L’œil du loup

L’œil du loup de Daniel Pennac, adaptation de Laurent Berger et Daniel Pennac, mise en scène de Clara Bauer.

 

loup_6_c_a.carrara_il_funaro« Un œil jaune, tout rond, avec, bien au centre, une pupille noire. Un œil qui ne cligne jamais. C’est tout à fait comme si le garçon regardait une bougie allumée dans la nuit ; il ne voit plus que cet œil : les arbres, le zoo, l’enclos, tout a disparu. Il ne reste qu’une seule chose : l’œil du loup. »
De part et d’autre de la grille d’un zoo – pourquoi pas le Zoo de Vincennes, tout flambant neuf dont la réouverture est prévue en avril prochain-, un vieux loup bleu et borgne d’Alaska n’en finit pas de tourner dans sa cage pour de vifs et amers va-et-vient : la bête méprisante ne daigne accorder nul regard à ses visiteurs d’un jour.
Pourtant, un enfant africain – il se nomme Afrique – observe l’animal redoutable dans une admiration silencieuse et têtue.
La cage est délimitée par une rangée de « servantes » qui donnent un belle lumière et un éclat particulier à cette zone fragilisée. Face à face et œil à œil, chacun voit dans l’autre sa propre histoire, transposée et renouvelée : capture, puis séparation déchirée d’avec le lieu de ses origines et nostalgie du pays initial jusqu’à la mort.
Le loup a fait l’expérience de la liberté et du bonheur dans le grand Nord jusqu’à sa captivité finale. L’enfant a connu tôt la guerre, la perte des siens, l’errance, pour se retrouver, comme le loup, dans « l’autre monde » – non, il ne s’agit pas de la mort qui rôde – mais, de nos pays occidentaux que couvre un manteau de neige pour l’imaginaire enfantin et la réalité glaçante de l’immigration, à ses débuts tout au moins, avant l’intégration.
Le loup est dans sa cage, l’enfant vit sur le sol de France. La vision de l’autre auquel on se confronte, fait surgir sur le plateau les souvenirs de sa propre vie antérieure, d’où une alternance scénique d’éblouissements de la conscience, des joyaux douloureux de la mémoire à la fois du loup et de l’enfant. Des espaces sont dessinés sur le sol, tels des bacs à sable, qui contiennent de la terre d’Afrique.
Chez ces deux-là, on n’observe pas de similarité dans les épreuves mais,  en échange, de mêmes effets d’élévation  morale , poétique et philosophique, grâce à l’ouverture d’une vision enrichie du monde. Il fallait deux comédiens d’envergure qui puissent poser chacun, une identité bien frappée,  tout en acceptant d’écouter l’autre.
Vincent Berger de ce côté-ci,  de « l’autre monde » – tour à tour le loup ou l’enfant – endosse le rôle du bourreau ou de la victime en se mettant au diapason de son compère malien, Habib Dembélé, de ce côté-là,  de « l’autre monde » – lui aussi, loup ou enfant. On porte tous en soi les deux figures mêlées et les acteurs mis en présence sont des hommes sages et éclairés, quoiqu’ils fassent sur le plateau, de par l’engagement de leurs aventures humaines et artistiques.
La scène, quant à elle, vit et grouille furieusement dans les sons et les couleurs : Afrique Verte ou Jaune, tissus colorés et oniriques, senteurs et épices des marchés, fuite en voiture avec des sacs et des ballots qui font,  à eux seuls, le récit d’une vie. Et les comédiens, bien dirigés par  Clara Bauer, sont accompagnés sur le plateau par un accessoiriste italien moqueur.
Le public enfantin est au paradis, l’après-midi, lors de la représentation scolaire, dans la salle comble de la Maison des Métallos,  embarqué par les mots, la gestuelle, la danse et l’art de nos deux baladins, des griots éveillés et acrobates du verbe, attirés par l’économie de moyens du plateau  où ils jouent  de leur corps et de leur âme d’acteurs.
Malgré les souffrances évoquées, le public embarque dans un aller-retour Afrique-Europe, avec clichés ludiques mais aussi plaisir et joie de vivre. La rencontre a lieu, et c’est un vrai moment de tendresse qui illumine la scène entre les déserts asséchés et les secousses feutrées de flocons de neige sur le zoo.
Un beau rendez-vous avec la diversité et ses échanges existentiels exemplaires.

