Stolypine et Tolstoi

Stolypine et Tolstoï d’Olga Mikhaïlova, mise en scène de Vladimir Mirzoev.

wpid-Photo-28-févr.-2014-1915.jpgLa pièce est inspirée par une correspondance privée entre Stolypine et Tolstoï. Dans un genre qui existe depuis quelque vingt ans à Moscou, le Théâtre Doc, socialement et politiquement engagé, emprunte des thèmes à la réalité et destinés à stimuler la conscience critique des spectateurs. Ce n’est pas une nouveauté absolue: il prolonge une tendance persistante la vie culturelle russe, comme le mouvement, dit de « littérature factuelle » dans les années vingt, ou le théâtre d’agit-prop… Mais, à la différence de ces formes qui étaient au service de l’idéologie communiste et obligatoire, le Théâtre Doc revendique son indépendance vis-à-vis du pouvoir. Pauvre, alternatif, il se joue dans de petites salles et s’adresse surtout à un public intellectuel, désireux de combattre les idées reçues. Fait remarquable: Vladimir Mirzoev, metteur en scène très reconnu et invité par les plus grandes scènes, a rejoint le Théâtre doc et donne maintenant plus la priorité dans son travail, à l’expression des idées qu’à la recherche d’innovations esthétiques, où il s’est pourtant illustré avec éclat.
Cette tournée en France de
Stolypine et Tolstoï a reçu l’aide du Ministère russe de la culture, et celle de l’Ambassade de Russie. Et grâce à l’initiative conjointe du magazine Affiche-Paris-Europe et de l’Association France-Oural qui l’a mis au programme des Journées du livre russe, organisées autour du Prix Russophonie destiné chaque année à couronner une traduction littéraire en français.
Malgré la distance historique, choisir de faire venir cette pièce était en effet pertinent: le conflit entre politique et morale représenté par Stolypine et Tolstoï, trouve encore aujourd’hui un écho en Russie, mais aussi en France et dans le monde. Même si la fonction du théâtre n’est sans doute pas de servir de tribune à des échanges d’idées contradictoires… dont nous sommes par ailleurs gavés, entre autres  par la télévision.
Les acteurs bien dirigés par Mirzoev sont excellents mais dommage! l’absence d’action dramatique et le déluge verbal de la pièce d’Olga Mikhaïlovna, trop mal construite et mal écrite, lassent vite le public. Le metteur en scène, malgré son habileté, s’est laissé submerger par cette « graphomanie », comme les a caractérisés, en privé, l’un des participants… Mais on ne saurait réduire le théâtre à sa dimension esthétique, et c’est sans doute la leçon à tirer de cette rencontre entre le public français et le Théâtre Doc qui appartient à un courant presque clandestin, échappant ainsi à la fois à la routine du répertoire, et au mercantilisme du spectacle russe d’entreprise. Expérience réussie: le théâtre peut être une distraction et un moyen d’avoir des moyens, mais il répond aussi aux besoins les plus urgents de la société civile.
On se souvient en effet du Théâtre de la Taganka vers 1970, et du rôle d’exutoire qu’il avait joué pour faire bouger les lignes d’un pays enfoncé dans la stagnation. Les acteurs, metteurs en scène, et scénographes qui continuent à faire vivre ce Théâtre Doc, méritent donc notre soutien: ils se mettent au service de la société, et perpétuent une tradition fondamentale de la culture russe qui, depuis Pouchkine, a été le seul contre-pouvoir capable d’endiguer, voire de renverser, les tendances mortifères d’un Etat autocratique qui renaît sans cesse de ses cendres…

Gérard Conio

Spectacle joué au Théâtre de l’Atalante du 12 au 14 février.

 


Archive pour février, 2014

Opéra@Theatre nô

Opéra@Theatre nô, Livietta et Tracollo, intermezzo de Jean-Baptiste Pergolèse et Actéon, opéra de chasse de Marc-Antoine Charpentier, mise en scène de Shugo Ikoh.

wpid-Photo-28-févr.-2014-1227.jpgC’est une sorte de pari que s’est lancé le jeune metteur en scène japonais en réunissant sur un même plateau des chanteurs d’opéra, des acteurs de théâtre nô et de kyogen, et des musiciens  jouant d’instruments occidentaux et d’une flûte de nô.
Pour monter deux œuvres de compositeurs français baroques, comme ce célèbre intermezzo de Pergolèse, mort à 26 ans en 1710, emporté par la tuberculose, et auteur d’œuvres religieuses non moins célèbres comme son Stabat mater et des messes. Et Actéon, petit opéra de chasse en six scènes, de Marc-Antoine Charpentier, mort presque en même temps que Pergolèse en 1704 mais après avoir vécu lui … 71 ans, donc presque l’exact contemporain de Louis XIV, et auteur d’une œuvre religieuse très importante, avec entre autres, ce Te Deum, redécouvert en 1953 et devenu… l’indicatif de l’Eurovision mais aussi de musiques pour les comédies-ballets de Molière, etc…
Sur scène, pour Livietta et Tracollo, le fameux et beau plateau carré du nô, avec un poteau de bois à chaque angle, un cyprès sur le côté et le pont par lequel entrent les acteurs. En fond de scène, un rideau peint représentant dans un vert un peu trop acide, un cyprès. Côté jardin, au pied de la scène, un claveciniste, une hautboiste, une violoncelliste et deux violonistes, et des chanteurs/acteurs vont interpréter cet intermezzo, devenue ensuite une œuvre à part entière, qui raconte en à peine une heure,comment la belle et jeune Livietta a décidé de se venger d’un certain Tracollo, un jeune truand qui a volé et sérieusement tabassé son frère.
Après un entracte, lui succède Aktéon, ce petit opéra de Charpentier qui met en scène la malheureuse aventure du chasseur Actéon qui va surprendre la belle déesse Diane quand elle prend son bain. Furieuse d’avoir été vue nue par Aktéon, Diane va le transformer sans état d’âme en cerf. Et le pauvre jeune homme se fera ensuite dévorer par ses chiens.
Shugo Ikoh a imaginé qu’il pouvait effectuer une fusion entre l’opéra baroque français et le nô japonais, et aussi avec cette petite forme comique qu’est le kyogen qui s’intercalait dans les très sérieux nô, comme l’intermezzo chez nous dans l’opéra séria. Il ajoute qu’il y a d’autres affinités intimes comme le nombre restreint d’interprètes ou le personnage de femme, ivre de colère que l’on retrouve aussi dans le nô qui a toujours passionné et
fasciné les gens de théâtre français. On connaît l’admiration sans bornes de Paul Claudel pour le nô, ses comédiens et pour Zeami (1363-1443), son fondateur qui fut à la fois acteur, auteur, compositeur, et théoricien et qu’il cite dans son Journal : « Oubliez le théâtre et regardez le Nô. Oubliez le Nô et regardez l’acteur. Oubliez l’acteur et regardez l’idée (le cœur, kokorô). Oubliez l’idée et alors vous comprendrez le Nô ».
De leur côté,
les artistes japonais ont depuis une trentaine d’années ont été très sensibles à nos compositeurs baroques.
Mais comparaison n’est pas toujours raison, et le système mis en place ici ne fonctionne pas vraiment: la rigueur absolue du plateau et le système hiératique de jeu très codé du nô japonais ne font pas forcément un mariage d’amour réussi avec les formes baroques d’un opéra français.
Même si tous les interprètes sont de très haut niveau, le spectacle fait le grand écart en hiératisme et fantaisie, et souffre d’une certaine sécheresse mais aussi d’un manque d’unité scénique.Le public a en effet le regard constamment sollicité par le remarquable petit orchestre qui n’est pas dans une fosse mais juste à côté de la scène côté jardin, par l’action scénique, par les chanteurs et le surtitrage… ce qui commence à faire beaucoup!
Pour Aktéon, par exemple, les quatre chanteurs sont installés en rang, à genoux, côté cour, lisant leur partition sur de petits pupitres, comme les musiciens de nô, tandis que les acteurs, vêtus de costumes magnifiques en soie, miment l’action, accompagnés par les musiciens.
Nos amis japonais semblaient aussi déconcertés que nous par cette fusion auto-proclamée, pas très convaincante. Reste le bonheur de voir évoluer ces acteurs de nô, venus autrefois au Festival d’Automne et qui, de façon invisible, ont sans doute beaucoup influencé le théâtre occidental. Mais aussi d’entendre des chanteurs japonais chanter en français du Marc-Antoine Charpentier…. Comment alors ne pas craquer devant ces intonations d’une fraîcheur absolue.A la fin, phénomène inhabituel chez nous mais courant au Japon, les musiciens sont sortis très dignes, suivis des acteurs; le public attendait mais ils ne sont pas revenus saluer…

