antonio et Céline (certes, il y a de la marge !), Rictus nous fait rire parce qu’il ose tout mais nous glace aussi par moments, comme dans ce  poème  où une mère se rend sur la tombe de son fils qui a été guillotiné pour une sale affaire; elle raconte  comment, en plus de son chagrin, elle doit supporter d’être mise au ban de la société,  parce qu’elle a été la mère d’un mauvais garçon.

Les trois comédiens chanteurs au visage blanchi, évoluent dans un décor de caisses, et de guirlandes de lumières; on repère Thibaut Mahiet, toujours juste, qu’il incarne un enfant, ou un ouvrier. Chantal Laxenaire apporte de son  côté une belle respiration musicale et  a un  jeu tout à fait remarquable. Même si la mise en scène de Didier Perrier  n’a rien  de révolutionnaire, on passe malgré tout un excellent moment à la découverte  de ce grand poète des opprimés, fantôme du Paris en ce début du vingtième siècle.
Le spectacle finit sur une étonnante chanson qui distancie un peu l’affection qu’avait Rictus pour les ouvriers, Rictus qui, grâce à son succès, a fini sa vie plus proche des bourgeois ! En tout cas,  une belle occasion de faire connaissance avec un grand poète français, ou de le retrouver…

Julien Barsan

Théâtre des Déchargeurs du mardi au samedi à 19h30,  jusqu’au 8 février.

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