 Véronique Hotte

 La Maison des Métallos 75011 Paris. Du mardi au vendredi 20h, samedi 19h, dimanche 16h. Du 30 janvier au 23 février 2014. Tél : 01 47 00 25 20

 


Archive pour 3 février, 2014

Jean Babilée

204604_jean-paul-goude-raconte-jean-paul-goude Vie et mort de Jean Babilée.

Jean Babilée s’est éteint.  La mort a rattrapé ce jeune homme de 90 ans. On oubliait son âge.  Avec toujours la même silhouette fine, altière, Jean Babilée restait ce jeune homme, pour qui Jean Cocteau, inspiré par son hypersensibilité et son tempérament rebelle, écrivit l’argument du Jeune Homme et la mort.
Il restait ce danseur pour qui Luchino Visconti, subjugué par sa jeunesse insolente, inventa deux ballets, Mario il mago et Maratona di danza. D’une grâce incomparable, cet être  insaisissable ne touchait terre que pour s’envoler plus haut.
Colette l’avait compris, quand, en le voyant entrer un jour chez elle, conduit par Jean Cocteau, elle s’écria avec son accent bourguignon:
« C’est le garrrrçon qui vole ! » Son charme agissait sur tous les êtres vivants. De son enfance auprès d’une mère aimante qui emmenait son enfant chéri voir les auteurs classiques et applaudir les Ballets Russes, et d’un père médecin, ami des artistes, Jean Babilée, qui s’appelait encore Jean Gutmann, avait gardé le goût de la poésie (il connaissait tant de textes par cœur).
Sa santé fragile ne laissait pas supposer la maîtrise corporelle absolue qui serait la sienne. Mais quand la volonté de devenir danseur s’affirma –il n’avait pas treize ans-, toute sa vie s’organisa autour de cette décision. L’école de l’Opéra de Paris était  à l’époque,  le choix le plus exigeant pour un Parisien; il y fit donc ses classes et entra ensuite dans le corps de ballet.
Il y noua des amitiés durables mais y découvrit aussi la vilenie et la haine raciale, quand, en 1940, sur le miroir de sa loge, le mot JUIF avait été écrit en grosses lettres ! Et les officiers nazis,  qui appréciaient l’Opéra,s’y retrouvaient souvent. Il quitta donc Paris pour la France libre et dansa avec les Ballets de Cannes de Marika Besobrasova, avant de rejoindre le maquis. A la Libération, quelques jeunes danseurs, sous l’égide de Jean Cocteau, de Boris Kochno et d’autres artistes de renom, se réunissent et fondent les Ballets des Champs-Elysées,  où Babilée se distingue immédiatement.
Pour Jeux de cartes, un ballet de Janine Charrat, il créa le rôle d’un joker irrésistible. Un an plus tard, en 1946, Le Jeune Homme et la mort le fit, d’un bond, entrer dans la légende. Désormais, ce qu’il fait, ce qu’il vit, intéresse la presse. Les journaux le suivent dans ses moindres déplacements, commentent ses succès, et bien sûr, ses amours.
Il est courtisé par les metteurs en scène et les réalisateurs, et ses apparitions au théâtre ou au cinéma lui valent autant de lauriers. Raymond Rouleau, Peter Brook, Jacques Rivette, Georges Franju, sont quelques-uns des nombreux compagnonnages artistiques dont sa carrière est jalonnée.
Et pourtant, autour de lui, tout semblait si naturel, si léger, si évident, comme si tout ce qu’il réalisait allait de soi; sa vie et son art étaient si intimement liés  qu’il n’entreprenait rien qui ne lui fasse plaisir… Aucune cage n’a jamais pu emprisonner cet esprit libre. Il fut nommé Etoile  mais quitta  vite l’Opéra de Paris et
ses règles pesantes. Sa présence sur les plus grandes scènes  mondiales, ses choix artistiques, très éclectiques, relevaient toujours d’une exigence qu’il se devait à lui-même.
Il est parti comme les chats qu’il aimait tant, discrètement, élégant jusqu’à la fin…

Sonia Schoonejans
 

Le Roi Lear

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Le Roi Lear, de William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy,  mise en scène de Christian Schiaretti.