Philippe du Vignal

Maison de la Culture du Japon à Paris; spectacle joué les 20, 21 et 22 février.

Bravo le MEDEF

 Bravo le MEDEF…

Le MEDEF qui ne doute jamais de rien, a enfin dévoilé ses plans qui étaient le dernier secret de Polichinelle: il  persiste et signe son opposition à l’assurance-chômage des intermittents du spectacle, alors que les négociations entre les partenaires sociaux vont reprendre  aujourd’hui…
  Pour saluer le grand courage et l’immense bonne volonté de l’organisation patronale, qui veut à tout prix abroger le régime spécifique des intermittents, (les fameuses annexes 8 des techniciens,  et 10 pour les artistes), et le faire rentrer dans le régime dit général, un cortège partira aujourd’hui, du Palais-Royal à 14 heures vers le siège du Medef, avenue Bosquet à Paris.
Certes, ce régime d’indemnisation est loin d’être parfait mais il a fait ses preuves; sans doute, il a ses tricheurs mais ce qu’on oublie de dire, pas plus que tous les autres… Et le MEDEF ne signale pas qu’il y a d’autres tricheurs, et des plus  institutionnels qui, eux, sans aucun état d’âme, continuent à recruter techniciens et artistes  avec un statut d’intermittent, dans le but évident  de contourner la loi et de faire des économies.

Ainsi, selon le rapport  de la mission sur l’intermittence, fin 2012, c’est à dire hier,  notait bien que les chaînes de de la télévision  publique comptaient 18 % de salariés non permanents, dont la moitié d’intermittents, alors qu’ils devraient être normalement embauchés en CDI. Même si chez Radio-France, l’intermittence concerne davantage les producteurs et animateurs, l’un d’entre eux avait travaillé pendant 37 ans ( sic) en CDD! France Télévisions, institution privée, emploie, elle,  400 permanents et 200 non permanents (en équivalent temps plein). 
Bref, le MEDEF et son Gattaz préféré feraient déjà bien de balayer devant leur porte, avant de proposer du n’importe quoi, c’est à dire, si on a bien compris, de faire payer l’Etat. Ils devraient se souvenir du fameux:  » Pas question de céder » que bien des hommes politiques: entre autres, Juppé, avec son plan de sauvegarde de la Sécu,  Balladur qui voulait abroger la loi Falloux, Devaquet qui prévoyait l’autonomie des universités et qui après la mort de Malek Oussekine exécuté par des policiers, dût démissionner, Ferry avec sa loi sur l’autonomie des universités vite enterrée, Villepin avec son CPE,  Fillon avec son projet sur les IUT, tous avaient cru bon de rouler les mécaniques face aux  grandes manifestations de rue… avant de reculer des deux pieds.
Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, comme Jean-Marc Ayrault, ont bien soutenu la position des syndicats mais quel est le poids d’un gouvernement en fin de course, à l’heure actuelle? La France est quand même un curieux pays: il faut à tout prix que les situations les plus invraisemblables – et celle-là dure depuis plus de dix ans!-  ne puissent se résoudre qu’une fois passée l’épreuve de la rue.
Victor Hugo disait:  » La rue est le cordon ombilical  qui relie l’individu à la société ». Aux dernières nouvelles, le sieur Gattaz, lui aussi, aurait mieux fait de se taire:
toute honte bue, il a déjà commencé à reculer!
Mais restons vigilants.

Philippe du Vignal

Nous avons reçu cette lettre de Bernard Bloch, comédien et metteur en scène,  où il résume clairement la situation actuelle.

Ph. du V.

Intermittents du spectacle, pourquoi ?  Qui sont-ils ?  Servent-ils à quelque chose ?

