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Orchidée, un spectacle de, et avec Pippo Delbono.
Pippo Delbono nous rapporte une belle légende: en Epire, un garçon nommé Orchis était devenu, en grandissant, moitié-homme et moitié-femme. Il se jeta du haut d’une falaise et, à cet endroit, poussèrent des fleurs qu’on nomma « orchidées ». «Une fleur dont on ne sait si elle est vraie ou fausse, comme notre époque », précise-t-il. « Ce monde ne me plaît pas mais il n’y a pas d’autres endroits où aller », dit-il aussi à plusieurs reprises.
La poésie et le rêve seront ses refuges. C’est pour dénoncer un monde où il ne peut plus vivre, que Delbono prend ici la parole. Et il ne supporte plus ce qu’est devenu le théâtre qui » a établi une structure rigide, faite de personnages, de rôles, de codes, de voix bien placées. Il a perdu le sens de la révolte, sa nécessité « , explique-t-il dans le programme. Et il souhaite remettre le théâtre à sa véritable place, et trouver un nouveau rapport entre scène et salle car dit-il: « Le monde est une rencontre entre êtres humains » (Bergman).
Est-ce pour cela qu’il entreprend de déconstruire à ce point son propre spectacle? Tout d’abord, il privilégie ici photos et images vidéo, projetées sur grand écran en fond de scène. Est-ce, parce qu’il se tourne de plus en plus vers le cinéma (son film Amore Carne, 2013), qu’il délaisse le plateau et ses acteurs ?
Il s’adresse au public tout au long du spectacle, en déversant, à n’en plus finir, un florilège de souvenirs et de références; et, en projetant des images de sa mère récemment décédée, il raconte son premier voyage en Afrique, en invoquant des poètes comme Shakespeare, Dante, Pasolini : « Ils ont beau couper toutes les fleurs, jamais ils n’arrêteront le printemps », écrivait Pablo Neruda, et Pippo Delbono, avec la force du désespoir, tente de peupler le plateau avec quelques images, et mime un oiseau voletant devant des arbres en fleurs.
Les comédiens intègrent enfin les images : ils se lancent dans une ronde endiablée devant le film d’un incendie ou, sur la musique d’un spectacle de Pina Bausch, défilent dans les travées de la salle, en imitant les gestes des danseurs. Dans un moment plus intime, deux hommes nus s’enlacent devant un tableau de Rembrandt, comme pour se consoler d’un chagrin infini. D’Orchidée, nous retiendrons seulement ces quelques images de théâtre.
Quoiqu’il crée, Pippo Delbono a ses inconditionnels ! Ils adhèrent à son univers, et retrouvent avec joie ses personnages hors-normes, fragiles et insolites. Comme Nelson, un ex-clochard, Gianluca, le trisomique pensif, et l’inaltérable Bobo, microcéphale, sourd et muet mais à la présence magnétique. Malgré leurs qualités, ses interprètes semblent perdus dans l’immensité du plateau, à jouer les utilités devant les projections et la logorrhée du maître.
Qu’est-il arrivé à Pippo Delbono, pour qu’il se lance dans une sorte de journal intime illustré, où son art du collage et du montage, a perdu toute pertinence ?
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, Paris-8e. Mo Franklin-Roosevelt. T : 01-44-95-98-21. jusqu’au 16 février. Et au TNT Théâtre national de Toulouse du 19 au 22 février.