Chaque saison, pour le Théâtre National Populaire, dont il est le directeur, Christian Schiaretti crée une pièce/monument  du répertoire, ou contemporaine, ou encore issue d’une commande. Après le flamboyant Coriolan (2006), il a choisi Le Roi Lear, une pièce peu jouée car elle exige un comédien exceptionnel pour tenir le rôle mais Serge Merlin est de ceux-là.
Au début, le roi porte la couronne, règne sur sa Cour, ses hommes d’armes, et ses filles. On lui doit obéissance. Pour maintenir la paix, il a marié ses deux aînées à des souverains britanniques et hésite, pour la dernière, entre Bourgogne et France. Mais Lear est un vieil homme, qui  veut transmettre son pouvoir et, dès la première scène, il exige de ses filles une déclaration d’amour, en public, afin de leur partager ses terres. Si les deux aînées, habilement, lui servent ce qu’il attend, la troisième se refuse à ce jeu médiatique et se contente de déclarer qu’elle l’aime, comme on doit aimer son père.
C’est la raison du premier accès de démence de Lear ; il entre en colère avec des paroles virulentes, déshérite et chasse la pauvre Cordélia. Shakespeare décrit l’évolution dramatique de la folie du roi avec, pour conséquences, son auto-destruction, l’anéantissement de sa lignée, de sa Cour,  et la guerre dans son royaume.
Comme toujours, Christian Schiaretti sert le texte qu’il éclaire avec une mise en scène rigoureuse et intelligente. En choisissant la traduction d’Yves Bonnefoy, précise tout en restant poétique, il facilite la lisibilité du texte, et s’appuie sur un dispositif scénique en demi-cercle, référence au plan scénique élisabéthain, référence aussi à une arène. Les déplacements des comédiens, minutieusement réglés, permettent de comprendre les rapports compliqués entre les différentes factions. Il n’y a jamais de temps mort entre les scènes, comme si rien ne pouvait interrompre la progression ravageuse de la folie du roi.
Serge Merlin a l’âge de Lear: quatre-vingts ans. Il l’incarne, en usant de tout son art, pour en faire un personnage complexe, capable, tel un héros mythologique ou biblique, de provoquer la tempête en hurlant vers le ciel, de se dresser contre sa fille dont il maudit le ventre ou … de sautiller sur la lande dévastée. La prouesse de l’acteur est étonnante. A la fin, devant ses trois filles mortes, c’est plus un roi qui meurt, anéanti par ce qu’il a enclenché, qu’un père.
Face à lui, Vincent Winterhalter sait donner au personnage de Kent, homme lige et fidèle en dépit de tout, une grande humanité. Marc Zinga, qui interprétait Lumumba dans  Une Saison au Congo  d’Aimé Césaire, joue ici le cynique bâtard de Gloucester avec une remarquable aisance. Christophe Maltot, « le pauvre Tom et le véritable Edgar de Gloucester » et Philippe Duclos, (Gloucester père) savent faire exister leurs personnages, malmenés par la vie, dans « ce monde de fous et d’aveugles ».
Ce sera sans doute une des dernières créations de Christian Schiaretti, puisque son contrat ne sera pas renouvelé en 2016. Depuis 2002, il a dirigé ce théâtre, en héritier de Jean Vilar et de Roger Planchon, et a participé à la reconstruction de ce nouveau T.N.P. ,  diversifié et rajeuni le public en menant une véritable politique d’accueil auprès des scolaires…
Considère-t-on au Ministère de la Culture, que 14 ans, cela suffit ? En tout cas, il n’a pas caché son désir d’être nommé à la Comédie-Française. Mais c’est, pour l’instant, un candidat parmi d’autres…

Elyane Gérôme

Théâtre National Populaire de Villeurbanne, jusqu’au 15 février;  La Manufacture, à Nancy, du 26 au 29 mars ; et au Théâtre de la Ville, Paris, du 12 au 28 mai et au Bateau-Feu à Dunkerque, du 4 au 6 juin.