Etre “intermittent du spectacle” n’est ni un métier ni un statut. C’est un régime d’indemnisation-chômage spécifique, créé en 1936.Un tiers des salariés du secteur ne sont pas intermittents mais travaillent dans le cadre du régime général, en CDI ou en CDD. Les intermittents du spectacle sont des travailleurs, artistiques, techniques et administratifs. Leur travail salarié est discontinu. Comme celui des gens travaillant  en CDD, les intérimaires, les stagiaires, les travailleurs à temps partiel.
En réalité, la plupart des intermittents travaillent constamment, mais seules leurs périodes de salariat sont discontinues :
1) Soit, pour la très grande majorité d’entre eux, parce qu’une importante partie de leur travail est souterrain : une danseuse s’entraîne quotidiennement sans être payée ; un comédien travaille son texte chez lui sans être payé ; un metteur en scène de théâtre ou de cinéma réunit une distribution, conçoit une scénographie, recherche des financements pendant des mois, parfois des années, pour une création qui verra le jour longtemps après le début de son travail. Mais il ne sera payé qu’au moment de la création….
2) Soit parce qu’ils travaillent dans des entreprises audiovisuelles ou ‘événementielles’ qui auraient les moyens de les payer normalement pour la vraie durée du travail, mais qui, pour « optimiser leurs profits », ‘abusent’ des  modalités spécifiques d’indemnisation des intermittents.
3) Soit parce qu’ils travaillent pour des associations peu argentées qui n’ont pas les moyens de payer chaque jour travaillé et qui utilisent, elles aussi, ces modalités spécifiques d’indemnisation des intermittents,  sans lesquelles elles ne pourraient tout simplement pas exister. C’est le cas de la plupart des compagnies artistiques ainsi que d’un certain nombre de théâtres indépendants reconnus et soutenus par les pouvoirs publics pour la qualité de leur travail, leur indépendance et le faible coût de leurs productions.
Si ces structures devenaient elles aussi des institutions d’État, si le régime de l’intermittence dépendait de l’État,  et non de la solidarité interprofessionnelle, ces compagnies et ces artistes perdraient l’indépendance et la singularité qui font leur raison d’être.
4) Les intermittents du spectacle, sauf quelques stars, ont des revenus (salaire+indemnités) modérés ou faibles : le salaire annuel médian des intermittents, indemnités comprises (artistes et techniciens), est de 8503 € (4869 € pour les seuls artistes !). Et encore, la moitié d’entre eux (comme la moitié des chômeurs) ne bénéficient pas d’indemnisation ! Sont-ce là des privilégiés ?
Les intermittents du spectacle servent-ils à quelque chose ?
1) Les ‘intermittents’ font vivre des pans entiers de l’économie nationale qui sinon s’écrouleraient (tous les théâtres et les cinémas, des orchestres, les parcs d’attractions, voire la télévision) ou qui seraient mis en difficulté (tout le secteur touristique et commercial qui bénéficie grassement des activités culturelles et, notamment, festivalières). Sur cette question économique, les chiffres avancés par les détracteurs des intermittents pour faire valoir qu’ils sont coûteux, parasitaires et privilégiés, sont mensongers et insultants. Selon un récent audit indépendant et officiel, le secteur culturel représente en effet plus de 3% du PIB et emploie plus de salariés que l’automobile et autant que l’agro-alimentaire.
2) Les intermittents travaillent -comme d’autres artistes non intermittents (plasticiens par exemple)- à essayer de rendre accessible une denrée (l’art) qui n’est pas un luxe de nantis, ni d’intellectuels, mais qui est –consciemment ou non- absolument essentiel à la vie de toutes les femmes et de tous les hommes, comme c’est le cas depuis la nuit de Lascaux. L’art est un regard neuf sur le réel. Il permet de le transformer, et seuls, ceux qui considèrent que le monde est paradisiaque, ne ressentent pas le besoin de la transformer.
3) En ces temps de révolution numérique, de limitation des ressources naturelles et d’émergence légitime des économies du Sud, l’intermittence peut constituer un laboratoire très utile pour élaborer un nouveau mode de gestion du travail et du chômage que l’évolution de la société rendra bientôt obligatoire pour tous les travailleurs, dans tous les secteurs économiques.
Le « travail invisible » de conception, de réflexion et d’enrichissement culturel occupera bientôt plus de temps que le travail salarié à l’ancienne. Le CDI à vie dans la même entreprise, voire dans la même branche, devient de plus en plus rare et, ce qui est aujourd’hui considéré comme une menace, pourra alors devenir une chance qui laissera à tous les travailleurs plus de temps pour s’émanciper.

  Là encore, les 10% de privilégiés qui accaparent 90% des revenus ont tout intérêt à empêcher cette émancipation qui conduirait immanquablement à la remise en cause de leurs privilèges.

Bernard Bloch

Nous avons reçu aussi ce message:
Le Point réalise un sondage super démago « pour ou contre la  proposition du Medef d’en finir avec les intermittents »! Pour voter contre, il suffit de  cliquer sur le lien et de cocher « non »;  ça prend 2 secondes! Merci d’agir contre cette propagande!!!!
Christian Maillard

 http://www.lepoint.fr/sondages-oui-non/etes-vous-favorable-a-la-proposition-du-medef-d-en-finir-avec-le-regime-des-intermittents-du-spectacle-16-02-2014-1792218_1923.php

 

Flamenco Hoy

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Flamenco Hoy de Carlos Saura, chorégraphie de Rafael Estévez et Valeriano Panos, musique de Chano Dominguez et Antonio Rey.

Le grand maître de la guitare flamenco, Paco de Lucia vient de disparaître. Il avait uni la tradition à, notamment la musique indienne, la salsa, la bossa nova et la musique arabe. La veille de sa mort, à La Maenstrenza de Séville, tout près du Guadalquivir qu’il aimait tant, était donné Flamenco Hoy, mis en scène par Carlos Saura, avec un flamenco vivant avec de nouvelles générations d’interprètes. C’est un spectacle assumé et revendiqué sur le flamenco en résonance avec notre époque et avec toutes les influences qu’il a intégrées au fil du temps.Paco de Lucia avait ajouté à l’instrumentation flamenca, dans les années 1970, le cajon, cet instrument de percussion en forme de boîte qui vient du Pérou et dont joue aujourd’hui José Cordoba pour ce spectacle revigorant dont la musique e a été composée par le pianiste et jazzman Chano Dominguez, absent du plateau.Mais à côté de la guitare virtuose d’Antonio Rey qui égrène ses respirations amples ou saccadées, alternant violence, colère et douceur plaintive, le public a rendez-vous aussi avec piano, violoncelle, flûte traversière et saxo (Javier Galiana, Ernesto Aurignac, Martin Mélendez).Cette rencontre musicale, vocale et chorégraphique entre flamenco traditionnel et influences « autres », a lieu. De l’avis de Carlos Saura, ont aussi participé au renouveau de ce genre musical et vocal, comme la musique arabe, les lamentations juives, les rythmes africains, et ce souffle particulier du peuple gitan qui un jour, depuis l’Inde lointaine, s’est mêlé au peuple andalou, sans oublier les rythmes aller-retour entre Europe, Cuba et Amérique latine, et l’influence généreuse du jazz enfin.Avec la voix profonde, rocailleuse et douloureuse des chanteurs, Sandra Carrasco, Blas Cordoba et Israel Fernandez, et avec la chorégraphie des solistes: Rafael Estévez et Valeriano Panos, Ana Morales et Rosana Romero et l’ensemble des danseurs, Flamenco Hoy donne à entendre les trois chants fondamentaux du flamenco : les tonas, la siguiriya et la solea qui expriment l’amour, la passion, la famille et la mort.La siguiriya recèle toute la tragédie humaine, la solitude et le désespoir existentiel, face au drame de la vie et à la mort, un chant qui vient du plus profond de l’âme. La solea, mère de tous les chants, est un sommet de grâce et d’harmonie de la danse flamenca féminine.On écoute encore des sevillanas, des fandangos, des bulerias, des zambas, des alegrias …, des chants vifs jouant sur la répétition et la variation de quelques vers. À ce répertoire et à toutes ces nuances que les voix et les corps du flamenco expriment, s’ajoutent encore le jeu extraordinaire des palmas – ces doigts que l’on frappe en rythme sur la paume de la main opposée, des pitos ( claquements de doigts ) et des zapateados (claquements des pointes et des talons sur le sol) qui accentuent l’intensité rythmique des corps en tension.Le spectacle peut à peine se décrire, tant la force de vie qui émane des voix, des chants et de la musique est puissante, à la fois incontrôlable… et très contrôlée. Et tant les corps en majesté dégagent une énergie furieuse qui rivalise avec une exigence toujours soutenue. Bustes altiers, tête renversée et comme tournée vers le ciel qu’elle provoque, et corps souples qui tournent sur eux-mêmes, se renversant, tournoyant et se redressant aussitôt. Les bras s’élèvent au-dessus des têtes et les mains tournent et s’envolent : l’être est pleinement lui-même, fier d’avoir atteint sa vérité, levant le regard toujours plus haut au-dessus de lui-même et de ses souffrances, fort de sa foi dans l’art et dans l’existence.Un moment de vie, de voix, de musique et de danse d’une rare intensité.

