La voix dans le débarras
La voix dans le débarras, texte de Raymond Federman, mise en scène de Sarah Oppenheim.
Raconter l’irracontable, c’est ce qu’a entrepris Raymond Federman, trente ans après avoir échappé à la rafle du Vel’d’hiv, caché dans un débarras de l’appartement familial à Montrouge, tandis que ses parents étaient déportés puis exterminés. Des mots, il n’en manque pas, dans son français maternel comme dans l’anglais de son exil américain. Des mots inventés, des collisions d’idiomes, un chaos verbal contenu dans une seule et longue phrase, dénuée de ponctuation et de grammaire : un vertigineux défilé de sons et de sens enfermés dans des blocs typographiques.
La Voix dans le débarras, (The Voice in the Closet) qu’il a traduit en français, fut publié en version bilingue en 2002. Federman laisse se déverser la voix de l’enfant de douze ans enfermé dans le noir, cette voix qui était restée recluse en lui : « sur le seuil dans l’écart de ma (sa) voix ». « Incapable de dire la vérité de mon (son) passé », il cherche, dans une logorrhée quasi délirante, « un merdier de mots », à « approximer » son « présent futur ».
Ce flux verbal, Sarah Oppenheim a pris le parti radical de le porter au plateau, accompagné par le travail graphique de Louise Dumas, calqué à partir du jeu des comédiens et projeté en vidéo. Ombres proférantes et mouvantes, Fany Mary en français et Nigel Hollidge en anglais, évoluent dans une forêt d’arabesques engendrées par leurs mouvements : calligraphies ou gribouillages.
Pénétrant ce texte dense, se perdant dans ses méandres, émergeant pour y replonger, ils jouent une partie de cache-cache. Leur corps et leurs voix se cherchent, se répondent, se repoussent en chorus, ou à contretemps… En écho à son « écriture en nouille », comme dit Raymond Federman qui, selon lui, se rapproche de l’improvisation en jazz.
La maîtrise de l’espace, la beauté des lumières contribuent à ordonner le chaos d’une écriture qui traduit l’incohérence et le chagrin sans nom vécus par l’auteur. Il fallait des comédiens hors pair pour s’emparer de cette voix irrépressible et plonger dans son opacité, afin d’en démêler les fils mot à mot.
La réussite du spectacle tient à une mise en scène qui a su représenter plastiquement la matérialité du texte tout en organisant la présence des corps et en chorégraphiant avec grand soin cette remarquable partition sonore. La Voix dans le débarras nous incite à découvrir plus avant un auteur passionnant, décédé en 2009, qui laisse derrière lui une œuvre méconnue sans raison en France.
Mireille Davidovici
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La Voix dans le débarras est publié en version bilingue par Impressions nouvelles, 2002
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