  Le voilà enfin au Théâtre de la Ville, ce Roi Lear, si attendu, avec Serge Merlin en vedette. Schiaretti n’a pas hésité sur le choix des moyens. Dans une arène en pin, une douzaine de doubles portes laissent passer  quelque vingt personnages et figurants en  costumes d’époque dans les tons noirs et bruns, sauf Lear habillé d’une grande chasuble crème sous une chaude lumière dorée de soleil couchant).
C’est stupéfiant de beauté et de vérité, proche d’un Velasquez et parfois aussi d’un Véronèse; en quelques instants, on est transporté à la cour d’Angleterre.  Toute la mise en scène est organisée, comme dans un tableau autour de la figure centrale de Lear, vitupérant contre la terre entière et contre Cordélia en particulier. Admirable d’intelligence et de sensibilité, mais si ces entrées de groupe ralentissent le rythme, au moins psychologiquement.   Christain Schiaretti a d’évidence privilégié le pictural, et, comme on ne peut avoir la crème et l’argent de la crème dit le vieux proverbe cantalien, cela donne quand même quelque chose d’un peu figé à cette mise en scène.
Et Serge Merlin, qui fut aussi autrefois le roi Lear dans la formidable mise en scène de Langhoff qu’on avait pu voir à Bobigny en 1986, grâce à notre consœur et amie Christine Friedel qui l’avait chaudement recommandée à René Gonzalès alors directeur de la MC 93, ne semble ici qu’en faire à sa tête. Mais comment gérer un acteur hors-normes comme Serge Merlin? Il criaille pendant toute la première partie, et c’est à la limite du supportable;  on entend mal les autres acteurs, sauf Marc Zinga, Olivier Borles, Philippe Duclos et Pauline Bayle, la toute jeune et brillante comédienne qui joue Cordélia, remarquables tous les quatre. Question d’acoustique? Sans doute mais aussi de diction et, à moins de bien connaître la pièce, on a du mal à entendre le texte, donc à suivre la fable et c’est vraiment dommage.
Ensuite, dans la seconde partie, les choses heureusement se calment.Et quand Lear, perdu,  plus très lucide dit ces quelques mots:  » Ne riez pas de moi. Mais, aussi vrai que je suis un homme, je pense que cette dame que voici, c’est Cordélia, mon enfant ».  Ses neurones semblent au bout du rouleau,  et après cette catastrophe politique qu’il a provoquée, il  sent  qu’il ne va pas sans doute pas  tarder à mourir mais il est encore capable d’amour, quand il retrouve sa Cordélia: on est alors enfin dans Le Roi Lear, Serge Merlin, tout en retenue, est formidable, et l’émotion gagne le public… Cela sonne juste et vrai, et, pour un tel moment de théâtre, on peut pardonner beaucoup de choses.
Ce Roi Lear, si réussi sur le plan plastique, l’est donc  beaucoup moins théâtralement, sauf à la fin;  tout en effet est un peu  sage,  et se passe comme si Christian Schiaretti avait fait l’impasse sur la dramaturgie: on ne voit pas bien le parti pris qu’il a adopté ni pourquoi aujourd’hui il monte cette pièce formidable mais difficile… Il avait mieux réussi son coup avec Coriolan.
Alors, à voir ou pas? Sans doute Christian Schiaretti a encore le temps de resserrer d’urgence les boulons mais pour le moment, et malgré son indéniable beauté plastique, on sort de ce Roi Lear  un peu déçu! Donc, à vous de choisir…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville jusqu’au 28 mai.

Eugène Onéguine

Eugène Onéguine, d’après le roman d’Alexandre Pouchkine, mise en scène de Rimas Tuminas (en russe, sur-titré en français).

