Blue Jean
Blue Jeans, conception, scénographie et marionnettes de Yeung Faï.
Un paysan tourne, éternellement attelé à la roue de sa noria, le bourdonnement incessant des mouches et des chants d’oiseaux l’accompagnent ; en fond de scène, une vidéo déroule une campagne cultivée, et aussi projetés, deux panneaux qui donnent accès quand ils s’écartent, au logis des paysans. Une femme allaite, deux poupons vagissant.
Misère et/ou politique de l’enfant unique oblige, l’un d’eux est vendu. L’autre devient une petite fille, marionnette qui grandit au fil des ans. On la suit dans son exil vers la ville où elle va trimer dans une usine textile, esclave des temps modernes, pour un patron prospère et représenté par une marionnette autoritaire.
Yeung Faï et son équipe proposent avec cette fable une plongée en images dans la Chine d’aujourd’hui. Des panneaux mobiles modifient l’espace tout au long du spectacle. Ils se font ensuite écrans pour des films qui démultiplient les décors et les ambiances. Le spectacle mêle comédiens et marionnettes, jouant sur les échelles de grandeur.
Les manipulations se font à vue, sans castelet, souvent avec deux, voire trois personnes, pour assurer la précision des mouvements des petites figures. Plusieurs techniques sont utilisées : marionnettes bunraku, à gaine, objets animés. On admire la virtuosité des scènes où la petite fille, armée d’un fer à repasser crachant de la vapeur, accumule des monceaux de jeans miniatures jusqu’à disparaître sous la pile. La superbe du patron, poupée joufflue qui contraste avec la figurine de plus en plus have de la gamine.La narration se fait quasiment sans paroles, un texte projeté en commentaire donne des statistiques sur l’industrie textile du Pays du Milieu, dénonce l’exploitation et la pollution qu’elle engendre. Le public, pour beaucoup des jeunes, apprend ainsi que l’Asie assure 70% de la production mondiale de jeans, fabriqués par des femmes ou des enfants payés au lance-pierre.
Le spectacle révèle la face humaine de l’ « atelier du monde ». La poésie, qui se dégage des images qui occupent un grande place, et des marionnettes, adoucit le réalisme sordide et le pathos que l’on reproche parfois à certains reportages. Elle donne d’autant plus de poids à ce regard aigu mais doux et apaisé, porté sur un monde cruel. Héritier d’une tradition deux fois millénaire, transmise de génération en génération, Yeung Faï porte en lui les traces des sévices infligés à son père, grand maître chinois de la marionnette pendant la révolution culturelle. Il vit désormais en France où, de spectacle en spectacle, il développe un univers très personnel et d’une grande beauté plastique. Blue Jeans, malgré son propos, a la délicatesse du poème de Victor Hugo qui s’affiche en épilogue. « La tombe dit à la rose :/- Des pleurs dont l’aube t’arrose /Que fais-tu, fleur des amours ? /La rose dit à la tombe /- Que fais-tu de ce qui tombe / Dans ton gouffre ouvert toujours ? La rose dit : – Tombeau sombre/ De ces pleurs, je fais dans l’ombre/ Un parfum d’ambre et de miel./ La tombe dit : – Fleur plaintive,/ De chaque âme qui m’arrive/ Je fais un ange du ciel ! »
Mireille Davidovici
Blues Jeans pour tous mais surtout aux enfants à partir de 12 ans. Le Monfort, 106 rue Brancion 75014 Paris T. 01 56 08 33 88 jusqu’au 15 février. www.lemonfort.fr Comédie de Béthune du 18 au 21 février et Théâtre des marionnettes à Genève du 22 au 26 mai.