Véronique Hotte

Spectacle vu le 25 février 2014 à La Maestranza de Séville.

 

Le Théâtre Obraztsov à Moscou

Le Théâtre Obraztsov à Moscou wpid-Photo-28-sept.-2013-1641

Le Théâtre Obraztsov à Moscou.

En 1950, Sergueï Obraztsov terminait son livre Ma profession, par ses mots: «A propos de la place de l’art de la Marionnette au sein des autres formes de l’art théâtral, je pense que cet art est spécial, à part, mais que c’est un élément des plus puissants et des plus actifs du théâtre ».Toute sa vie depuis sa naissance en 1901 jusqu’à sa mort en 1992, Sergueï Obraztsov a été un digne représentant de cet art, et son théâtre qui perpétue aujourd’hui son esprit, reste une référence à Moscou, comme dans toute la Russie.
Très actif, il y a trois cent employés dont cinquante six comédiens, et possède
à son répertoire vingt-neuf pièces pour enfants et pour adultes; il a bien compris que c’est par l’éducation à la magie de la scène dès le plus jeune âge que l’on donne ce fameux goût du théâtre aux autres. Et, souvent, dans une même journée, trois ou quatre spectacles sont jouées à la fois dans la petite salle, dans la grande salle historique en bois protégée par la présence photographique des fondateurs du lieu, ou dans le musée de la marionnette au rez-de-chaussée qui possède des trésors de l’histoire de la marionnette.Cette institution a toujours été ouverte sur l’étranger, et Sergueï Obraztsov a fait des tournées dans 90 villes hors de l’Union Soviétique, en particulier avec son fameux Concert Insolite créé en 1946.
Aujourd’hui, le théâtre Obraztsov accueille un festival international de marionnettes tous les deux ans. Il est aussi ouvert aux nouvelles expressions de l’art de la marionnette : aidé par l’Institut Français à Moscou, il collabore actuellement avec Eric de Sarria, comédien de la compagnie Philippe Genty, qui, avec succès, a adapté Le Nez de Nicolas Gogol pour comédiens et marionnettes. Le spectacle sera bientôt présenté à la compétition des Masques d’Or  à Moscou.
Sergueï Obraztsov disait: «L’écrivain, l’architecte, le peintre, le sculpteur vivent dans leur œuvre plus longtemps qu’ils ne vivent réellement eux-mêmes. L’artiste de théâtre ne connait rien de pareil, il ne vit pas pour l’avenir. Il vit pour un moment donné ».
Il se trompait sans doute! En effet, à voir le regard des enfants qui sortent du théâtre Obraztsov, on se rend compte à quel point les images créées vont rester  imprimées longtemps dans leur mémoire…

Jean Couturier

www.puppet.ru

 

Marguerite et moi Duras

Fabienne Boueroux

Fabienne Boueroux

Marguerite et moi,  mise en scène  de Fatima Soualhia Manet et Christophe Casamance.

Marguerite Duras aurait eu cent ans en 2014, d’où le grand nombre de reprises de pièces d’elle, ou de spectacles autour d’elle (voir Le Théâtre du Blog).  Marguerite et moi, rassemble des textes d’entretiens télé et radio et  quelques extraits de son œuvre, où elle nous propose sa façon de penser, de voir le monde  avec  des thèmes aussi différents que la cuisine, le rire, la politique, les hommes et les femmes…
Fatima Soualhia Manet incarne  Marguerite Duras face à un journaliste discret  et  la plupart du temps, hors du plateau. Duras se laisse aller, mais s’écoute aussi parfois parler, jouant habilement de son personnage et sachant bien qu’elle sera écoutée ou lue. « Toujours saisie sur le vif, cette parole pleine de férocité, de roublardise et de drôlerie donne à voir des prises de position nettement tranchées »? dit Fatima Soualhia Manet. C‘est tout à fait ça: une sagacité de tous les instants.
Bien sûr, c’est Duras mais c’est parfois tout simplement du bon sens, des choses qui pourraient être entendues dans la bouche de n’importe qui. Mais souvent, c’est quand même très fin, très engagé et habilement exprimé…  Quand, parfois, elle répond parfois à des questions que seuls certains journalistes (malins) sont capables de poser comme, par  exemple la différence entre l’homme et la femme, elle développe une théorie intéressante sur la féminité, en évacuant la maternité pour parler de sorcellerie.
La question de l’enfance revient aussi très souvent, au début du spectacle,  comme un faux exotisme sur lequel
elle en a assez d’être interrogée, et, à la fin, comme d’un souvenir ému, lointain. La question politique est aussi très présente, avec des termes et des engagements qui représentent bien une époque avec  le communisme stalinien, la logique de parti, la nécessité d’être « de gauche », l’idéologie...
  Ce découpage nous permet de mieux fixer Duras dans son temps, et la mise en scène alterne intelligemment des détails, voire des anecdotes et des points de vue forts, parfois douloureux comme son rapport à l’alcool qui l’a amené à se détruire et presque à aimer ça. Fatima Soulhia Manet produit un travail d’acteur impressionnant, d’une grande minutie, dans la ressemblance mais jamais dans l’imitation.
La période couverte dure environ vingt ans et on voit bien Duras évoluer. Quelques détails nous y aident: la tenue bien sûr mais aussi les cigarettes, qui changent de marque au fil des années, le fameux camion, « personnage » de  son film. Et l’actrice-caméléon propose donc plusieurs visages de Duras, une évolution en trois temps qui est  saisissante.
Les quelques interventions du journaliste permettent de bien rythmer le jeu, d’offrir des pauses et
aussi de préparer de beaux monologues. Une vidéo occupe aussi le fond de scène pour quelques minutes, mêlant Fatima Soulhia Manet et Duras elle-même. Pas vraiment indispensable, elle nous permet cependant une respiration  poétique par l’image, alors que ce sont plutôt les mots qui fusent.
Après cette heure passée avec une Marguerite Duras plus sincère que nature, mais plus cabotine aussi, on se dit qu’il n’y a guère d’écrivain  aujourd’hui qui supporterait la comparaison…

Julien Barsan

Théâtre de Belleville, du mardi au samedi 19h15, et le dimanche à 20h30.

Savannah bay

Savannah Bay de Marguerite Duras, mise en scène de Didier Bezace

Emmanuelle Riva, à quatre-vingt-six ans, revient sur scène après des années d’absence, et après joué dans Amour (2012), un grand film de Michael Haneke. Trente ans ont passé depuis  Savannah Bay interprété par le couple mythique Madeleine Renaud-Bulle Ogier. Mais l’importance du sous-texte est toujours là, dans ce dialogue entre une actrice âgée et une jeune femme avec qui elle essaie, avec difficulté, de se ressouvenir. Au bord du grand âge, au bord de la disparition  -de la mémoire et de la vie- Emmanuelle Riva assise sur un praticable, au centre d’un sobre dispositif blanc se déplace peu. C’est la légère Anne Consigny qui bouge.