 

oneguine_66Le théâtre Vakhtangov est un des plus connus de la capitale russe; chargé d’histoire, il est situé dans une de ces rues commerçantes, la rue Arbat où on peut   voir la statue d’Alexandre Pouchkine, considéré comme le fondateur de la langue littéraire russe moderne.
Rimas Tuminas est lituanien, diplômé en 1978  de   de l’école du GITIS à Moscou, (l’équivalent de notre Conservatoire National).  Il se fait d’abord connaître dans son pays, avant de devenir directeur artistique du théâtre Vakhtangov en 2007, et   va  vite être reconnu, en particulier pour son formidable Oncle Vania (2009).
Pour son adaptation  d’Eugène Onéguine,  il a travaillé avec les jeunes interprètes de l’école Choukine située dans ce théâtre, et avec les comédiens permanents, comme quelques actrices âgées, véritables icônes de la scène moscovite, dont l’étonnante Ludmila Maksakova,  dans le rôle de la nounou de Tatiana,  et de la professeur de danse.
Mieux vaut mieux connaître au préalable la fable de ce roman, car le surtitrage au-dessus du cadre de scène n’est pas toujours aisé à suivre, d’autant plus que le metteur en scène procède souvent par tableaux successifs  avec des mimodrames, dansés ou chantés,  d’une grande intensité dramatique, dans cette fresque de trois heures vingt!
Un jeune dandy, Eugène Onéguine, lassé de sa vie à Saint-Petersbourg, part pour la campagne, et y rencontre un poète, Vladimir Lenski qui doit épouser la jeune Olga. Et Tatiana, sa
sœur ainée (l’exceptionnelle  Olga Lerman)  tombe éperdument amoureuse d’Eugène, (alors que lui, feint de l’ignorer), dans une très belle scène sans paroles où les regards se croisent, tout en délicatesse. Au cours d’un bal pour l’anniversaire de Tatiana, Eugène joue les séducteurs auprès d’Olga.
Mais Vladimir  sera tué par Eugène dans le duel consécutif à cet affront. Eugène quittera la campagne, et Tatiana s’installera à Moscou où elle se marie, par intérêt,  à un vieux général. Des années plus tard, Eugène retrouve Tatiana, et prend conscience de son  amour pour elle, mais trop tard… Le fameux temps russe s’est écoulé, (symbolisé par les pages de plusieurs livres  effeuillées par le vent), et a brisé tous les espoirs; reste la seule nostalgie…
Rimas Touminas  a mis en abyme ce récit en le transposant dans une salle de répétition de danse, dont l’architecture pourrait correspondre à une partie du théâtre Vakhtangov, avec,  au fond du plateau, une barre  et un immense miroir;  il y a, à cour, un piano, des chaises;  et on voit le bout  d’une table de banquet.
Les musiques de Chostakovitch, Tchaïkovski et Offenbach sont très présentes, et cela complète  cette adaptation du roman, réalisée avec intelligence. Les personnages d’Onéguine et de Lenski ont leurs doubles: des narrateurs pour le récit, auquel s’ajoute un troisième narrateur. Les trois comédiens ont un jeu remarquable et emportent le public dans les palais et la neige des hivers  russes. Un groupe de danseuses, (un peu trop présent dans ses interventions! ) rythme la succession des différents tableaux. L’on rit, l’on danse, l’on pleure beaucoup comme souvent chez les Russes, mais chaque sentiment paraît vrai, tant le jeu est juste et précis.
Le soir de la première, le public,en majorité russe, retrouvant  son imaginaire romanesque, s’est levé, au moment du salut final. Pari donc réussi pour  Rimas Tuminas  que l’on a pu  découvrir en France, grâce à Patrick Sommier, le directeur de la MC 93; gageons qu’il y reviendra très vite avec d’autres spectacles…

 

Jean Couturier

A la Maison de la Culture MC 93 de Bobigny jusqu’au 5 février

Macbeth

Macbeth

Macbeth de William Shakespeare, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.

 

On connaît l’histoire : il était une fois Macbeth, vaillant et loyal chevalier, qui, au retour de la victoire, croise sur sa route trois sorcières, trois chimères. La première lui dit qui il est, la seconde le salue du nom de Cawdor, la troisième lui prédit qu’il sera roi. En récompense de ses services, le roi Duncan le fait lord CawdorAinsi, le vrai plaidant le faux, Macbeth, aveuglé par la logique de la tentation, poussé par l’ambition passionnée de sa femme, se résout à tuer le roi.
Le premier meurtre en appelle d’autres, en cascade, et la tragédie se déroule, inéluctable. Il aurait pu en être autrement : à l’ami Banquo, les sorcières ont prédit qu’il ne règnerait pas mais qu’il engendrerait une lignée de rois ; Banquo, lui aussi tenté, n’essaie pas de donner un coup de pouce au destin, sous prétexte d’accomplir les prédictions. Il en meurt, mais hantera à jamais Macbeth. On est ébloui par le génie de Shakespeare, une fois de plus, et par la triple réflexion sur le pouvoir qu’il y a dans la pièce.
Dans le désordre – c’est le cas de le dire - : le pouvoir des forces obscures dans l’homme (les sorcières de la nuit), l’absolue volonté de puissance, l’ivresse de la domination. Cela pour le « tu seras roi ».
Ensuite, le pouvoir érotique : Macbeth et sa Lady sont liés dans le crime comme dans un acte d’amour, mêlés, femme virile et homme sensible, “féminin“. Cette féminité,  du reste, est fortement contestée par Lady Macbeth qui  ne se gêne pas pour prouver à son époux que ce féminin est d’une autre trempe.
La troisième méditation sur le pouvoir n’appartient pas au couple Macbeth : c’est Malcolm, l’héritier légitime, miraculeusement rescapé, qui nous la donne, en mettant à l’épreuve le fidèle Macduff : l’héritier légitime l’est-il, s’il se comporte en tyran ? Si jeune, il a déjà les accents de Prospéro : le monde est une scène et la vie est un songe.
On doit à la mise en scène d’Anne-Laure Liégeois la clarté du récit, et des analyses qu’on peut en faire. Et cela dans une juste pénombre, qui ne voile rien : Macbeth a tué le sommeil, Macbeth a fait du jour, la nuit. Dans une scénographie simple et efficace qu’elle a conçue elle-même avec Alice Duchange, la narration va au galop, les comédiens emportant les débris de la scène passée : après un début qui manque un peu d’énergie, les deux heures quarante du spectacle passent comme l’éclair.
Les partis pris sont tout aussi nets : les costumes d’aujourd’hui fonctionnent parfaitement avec les accessoires ( épées, etc…), les sorcières sont de splendides jeunes filles nues, assez sûres de leur puissance érotique pour en rire (et assez malignes pour suivre Macbeth dans son palais sous la forme de discrètes servantes), le roi Duncan est bon homme et bonhomme, et Malcom (fils de…) a l’air de sortir de Sciences-Po.
Ces choix-là n’ont rien d’iconoclaste: il y a d’ailleurs  longtemps que l’on n’a plus d’icône, dans la façon de monter Shakespeare, et les comédiens sont formidablement efficaces. Macbeth et sa lady, (Olivier Dutilloy et Anne Girouard, comédiens aguerris de la bande d’Anne-Laure Liégeois), montent en puissance et creusent en profondeur, comme il se doit, au fur et à mesure de la pièce, dans le sang et la boue pour le guerrier, et dans la maladie pour sa femme.
Ils sont, tous les deux, poussés par des bouffées de musique saturée, et bousculés par une  troupe dynamique de  jeunes acteurs qui, tout juste sortis de l’Ecole, ont, dans les petits rôles, une présence vive, directe, et très savoureuse. Car cette histoire abominable ne manque pas d’une certaine pudeur, et c’est peut-être la limite du spectacle : celle de l’humour.
Ce qui donne une bande dessinée forte et cruelle, bien vivante, bien d’aujourd’hui.

 Christine Friedel

 Théâtre 71 à Malakoff.  T : 01 55 48 91 00, jusqu’au 14 février, et, ensuite en tournée.

 

reprise: La Pensée de Leonid Andreïev

La Pensée de Leonid Andreïev, mise en scène d’Olivier Werner: voir l’article de Véronique Hotte dans Le Théâtre du Blog:

http://theatredublog.unblog.fr/2013/02/13/la-pensee/#

 Théâtre Gérard Philipe de  Saint-Denis, du 27 janvier au 15 février les lundi, jeudi, vendredi à 20H30, samedi à 18H30, dimanche à 16H30, relâches le mardi et le mercredi. T : 01 48 13 70 00

 

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