Le mouvement palpite en Emmanuelle Riva, dans le frémissement qu’elle insuffle aux mots à un rythme hésitant; ses doigts fragiles font vibrer l’espace et ses yeux sont attentifs à la moindre chose. Performance immobile et versatile. Elle danse au bord du gouffre : pendant une heure, funambule sur le texte de Marguerite Duras, elle nous tient en haleine et nous fait respirer plus vite, plus haut. Et un autre fil renforce l’émotion théâtrale, celui qui relie les deux femmes, la plus âgée et la plus jeune. Anne Consigny, à l’écoute, une écoute extrême, s’exprime par le regard, par les mains qui tiennent, retiennent ou soutiennent, devinent et devancent.

On ne sait ce qui provient du jeu, des personnages ou des actrices. Réel et fiction s’interpénètrent ici dans ce duo poétique, puissant et fragile à la fois, relié par la même grâce que celle des acrobates, et les actrices nous tiennent en haleine. Mystère du théâtre, plus fort encore que celui qui émane du texte. Acrobates de la scène, Emmanuelle Riva et Anne Consigny nous donnent une immense leçon de théâtre et nous font vivre une heure d’intense émotion.

Béatrice Picon-Vallin

Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, Paris XVIII ème jusqu’au 9 mars T. : 01 46 06 49 24.

 

Knock ou le triomphe de la médecine

Knock de Jules Romains, mise en scène d’Olivier Mellor.

a370a2e5adaaa7cddbb581f5270a2e9dCette comédie assez cruelle qui tourne  aussi à la farce, avait été créée en 1923 par Louis Jouvet qui jouait aussi le docteur Knock,  s’inscrit dans la vieille tradition théâtrale de la satire du monde médical et, presque cent ans après sa création, n’a  rien perdu de son acuité. Surtout quand on veut bien se souvenir des récents scandales où des médecins qui ont pourtant tous fait le serment d’Hippocrate,  ne sont pourtant pas les derniers à créer des médicaments ou des traitements miracle pour se faire des fortunes sans aucun scrupule,  sur le dos  de patients aussi naïfs que fragiles, et donc facilement manipulables. Et toutes les recettes sont bonnes: il suffit de savoir s’y prendre et de bien communiquer…
La pièce de Jules Romains est
devenu un classique dans les lycées vingt-cinq ans à peine  après sa création. Qui dit mieux?  Et elle  a connu la gloire, grâce en grande partie,  au film de Guy Lefranc (1951) avec toujours  Louis Jouvet,  mais aussi Pierre Renoir, Jean Carmet et… Louis de Funès…
La fable parait inoxydable:
ce qui se passait dans un canton français dans les années 20, se produit encore et toujours à l’ère d’Internet: tout est bon pour se soigner  de maux bien réels, voire gravissimes ou imaginaires: comme le dit le bon docteur Knock
: « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. »
Avec des séjours bidon en cliniques spécialisées, ou avec  gélules dont on ignore le plus souvent ce qu’elles contiennent: de l’or, du cuivre, de l’argent, des plantes tropicales, du magnésium, ou de la poudre de perlimpin, etc….
A
vec un bon argumentaire, la manipulation fonctionne  à merveille, surtout quand les malades et/ou leurs familles  ne veulent pas voir que la maladie est irréversible, du genre:  » Votre sœur, dites-vous, souffre de dégénérescence neuronale, bon, mais rien n’est perdu et je me fais forte de la remettre sur pied en une quinzaine de jours » avait  dit un jour, une médecin  à un proche qu’il avait rencontrée par hasard dans un avion! C’est bien connu, en matière de manipulation mentale, plus gros sont les mensonges, plus ils passent facilement…
Jules Romains a situé sa pièce dans un gros bourg  français; normalien, agrégé de philo, il connaissait pourtant bien cette société encore très rurale mais prête à s’ouvrir aux derniers progrès de la médecine, quitte à en payer le prix. Le docteur Parpalaid vient de vendre sa clientèle à un confrère, le docteur Knock qui, de façon très pragmatique, commence à faire un bilan financier en estimant les revenus potentiels de la clientèle locale. Il  s’aperçoit vite qu’il s’est fait avoir et que le cabinet à fortes ressources vanté par Parpalaid est une belle chimère.
Mais voilà, Knock a roulé sa bosse : il a servi comme médecin à bord d’un bateau dont il a soigné l’équipage entier mais sans en avoir ni  le titre ni les compétences… Il a visiblement aussi déjà tout  compris  du marketing, de la publicité et de la communication; très habilement, il instaure même une matinée de consultation gratuite, et  arrive donc vite à avoir une clientèle parmi les paysans du coin,  en commençant par recevoir tout de suite,le tambour de ville dont il fait semblant de prendre très au sérieux ses démangeaisons: « Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous gratouille ou est-ce que cela vous chatouille? – ça me gratouille. mais çà me chatouille bien un peu aussi.-Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette?-Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait plus ». 
Célèbre dialogue,  des plus surréalistes et où Louis Jouvet excellait.
Knock sait se montrer apparemment attentif et près des gens, alors qu’il les méprise d’être aussi naïfs, mais aussi s’appuyer sur  Mousquet, le pharmacien dont il se fait vite, à coup de flatteries, un allié indispensable, et sur Bernard, l’insituteur. Le bon docteur Knock  va aussi se faire respecter d’une malade imaginaire qui veut le voir tous les jours ou presque,  ou d’un jeune garçon bien imbibé, à qui il procure la peur de sa vie, en lui montrant des cartons  illustrés d’organes: « Voici votre cœur. mais chez vous, le cœur est déjà plus abimé qu’on ne l’a représenté là-dessus ».
La mise en confiance, les offres gratuites de services qu’il faudra ensuite payer encore plus cher, la prétendue volonté de prendre les choses au sérieux, les calculs stratégiques pour attirer le client, le cynisme … Bref, des techniques de manipulation, le docteur Knock a déjà tout compris. Et cela va lui réussir au-delà de ses espérances…
En effet, au troisième acte, encore plus grinçant, le docteur Parpalaid qui a quitté la région  et s’est établi au centre de Lyon, revient voir le docteur Knock pour se faire payer.  Et il découvre, assez incrédule, la parfaite réussite du nouveau médecin  dont il s’était bien moqué, il y a seulement quelques mois, le renvoyant ainsi à son amateurisme et à son incompétence en affaires.
Knock règne effectivement en maître incontesté sur la santé des habitants de la région! Cela se passe à l’hôtel de la Clef, devenu une sorte de résidence hôtelière pour malades qui viennent, et souvent de  loin, consulter le merveilleux docteur Knock. Lequel s’offrira en prime, le cynisme et le luxe d’humilier Parpalaid quand, un peu naïf, il lui propose de lui vendre son nouveau cabinet et de revenir, à sa place, à Saint-Maurice…
Même si
elle manque singulièrement de rythme, la mise en scène d’Olivier Melior se laisse voir,  mais plutôt pour  sa direction d’acteurs qui sont bien dirigés. Stephen Szekely (Knock) est remarquable  de justesse et tout à fait crédible; cela, dès les premières minutes, et assez inquiétant à la fin; il forme  avec Rémi Pous (Parpalaid) un tandem qui réussit à s’imposer. Il  y a aussi Marie-Laure Boggio dans deux rôles opposés: d’abord en vieille dame en noir qui, dit Jules Romains, « respire l’avarice et la constipation ». Elle est tout aussi étonnante de vérité que dans le personnage de Madame Rémy, la directrice de l’hôtel de la Clef. Les autres rôles sont bien et solidement tenus pendant tout le spectacle.
On oubliera la scénographie, sauf la route sur un déroulant en fond de scène assez bien trouvé; elle se voudrait drôle mais d’inspiration lointainement surréaliste, et souvent laide, elle reste assez peu convaincante et part dans tous les sens et dans toutes les époques. Il y ainsi des projections à plusieurs reprises de visages caricaturaux et grimaçants dont sans doute celui  de Jouvet, dont ne voit pas du tout l’intérêt.
Il y a, par ailleurs, la présence fréquente d’une petite  fanfare sympathique qui accueille le public à l’entrée de la salle et qui joue bien mais dont les intermèdes  cassent le rythme du spectacle, comme cet inutile entracte juste avant le dernier acte, sans doute celui dont la mise en scène  est la mieux maîtrisée. Avec un chœur final du corps médical de la clinique du docteur Knock très réussi.
Ce n’est sans doute pas un très grand Knock mais Olivier Melior a réussi à rendre vivante cette pièce, dont le personnage principal est, comme il dit, « tutélaire et emblématique du théâtre de répertoire » à la française »…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Epée de Bois,  Cartoucherie  de Vincennes jusqu’au 22 février.

 

Oncle Vania mise en scène d’Eric Lacascade.

 

oncle_vania_21_brigitteEnguerand


Oncle Vania d’Anton Tchekhov, adaptation du texte traduit par André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène d’Eric Lacascade.

 

  C’est avec une belle constance qu’Eric Lacascade explore l’œuvre de Tchekhov : après Ivanov, Les Trois Sœurs, La Mouette et Platonov, il s’arrête aujourd’hui sur Oncle Vania, texte qu’il crée à l’ombre de L’Homme des bois, une version initiale d’Oncle Vania. La pièce dessine une constellation paysanne et urbaine de personnages d’âge et de condition divers, réunis auprès de Sérébriakov (Jean-Baptiste Malartre), acariâtre professeur d’université à la retraite, en villégiature avec sa jeune femme Éléna dans la maison familiale.
Sonia, fille d’un premier mariage, et dont la mère est décédée, gère vaillamment le domaine avec son oncle maternel Vania et sa grand-mère, Maria Vassilievna (Maud Rayer), veuve d’un conseiller d’État.
Astrov, le quelque peu cynique médecin (Jérôme Bidaux), est un rayon de soleil dans la maison quand il vient rendre visite à Sonia ; c’est un beau parleur attentif aux êtres… et aux bouleaux,  défenseur de la forêt saccagée et militant vert avant l’heure, doué de prémonition quant au destin de la planète et des hommes.
Alentour, quelques proches composent un monde attachant, des gens simples ou des petits notables – des stéréotypes- que jouent avec conviction Jean Boissery, Arnaud Chéron, Arnaud Churin, Stéphane E. Jais et Laure Werckmann. On se salue et on s’embrasse, on rit et on manifeste son plaisir d’être ensemble.
La mise en scène privilégie dans les mouvements chorégraphiés, les gestes, les postures, les signes d’amitié et cette chaleur qu’on éprouve à partager en commun des morceaux de vie et de temps révolu, qu’ils soient heureux ou douloureux. Les acteurs adoptent symboliquement des pas de danse légers et graciles, et marchent à l’amble sur le plateau dans le bonheur de se retrouver pour l’anniversaire d’un des leurs.
Impatience de célébrer l’instant privilégié avant qu’il n’échappe, effervescence des bouteilles de champagne débouchées puis versées généreusement sur une longue table dressée, conviviale et festive. Il y aura ensuite  des scènes plus tendues, comme la réunion d’un conseil de famille exigée par le tyran. Et Lacascade a très bien peint cette toile subtile, tissée d’ennui existentiel.
Sur les histoires du passé dont on se souvient, chacun en rajoute sur la permanence de la tendresse ou de la rancœur, le sentiment de l’échec intime, la sensation amère d’avoir gâché sa vie, les rêves de réussite jamais conquis.Et les derniers sursauts rebelles de la quête d’amour se catalysent sur la personne idéalisée d’Eléna (Ambre Kahane) qui aimante le désir de Vania et celui d’Astrov; la sincère et tonique Sonia (Millaray Lobos Garcia), attirée par la liberté de ce médecin, n’obtient nulle reconnaissance amoureuse.
Tchekhov représente, dans sa modernité, le sentiment tragique de la vie où l’homme ne peut jamais se consoler de la mort qui le guette à travers les nécessités quotidiennes et le temps qui passe. Le poids des habitudes ne laisse jamais advenir ce qu’on attend depuis si longtemps ni les aveux cachés, d’où ici « ce déferlement d’humanité » et « ce bouillonnement des passions ».
C’est Alain d’Haeyer qui interprète Vania l’introverti, il exprime bien l’usure intérieure de l’être abîmé, au milieu d’une démission morale généralisée. Vania qui a renoncé à ses penchants littéraires pour subvenir aux besoins d’un beau-frère égoïste et vaniteux, représente avec Astrov, les êtres justes, ceux qui ressentent le plein sentiment de la vie et la beauté de la nature. Au-delà des des coups de colère provocateurs, d’une lucidité amère et d’un esprit critique, ce duo décalé et trivial symbolise pourtant la dignité, l’élégance et la délicatesse d’âme , capables d’atteindre,
, selon Tchekhov, un certain bonheur d’exister.
Retenons surtout une scène particulièrement réussie sur le plaisir de vivre, le moment d’ivresse incontrôlable ou de biture contrôlée… que les deux amis partagent sur le plateau. Vania verse un, deux, puis trois petits verres de vodka sur une longue table de bois qu’il soulève d’un côté pour les faire glisser; Astrov les rattrape en catastrophe, et les boit illico. Ces deux jongleurs contrôlent leur numéro à merveille pour le bien-être d’une solide représentation d’Oncle Vania…

 Véronique Hotte

  Désolé, chère Véronique, nous avons un regard bien différent,  vous aviez vu le spectacle à sa création à Rennes et vous l’avez revu hier au Théâtre de la Ville à Paris, où nous étions assis l’un à côté de l’autre. Oui: les scènes d’ensemble sont bien traitées avec de beaux mouvements chorégraphiques; oui, Astrov et Vania, dans le scène de beuverie avec Vania  sont tout à fait crédibles, comme l’est aussi Vania, à la presque fin, quand il il déchiquette son gros bouquet de roses rouges, en le frappant sur la grande table, dans une violente colère inassouvie depuis des années contre son beau-frère Sérébriakov qui, avec sa femme, Elena, va quitter très vite la maison familiale. Mais pour le reste, on est quand même loin du compte, et c’est un spectacle très décevant, surtout quand on le compare à La Cerisaie ou à Platonov que Lacascade avait autrefois montées.
Ce qui ne nous plaît pas du tout: trop d’erreurs de conception! D’abord, pourquoi avoir choisi  de réunir en un seul texte L’Homme des Bois et Oncle Vania, sans qu’on en voit bien la nécessité dramaturgique? Est-ce pour justifier le sous-titre: Scènes de la vie à la campagne en quatre actes.  Mais cela  n’apporte rien à la pièce, et c’est donc peu de dire que l’intelligente traduction de Françoise Morvan et André Markovics a été plus qu’ « adaptée »? Dommage aussi que l’on n’entende pas les belles phrases de Sonia à la fin de la pièce…
Personne n’est obligé de respecter les didascalies de Tchekhov mais on se demande bien pourquoi Lacascade a demandé à son scénographe de faire commencer le spectacle non par l’évocation du jardin avec la vieille nounou, mais avec le décor de l’acte II, disposé à l’envers: les murs gris du salon de la demeure familiale à la campagne, disposés sur roulettes que les acteurs retourneront ensuite. Théâtre dans le théâtre? Petite provocation pour faire moderne? On ne saura jamais…
Il y a aussi une passerelle descendue des cintres et qui y remontera, où Sonia et Vania vont disposer verres, zakouskis et bouteilles de Champagne. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Et cette scène traîne singulièrement en longueur: Lacascade aurait pu nous épargner ainsi l’arrivée par la salle, qui reste éclairée au début, de tous les personnages, vieille scie du théâtre contemporain… comme cette boule à facettes de bal. Cela se voudrait novateur, alors que ce  sont des procédés plus qu’usés!
Ensuite, cet Oncle Vania se poursuit dans une pénombre généralisée, sauf à la fin où la lumière devient presque violente,  et ce pénible sous-éclairage ne se justifie absolument pas. Pourtant Lacascade savait bien que le spectacle se jouerait au Théâtre de la Ville; on se demande en tout cas, ce que les spectateurs, au delà du rang J, peuvent bien discerner des visages des acteurs qui, sans doute mal dirigés, peinent à convaincre, en particulier, Jean-Baptiste Malartre (Sérébriakov) que l’on a vu meilleur!
Ils semblent perdus sur le grand plateau du Théâtre de la Ville qui n’est pas l’endroit idéal pour  jouer Oncle Vania; du coup, les scènes intimes comme celles des adieux d’Elena à Astrov et à Vania tous les deux amoureux d’elle, qui devraient avoir quelque chose de très poignant, ne fonctionnent pas du tout. Et là, il y a  au départ, une erreur de conception scénographique.
Quant à la musique de films qui, au début, couvre sans doute exprès la voix des personnages, elle est inutile et sans aucune unité, et sonne vraiment faux… Même si Lacascade ne voulait pas tomber dans la musique folklorique russe, il aurait pu trouver autre chose!
Au total, un spectacle, avec quelques rares bons moments, comme la toute dernière fin. Mais qui n’a jamais pleuré à un soleil couchant sur fond d’accordéon? L’ensemble un peu prétentieux, un peu ennuyeux, reste, somme toute, assez fadasse. On a vu de meilleurs Vania – on repense entre autres, au merveilleux Vania à la campagne du Théâtre de l’Unité (voir Le Théâtre du Blog) qui se joue en plein air, avec maintenant plus de 88 représentations au compteur…
Sans doute était-ce la première à Paris, et après un second rodage, le spectacle devrait se bonifier mais, disons les choses franchement, on reste tout de même sur sa faim; Oncle Vania et Tchekov méritent mieux que ce travail approximatif et  décevant. Le public toussait souvent, ce qui n’est jamais très bon signe et des spectateurs sont même partis en cours de route. Alors, à vous de décider…

Philippe du Vignal

Nous avons reçu ce message d’une spectatrice qui a assisté à cette même première et qui analyse assez bien le travail d’Eric Lacascade:

J’ai lu votre critique hier soir et ce matin. Hier soir, j’analysais vos réflexions et commentaires. Et finalement, ce matin, je me retrouve dans la totalité de vos propos.
Je relisais votre commentaire et j’ai essayé de murir une réflexion plus subjective du travail  de Lacascade.Ainsi, je ne vous trouve pas sévère mais juste un peu acerbe,  au sens piquant du mot.
Comme vous, la première scène m’a déconcertée. Je la trouve trop « en dehors » du théâtre de Tchekhov, pas assez convaincante. Elle instaure une intemporalité gênante, et l’arrivée des personnages en pleine lumière depuis la  salle n’est pas justifiée, et contraire au théâtre de Tchekhov qui, pour moi, nous laisse toujours en dehors, inutiles spectateurs. Et  la boule à facette qui plonge tout le théâtre dans un espace cosmique ?  Vouloir nous intégrer tout en nous laissant passifs est un paradoxe.
Pour la lumière, certes il y avait beaucoup de pénombre mais j’ai trouvé les ambiances lumineuses de Berthomé assez sensibles. La musique est un élément agréable que l’on voit apparaître de plus en plus dans le théâtre contemporain, mais le  choix n’était peut être pas toujours bien géré, avec en plus, une coupure pas très juste au milieu de certaines scènes. Alors que la pièce possède quelque moments de longueur indispensables au rythme de la vie  comme l’ont traduit les artistes russes, comme, entre autres, Andreï Tarkovski.
Je trouve l’ennui merveilleux quand il s’agit de temps qui passe. J’ai trouvé qu’il y avait de très beaux moments scènographiques, notamment quand la mère de Vania pousse une des parois, en  laissant apparaitre une sorte de lumière céleste, ou quand, à la dernière scène, la lumière devient jaune « coucher de soleil »  et que  Sonia dit un texte sur l’avenir merveilleux,  englouti par le son de l’accordéon de son oncle Vania.
L’espoir est là mais rongé par la tristesse.  Le jeu des acteurs est vraiment très bien, mis à part le médecin un peu trop naturel, et peut-être pas assez dans son personnage…

Maëlle Bourges

Théâtre National de Bretagne à Rennes jusqu’au 1er mars 2014, relâches les 23 et 24 février. T : 02 99 31 12 31 Et du 5 au 22 mars au Théâtre de la Ville à Paris. Du 26 au 29 mars au Théâtre National de Bordeaux Aquitaine. Du 2 au 4 avril au Quartz de Brest. Du 9 au 18 avril au Théâtre du Nord à Lille. Les 6 et 7 mai à L’Hippodrome de Douai. Du 14 au 16 mai à la Maison de la Culture de Bourges.

 

Il faut toujours terminer qu’est-ce qu’on a commencé ( Le Mépris)

Il faut toujours terminer qu’est-ce qu’on a commencé ( Le Mépris), d’après les œuvres d’Alberto Moravia, Jean-Luc Godard, Homère, Dante, Pétrarque, conception du spectacle: Nicolas Liautard.

a7620c59e2202a18ab45d1e705a1a44bLe titre reprend la fameuse réplique du cinéaste que dit Fritz Lang dans le fameux film (1963) de Jean-Luc Godard tiré du non moins fameux roman d’Alberto Moravia (1954), avec Michel Piccoli et Brigitte Bardot, et les deux cinéastes Fritz Lang et Jean-Luc Godard  qui était  assez injuste avec l’œuvre de l’écrivain italien: « C’est aussi l’histoire d’un malentendu entre un homme et une femme. Je crois que le malentendu est un phénomène moderne. Le roman de Moravia est un vulgaire et joli roman de gare, plein de sentiments classiques et désuets, en dépit de la modernité des situations.. Mais c’est avec ce genre de roman que l’on tourne souvent de beaux films ». Autrement dit, suivez mon regard jusque vers  mon film à moi!
Lorsque Fritz Lang dans le film, dit Nicolas Liautard, qui est aussi le directeur de la scène Watteau à Nogent-sur-Marne, est justement en train de filmer Ulysse qui aperçoit Ithaque au loin,  Michel Piccoli (Paul) lui annonce alors sa décision d’abandonner ce scénario et de se mettre à écrire une pièce de théâtre: « Jusqu’alors je m’étais considéré comme un intellectuel, un homme cultivé et un écrivain de théâtre, genre d’art pour lequel j’avais toujours nourri une grande passion et auquel je croyais être porté par une vocation innée. »
On comprend que cette mise en abyme ait pu séduire le metteur en scène et concepteur de ce remarquable spectacle dont les personnages sont tous liés au monde du cinéma. Et il faut rappeler que le personnage du producteur avait sans doute été inspiré par  Carlo Ponti, le producteur de plusieurs films de Godard et d’une  adaptation de L’Odyssée d’Homère, avec Kirk Douglas et Anthony Quinn.

  Ici, au Studio-Théâtre, c’est donc d’une double mise en abyme qu’il s’agit: cinéma/théâtre avec un spectacle intime, dans un dispositif bi-frontal pour soixante-dix personnes mais guère plus; on y retrouve ce couple d’actrice et de scénariste qui n’arrivent plus à se comprendre. La toute jeune femme a sans doute beaucoup aimé son mari et elle se persuade que c’est encore vrai (du moins dans un premier temps): « Nous faisons l’amour, je ne t’ai jamais rien refusé » . Puis elle lui dit qu’elle l’aime encore, même si elle ne veut plus faire l’amour avec lui, avant de finir par lui avouer qu’elle ne l’aime plus… et qu’elle le méprise.
Lui, perdu, essaye de se justifier: s’il est ici, c’est pour gagner de l’argent avec ce scénario de film,  et donc pouvoir payer les traites de l’appartement auquel elle, elle  tient beaucoup. Ce qu’elle nie. Bref, le malentendu est absolu et définitif. Il essaye de  comprendre au fond du fond de lui-même, comment et pour quelle raison mystérieuse, cet amour s’est lentement fissuré,  et pourquoi et jusqu’à quel point de non-retour, le mépris chez elle s’est installé de  façon insidieuse dans leur relation. Il la surprendra en train d’embrasser le producteur, sans vraiment réagir: le piège s’est refermé et elle n’attendait que cela pour lui montrer son mépris devant tant d’indifférence.

  Ils sont installés dans une belle villa dans l’île de Capri dont le cadre enchanteur plein de fleurs va servir en fait de révélateur à la dégradation d’un amour qui s’éteint  lors de vacances qui n’en sont pas: encore une équivoque qui va glisser sur un malentendu, jamais très bon pour les amours en difficulté. Et arrive le moment où, dans une dispute de plus, elle finit par éclater:  » Je te méprise ! Voilà le sentiment que j’ai pour toi et la raison pour laquelle je ne t’aime plus… je te méprise et tu me dégoûtes quand tu me touches… Tu as voulu la vérité : eh bien, je te méprise et tu me dégoûtes » Est aussi analysée  ici, sous l’angle de la psychanalyse, la curieuse relation entre Ulysse et Pénélope les deux héros homériques: elle aurait déjà méprisé son mari avant qu’il ne parte pour la guerre de Troie,  et les aventures en Méditerranée auraient été pour lui, un beau prétexte pour ne pas la rejoindre tout de suite.
  Il y a donc sur cet espace d’une quinzaine de mètres,  juste quelques accessoires, un matelas, un petit banc, quelques dizaines de pots de fleurs  pour figurer avec ironie la végétation luxuriante de Capri, un dauphin gonflable tout bleu, et, en bout de scène, une grande table avec des lampes d’architecte, où le mari scénariste anglais, le producteur, et le réalisateur allemand se relaient comme pour montrer que l’on est, non dans la fiction mais dans la représentation de cette fiction. Avec des sur-titrages donc puisque les personnages s’expriment ici dans les mots de leur langue maternelle traduits approximativement -  mais c’est une volonté délibérée – par  Marion Suzanne.
 Cela commence par une séance d’entraînement de deux boxeuses et se poursuit par les dialogues de toute beauté imaginés par Moravia et que nous avons tous en mémoire, comme ceux de cette conversation entre le mari et la femme sur les différentes partie de son corps. Mais Nicolas Liautard s’est méfié et a eu l’intelligence de ne copier ni illustrer le film mythique de Godard. Et  comme Jean-Yves Broustal, Jean-Charles Delaume, Aurélie Nuzillard, tout à fait remarquable et qu’on avait pu voir dans Ithaque de Botho Strauss (vous avez dit coïncidence?),  Fabrice Pierre, Wolfgang Pissors et Marion Suzanne, tous exemplaires de sobriété et de vérité, sont impeccablement dirigés, on se laisse vite prendre par ces dilaogues à quelques mètres de nous, en gros plan le plus souvent. Avec des voix amplifiées, ce qui donne encore plus un caractère filmique à l’affaire. Mais  l’appareillage nécessaire occasionne une protubérance noire sur le corps des actrices!
  Sans  doute le spectacle est-il encore un peu brut de décoffrage, et surtout trop long (la scène des boxeuses, inutile symbole, pourrait disparaître sans inconvénient et la fin qui patine devrait être  sérieusement élaguée.) Mais sinon, quel bonheur d’intelligence et de  sensibilité!
Et Daniel Jeanneteau a eu bien raison de programmer ce spectacle au Studio-Théâtre: on peut espérer qu’une des grandes institutions parisiennes prennent le relais. Ce serait vraiment trop bête  qu’il ne soit vu que par si peu de spectateurs. Mais il y a une séance de rattrapage le 6 mars à Cachan, si vous êtes libre, courez-y mais faites-vite: on va se disputer les places .

 

Philipe du Vignal

Spectacle joué les 18 et 19 février au Studio-Théâtre de Vitry .T: 01 46 81 75 50  et au Théâtre de Cahcna le  6 mars.
 

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